« Un Covid de la vache » menace l’élevage français

Découverte aux Etats-Unis en 1955, la MHE, maladie frappant principalement les bovins et les cervidés, est apparue pour la première fois en France en septembre, dans le Sud-Ouest. Dès la remontée des températures, elle frappera probablement tout le pays. Ses conséquences économiques pourraient s'élever à plusieurs centaines de millions d'euros. Décryptage.
Giulietta Gamberini
Parfois même asymptomatique, la MHE est d'un point de vue sanitaire moins inquiétante que la grippe aviaire. Non contagieuse, elle ne se transmet ni directement entre animaux ni aux humains, ce qui exclut la nécessité d'abattre les bêtes malades.
Parfois même asymptomatique, la MHE est d'un point de vue sanitaire moins inquiétante que la grippe aviaire. Non contagieuse, elle ne se transmet ni directement entre animaux ni aux humains, ce qui exclut la nécessité d'abattre les bêtes malades. (Crédits : Reuters)

Au moins, le maintien de Marc Fesneau au ministère de l'Agriculture évitera un flottement dans le traitement de ce dossier qui risque d'exploser au printemps. Selon nos informations, le ministère de l'Agriculture et de la Souveraineté alimentaire (Masa)  s'attend à ce moment-là à ce que la maladie hémorragique épizootique (MHE) frappe de plein fouet les élevages bovins français. Et finalise un plan d'action.

« Toute la France sera touchée entre février et juin », confirme Pierre Veyssi, référent sanitaire pour la Fédération nationale des producteurs laitiers (FNPL) et éleveur en Dordogne.

Avec des conséquences économiques encore difficiles à évaluer dans une situation toujours évolutive mais qui, selon la FNPL, pourraient  globalement s'élever à « plusieurs centaines de millions d'euros ».

Une conséquence directe du changement climatique

Découverte aux Etats-Unis en 1955, la MHE n'est arrivée en Europe qu'en 2022, via l'Italie et l'Espagne. « Elle a ensuite traversé la péninsule ibérique en quelques mois, à une vitesse surprenante », raconte Pierre Veyssi. A la mi-septembre 2023, pour la première fois, elle est apparue dans le Sud-Ouest de la France. Depuis, quelque 3.700 foyers ont été recensés dans des élevages de l'Hexagone, surtout dans les départements du Sud-Ouest.

Maladie  frappant principalement les bovins et les cervidés, plus rarement les ovins, elle est causée par un virus qui se transmet via certains moucherons lorsqu'ils piquent un animal sain après avoir piqué un animal malade.

« Sa propagation est une conséquence directe du changement climatique, qui permet aux moucherons vecteurs de la maladie de survivre dans nos régions  », souligne l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses).

Depuis la mi-décembre, les premiers froids ont donc drastiquement freiné son avancement. Mais le virus continue de circuler, et recommencera à se répandre dès que les températures dépasseront de nouveau les 15°C, anticipe Pierre Veyssi.

Une maladie qui ne se transmet pas aux humains

Parfois même asymptomatique, la MHE est d'un point de vue sanitaire moins inquiétante que la grippe aviaire. Selon l'Anses, elle « est mortelle dans moins de 1 % des cas ». Non contagieuse, elle ne se transmet ni directement entre animaux ni aux humains, ce qui exclut la nécessité d'abattre les bêtes malades.

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« Chez les bovins, cette maladie se traduit par de la fièvre, de l'anorexie, des boiteries et une détresse respiratoire. (...) La grande majorité des animaux se rétablissent et retrouvent un état normal au bout de quelques jours ou quelques semaines de repos et de soins », analyse l'Anses.

Le dépistage, les protocoles de soins et les traitements par insecticides limitant la propagation se sont améliorés en France depuis septembre. Les laboratoires pharmaceutiques se sont lancés dans la recherche d'un vaccin qui, pour le sérotype présent en Europe, n'existe pas encore.

Un coup de massue sur un secteur en crise

La menace s'annonce toutefois lourde pour un secteur, l'élevage bovin, qui traverse déjà une crise structurelle, puisque le métier d'éleveur, dur et peu rémunérateur, est de moins en moins attractif. Et le gouvernement se dit bien conscient du danger de ce malheur qui ne va pas venir seul.

