Luxe : 6 concepts high-tech à pirater (ou à oublier)

Digitalisées sur le tard, les marques haut-de-gamme se mettent aux nouvelles technologies. L'accélérateur parisien The Family consacrait les 1er et 2 juillet à ce thème les premières rencontres entre start-up et grandes maisons. Voici quelques grandes tendances qui dessineront peut-être le luxe de demain.
Marina Torre
Avec une imprimante 3D, il est possible de fabriquer des Victoire de Samothrace miniatures, mais aussi des moules pour concevoir des bijoux. (Photo MT)

"Soyez provocants !" Une appel lancé dans un anglais parfait par Axelle Lemaire, la secrétaire d'Etat chargée du Numérique, aux professionnels du luxe réunis les 1er et 2 juillet à Paris pour la première édition des rencontres Hackers on the Runway ("Pirates sur le podium"). Lors de cet événement organisée par l'accélérateur de start-up The Family, il ne fut question ni de textile futuriste, ni de design extravagant, et pas vraiment de choix stylistiques radicaux... Non, pour inciter à l'innovation une industrie encore réticente à se digitaliser car elle repose en grande partie sur l'image de marque et la tradition, la jeune recrue franco-canadienne de l'équipe Valls et les organisateurs suggèrent plutôt de s'inspirer des nouvelles tendances qui font fureur dans le monde des start-up et des nouvelles technologies. Nous en avons retenu six parmi les plus originales. 

  • 1/ Prêter ses créations en location pour se faire connaître en Chine

Parmi les grands enjeux de l'explosion du commerce en ligne en matière de luxe, la démocratisation est fréquemment citée par les professionnels du secteur.  Plus qu'un paradoxe, c'est un vrai casse-tête puisque par définition le luxe se doit de conférer un sentiment d'exclusivité, d'appartenance à une élite...

Pour les hongkongais Bobo Rok et Tim Kau, ce n'est pas un problème, bien au contraire. Ils ont lancé il y a un an Luxtnt.com, un site qui met à disposition sacs à main, chaussures ou chapeaux griffés pour... une vingtaine d'euros la soirée. Et en prime ils sont livrés à domicile.

"Les gens n'ont pas envie de dépenser des milliers de dollars pour un sac ou une robe qu'ils ne porteront qu'une fois !", clame la jeune créatrice du site. Son concept repose sur une tendance très forte en Chine et en particulier dans l'ancienne colonie britannique où "l'on voit fréquemment des jeunes femmes gagnant 1000 ou 1500 euros par mois se promener dans la rue avec des 'it-bag' à 2000 euros" qui leur sert de faire-valoir social, explique-t-elle. Que ce soit dans les boutiques des marques ou dans les grand magasins, une partie "des clients achètent le produit, l'utilisent (sans enlever l'étiquette) et le rendent" de plus en plus souvent.

Mais en quoi une marque de luxe pourrait-elle voir un intérêt à ce système de location en ligne? Une fois de plus, c'est l'image qui prime. "En passant par notre site, des marques encore inconnues peuvent se faire un nom", plaide Tim Kau.

La véritable astuce de leur concept consiste à proposer d'acheter l'accessoire loué. "S'il a plu, s'il rappelle un souvenir positif comme un rendez-vous qui s'est bien passé, les clients auront tendance à sauter le pas", poursuit-il.

La co-fondatrice affirme de son côté que le "taux de conversion", soit le pourcentage de visiteurs qui procèdent à un achat, avoisine les 60%, un niveau très largement supérieur à celui des autres sites de e-commerce mais impossible à vérifier.

Quoi qu'il en soit pour les marques "l'opération est neutre" puisque leur site assume le risque d'une telle "braderie". Certaines maisons y ont vu un intérêt qui vont jusqu'à donner des produits aux deux entrepreneurs. D'autres y sont résolument opposés, "comme Chanel" cite Bobo Rok.

  • 2/ S'associer à une "petite marque" qui fait du bruit

Plutôt que s'offrir à grands frais les services d'un designer de renom, les marques sont de plus en plus nombreuses à parier sur ces collections élaborées par de jeunes créateurs plus ou moins inconnus mais qui se sont déjà fait un nom grâce aux réseaux sociaux et aux bloggeurs.

La griffe britannique Vivienne Westwood et la marque japonaise Comme des Garçons ont ainsi misé sur les cartables en cuir Cambridge Satchel. En bonus : ces grands groupes peuvent mettre en avant une "histoire". Ici, celle de Julie Deane, cette mère de famille lassée des moqueries adressée à sa fille qui a fabriqué elle-même les premiers prototypes et lancé sa compagnie avec seulement 500 livres. Une distribution gratuite à des bloggeuses influentes et une publicité virale créé par Google sur YouTube plus tard et l'affaire était lancée...  Une façon de retourner le modèle de la collection "capsule" confiée à des designers célèbres des grandes maison de luxe par des marques de la grande distribution (Karl Lagerfeld ou Isabelle Marant pour H&M, Courrège pour La Redoute...)

