Des montagnes russes... Au Qatar, l'appel d'offres portant sur l'acquisition des centaines de véhicules blindés pour plusieurs centaines de millions d'euros s'apparente à de véritables montagnes russes pour Nexter. En course depuis 2017 pour vendre le VBCI, le véhicule blindé « combat proven » (huit roues de 28/32 tonnes), il est complètement bringuebalé dans ce « Grand Huit » haletant. Tout comme d'ailleurs son concurrent Rheinmetall. Selon les périodes, le groupe tricolore spécialisé dans l'armement terrestre est soit en pole position, soit rétrogradé derrière le redoutable groupe allemand, qui propose le Boxer, via son site de Telford en Grande-Bretagne, Rheinmetall BAE Systems Land, détenu à 45% par le groupe britannique BAE Systems. Londres est d'ailleurs à la manœuvre à Doha pour pousser l'offre de Rheinmetall.
Mais depuis quelques mois, le groupe turc BMC a débarqué en force au Qatar. Outre ses blindés low-cost, il a de sacrés arguments à faire valoir. L'Émirat, via ses forces armées (Qatar Armed Forces Industry Committee), est actionnaire à 49% d'un des leaders de la fabrication de véhicules blindés en Turquie. Et selon des observateurs, le Qatar pourrait être tenté de partager le contrat en plusieurs lots (trois ? : BMC, Nexter et Rheinmetall). Mais pour l'heure, le Qatar n'aurait pas fait de choix, selon plusieurs sources interrogées. « Tout est encore possible », explique-t-on à La Tribune.
Nexter : nouvelle offre engageante
Pour Nexter, l'histoire s'est emballée une première fois en décembre 2017 avec la signature d'une lettre d'intention lors de la visite d'Emmanuel Macron pour la fourniture de 490 VBCI, une commande alors estimée à 1,5 milliard d'euros par l'Elysée. Puis les négociations, freinées par les relations orageuses entre Paris et Doha, se sont enlisées au cours des années suivantes. Ce prospect au départ très solide avait même fini par disparaître des prévisions commerciales de Nexter. Mais au cours des préparatifs de la Coupe du Monde de football organisée fin 2022 par le Qatar, Nexter a su profiter du réchauffement des relations entre les deux pays pour revenir en grâce auprès des autorités qatariennes. Ainsi, en juin 2023, le Premier ministre et ministre des Affaires étrangères, Cheikh Mohammed bin Abdulrahman bin Jassim Al Thani, et la ministre des Affaires étrangères, Catherine Colonna, ont tenu le second dialogue stratégique Qatar-France à Doha. Cheikh Al Thani avait alors remercié la France pour son partenariat de sécurité et sa contribution à la préparation et à la tenue de la Coupe du Monde.
Résultat, les négociations entre Nexter et le Qatar ont été relancées dans un climat plus serein tout au long du premier semestre 2023. A la mi-année, une première offre non engageante a été adressée au Qatar. Puis, Nexter a remis il y a une quinzaine de jours environ une nouvelle offre non engageante, selon nos informations. Outre la fourniture des blindés, Nexter s'engage à apporter une certaine autonomie stratégique au Qatar, via des transferts de compétences. Si le VBCI est sélectionné, les industriels qatariens intégreraient une partie des véhicules blindés. Et surtout, Nexter s'engage à les former pour qu'ils soutiennent de manière autonome ou presque leurs VBCI pendant toute la durée du programme sans être obligés de demander à chaque grande opération de maintenance des autorisations d'exportation pour faire revenir leurs véhicules blindés.
Rheinmetall ne lâche rien
L'éclaircie entre Nexter et le Qatar n'a pas duré et le temps s'est progressivement gâté. D'une part en raison de l'activisme légitime de Rheinmetall, qui n'a jamais lâché l'affaire en réalisant via la Grande-Bretagne un forcing diplomatique pour gagner cette méga-commande et faire dérailler Nexter. Pour autant, Rheinmetall n'a pas une partie facile à jouer non plus. Comme il fait venir d'Allemagne des équipements pour le Boxer, il n'est pas à l'abri d'un nouveau veto allemand à l'exportation. « Ce qui est loin d'être anodin pour un pays comme le Qatar dans le viseur de certains partis politiques allemands », rappelle une source interrogée par La Tribune.
Surtout, le Qatar souhaiterait, selon plusieurs sources concordantes, une tourelle équipée d'un canon de 30 mm. Avec de bonnes raisons opérationnelles, Nexter propose quant à lui un canon de 40 mm fabriqué par CTA International, une filiale à 50/50 entre le groupe français et... BAE Systems. Cette tourelle téléopérée avec un canon de 40 mm permet aux forces armées terrestres d'avoir une puissance de feu supérieure aux tourelles de 30 mm tout en permettant aux munitions d'être introduites dans la chambre suivant l'axe d'alimentation quel que soit l'angle d'élévation du canon. Ainsi, la tourelle permet au VBCI de disposer de toute sa place avec une capacité d'embarquement de dix fantassins et de faire de façon fluide de la lutte anti-drones (lutte anti-aérienne). Le Qatar se laissera-t-il séduire par cette proposition ? Pas sûr, selon certains observateurs interrogés.
Enfin, dans quelle mesure les déboires judiciaires en France du président du PSG Nasser Al-Khelaïfi, surnommé « NAK » et réputé proche de l'émir du Qatar, Cheikh Tamim ben Hamad Al Thani, vont-ils influer sur cette campagne commerciale ? Ils avaient compromis le succès de Nexter en 2019, mais pas ceux de Dassault Aviation. Accueilli le 5 juillet dernier par un juge d'instruction et des policiers à sa descente d'avion, le président du PSG fait l'objet de plusieurs instructions, donc celle menée sur les accusations d'enlèvement, séquestration et torture au Qatar, dont dit avoir été victime le lobbyiste franco-algérien Tayeb Benabderrahmane.
Nasser Al-Khelaïfi est également au centre d'une instruction menée depuis septembre 2022 autour des opérations d'influence attribuées à l'ex-directeur de communication du club, Jean-Martial Ribes. Le président du club de foot parisien a été par ailleurs récemment visé récemment par deux enquêtes pour travail dissimulé, après une plainte de son majordome Hicham Karmoussi et d'une plainte d'un autre de ses ex-conseillers.
Des visites de haut niveau à Paris
Les différentes visites de hauts dirigeants qatariens ces prochains jours à Paris seront peut-être décisives pour Nexter. Ainsi, le ministre des Armées Sébastien Lecornu reçoit jeudi à l'Hôtel de Brienne Khalid bin Mohammad Al Attiyah, vice-premier ministre et ministre d'État aux Affaires de la Défense du Qatar, qui dispose d'un accord de défense avec la France depuis 1994. L'émir, Cheikh Tamim ben Hamad Al Thani, qui s'est rendu à Paris en février 2023, devrait venir à Paris ces prochains jours, très probablement mardi prochain. Enfin, juste avant le Ramadan, qui commence le 10 mars (jusqu'au 9 avril), se tient du 4 au 6 mars à Doha le salon de la défense DIMDEX. Une nouvelle opportunité pour enfin dénouer cette campagne qui dure depuis près de 10 ans...
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