  • 3/Mesurer ses vêtements plutôt que son corps 

La vente en ligne pose également un défi bien plus concret aux professionnels du textile, surtout dans le haut de gamme. Comment choisir une robe ou un sac - en particulier s'il coûte cher - et ce sans l'avoir essayé(e) au préalable ? Les sites de e-commerce rivalisent d'imagination pour tenter de trouver une solution, testant des systèmes de créations de modèles virtuels, de prises de mesure en magasins etc. La méthode la plus courante consiste à suggérer au client de s'armer d'un bon vieux mètre-ruban et de prendre lui-même ses mesures. Problème : à moins d'avoir été premier(e)s d'atelier chez un grand couturier, il est rare que les clients réussissent du premier coup à prendre les bonnes mesures, surtout s'ils sont seuls.

D'ailleurs, le temps que prend l'opération est de nature à les dissuader. Une start-up suédoise baptisée Virtusize a convaincu une trentaine de marques, dont Balenciaga, par son astuce toute simple : au lieu se mesurer soi, mieux vaudrait mesurer les vêtements ou les accessoires qui se rapprochent le plus de ceux que l'on convoite. Une fois les données entrées sur leur site, deux gabarits apparaissent à l'écran et se superposent : celui de son sac ou de son vêtement et celui de la boutique en ligne.

 "Lorsque l'on prend les mesures sur son corps, les vêtements peuvent être trop serrés", argue Nuhad Jahan, une porte-parole de la marque. Un tel système exige tout de même chez le consommateur une forte capacité à se représenter mentalement des objets dans l'espace. En fait, l'intérêt réside surtout, pour les marques (de luxe ou non) à connaître littéralement sous toutes les coutures le contenu du placard de leurs clients...

  • 4/ Gérer ses données comme Barack Obama

En matière de gestion de données, les équipes de Barack Obama en connaissent un rayon. A entendre Craig Schirmer et Andrew Claster, tous deux responsables de l'analyse des données pour les deux campagnes présidentielles du candidat démocrate de 2008 et 2012, l'analogie entre une campagne politique et la conquête d'un marché ou le lancement d'un produit est parfaite. Dans les deux cas, la meilleure stratégie à suivre consisterait à "lister les gens potentiellement intéressés par votre produit", - qu'il s'agisse d'une ligne de bijoux ou d'un message politique importe peu - puis de tirer de cette précieuse base le maximum d'informations. 

Parmi les étapes cruciales figure l'enregistrement de tous les faits et gestes médiatiques de personnalités jugées "influentes" - la "marque" Barack Obama peut remercier "ses égéries" Jay-Z, Bruce Springsteen ou George Clooney... Ils ont non seulement levés des fonds pour le candidat, mais attirés des fans susceptibles de venir alimenter sa liste de départ.

Il faut ensuite analyser le comportement de ces "clients potentiels" en croisant leurs données avec d'autres bases publiques ou appartenant à des réseaux sociaux. Puis il convient de tester différentes options, le prix de ses bijoux, le meilleur emplacement pour un magasin, la teneur d'un discours ou d'un mail etc., auprès d'un panel représentatif et d'évaluer laquelle est la plus efficace. Une fois les résultats obtenus, en tirer les conclusions qui s'imposent et procéder au lancement du produit à l'échelle régionale ou nationale. Pour Barack Obama, la tactique s'est visiblement révélée efficace : de 15.000 "client potentiels" lorsqu'il était encore quasiment inconnu en 2007, il est passé à 135 millions d'électeurs en novembre de l'année suivante...

  • 5/ Livrer ses clients partout et à toute heure

Il réfute le terme de "concierge" qu'il juge trop "élitiste". Pourtant s'il y a bien un service qui relève du luxe, c'est le sien. Serge Alleyne, fondateur de "Tok Tok Tok", présente son service comme un "Amazon sur roulettes", au croisement entre le géant du e-commerce, eBay et Uber. Le principe? Proposer la livraison de quelque 250.000 références de produits n'importe où dans Paris (bientôt à Londres) et à n'importe quel moment de la journée, sous réserve que le commerçant visé par l'utilisateur soit ouvert et qu'il ait encore le produit recherché dans ses stocks. Des coursiers rebaptisés "runners" se déplaçant en vélo ou en rollers reçoivent un mandat pour réaliser à sa place ses emplettes et les lui livrer où il le souhaite. 

Un algorithme prédictif permet d'indiquer sur l'application mobile le temps d'attente et le prix final, le panier moyen avoisinant les 40 euros et le service lui-même (comprenant une commission et la rémunération du livreur et qui varie en fonction de la distance parcourue) une dizaine d'euros. Espérant convaincre de nouveaux commerçants, surtout chez les indépendants à se faire référencer sur son site, Serge Alleyne croit pouvoir garantir, à terme, "un service gratuit pour le client"

  •  6/ Fabriquer des bijoux grâce à une imprimante 3D

Ultime contradiction à résoudre : comment révolutionner la fabrication-même des objets de luxe puisque pour la plupart d'entre eux, c'est sur des savoir-faire manuels très anciens qu'ils reposent ? L'impression 3D, cette fameuse "révolution" enchantée par Barack Obama pourrait peut-être apporter une solution... Sans aller jusqu'à imprimer directement des bijoux (quoiqu'il existe des créateurs qui se sont lancés dans ce créneau), des distributeurs s'en offrent "pour des personnaliser des produits pour fabriquer des moules et modèles originaux", explique Tatiana Reinhard, créatrice et designer chez LeFabShop. 

>> L'imprimante 3D est dépassée, place à la 4D

Marina Torre

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