« La tendance à la décapitalisation n'a pas attendu la maladie pour se déclarer : en 5-6 ans, la France a perdu un million de vaches. Mais la MHE va accélérer encore un peu la diminution du nombre de cheptels. On n'avait pas besoin de ça », note aussi Pierre Veyssi, référent sanitaire à la FNPL.

Deux types de pertes économiques vont en effet découler de la maladie. Celles directes sont dues non seulement à la mortalité, mais aussi aux soins vétérinaires. Selon la FNPL, les coûts peuvent dépasser, en moyenne, 1500 euros par vache décédée et 300 euros par animal soigné.

« Au total, certains élevages ont enregistré entre 10.000 et 15.000 euros de pertes », déplore Pierre Veyssi.

A cela s'ajoutent des pertes de productivité, les animaux touchés étant moins féconds, les vaches à lait pouvant se tarir définitivement et les vaux mourant parfois de manière prématurée.

Des restrictions à la circulation des bovins

Quant aux pertes indirectes, elles dépendent essentiellement des perturbations dans le commerce des animaux. L'arrivée de la maladie en France a en effet impliqué des restrictions à la circulation des bovins à l'intérieur du pays comme à l'étranger. Quand l'exportation n'est pas interdite, elle s'accompagne de règles et contrôles plus compliqués et plus onéreux, ainsi que d'une baisse des cours, explique Pierre Veyssi.

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« Une partie des broutards du Sud-Ouest ne peuvent plus partir en Italie, où ils étaient vendus à 1.000 euros chacun. Ils sont donc exportés en Espagne, où ils ne valent que 700 euros », déplore l'éleveur.

Or, le modèle d'élevage français dépend structurellement des exportations vers l'Italie et l'Espagne, où les jeunes bovins sont envoyés depuis des décennies pour y être engraissés.

La fermeture des marchés du Maghreb et du Moyen-Orient, qui absorbaient pourtant de petites quantités de bovins, a aussi des effets importants, car cela « encombre le marché français en faisant baisser les prix ». Ainsi, par exemple, « 1000 génisses qui devaient partir pour l'Algérie en novembre ont finalement dû être vendues sur le marché français à la moitié de leur prix initial », détaille Pierre Veyssi.

« Cela met à mal l'avenir des entreprises qui maillent le territoire rural : les éleveurs, mais aussi la filière en amont et en aval », souligne Maryvonne Lagaronne, éleveuse et vice-présidente de la Fédération nationale bovine (FNB).

« Un intense travail de diplomatie sanitaire »

Le gouvernement s'affaire donc afin d'éviter le pire. Dès la fin septembre, des « mesures de surveillance, de prévention et de lutte vis-à-vis de la MHE » ont été fixées par le Masa, avec notamment la création de zones réglementées dans un périmètre de 150 kilomètres autour des élevages infectés. Un réseau de laboratoires a été constitué pour réaliser les tests requis pour la sortie des animaux de ces zones.

Parallèlement, « un intense travail de diplomatie sanitaire » a été conduit « avec la Commission européenne et ses partenaires étrangers » « pour faciliter le maintien et le recouvrement des flux commerciaux vers les Etats membres et les pays tiers », rappelle le ministère. Des actions qui selon la FNPL ont « permis de limiter la casse ».

Le gouvernement aux prises avec un « plan d'action »

En novembre, « un plan d'action » plus ample, « destiné à structurer et à prolonger les efforts entrepris », a été annoncé par  le ministre de l'Agriculture Marc Fesneau. Il doit permettre « d'approfondir les connaissances existantes sur la maladie et ses impacts sanitaires afin d'adapter les mesures de surveillance, de prévention et de lutte », ainsi que de « coordonner l'action des parties prenantes »  et « de maintenir l'ouverture des marchés ».

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Le ministère a aussi promis de prendre en compte « les fragilités du modèle économique de la filière bovine », à cause de sa dépendance des marchés italien et espagnol. Il a rappelé que « le plan de reconquête de la souveraineté sur l'élevage (annoncé en octobre, ndlr) prévoit ainsi la mobilisation d'une enveloppe de 20 millions d'euros pour mieux lutter contre les maladies animales présentes en France mais également nous préparer à la survenue de nouvelles maladies ».

Les éleveurs espèrent aussi recevoir des aides, au moins pour faire face aux pertes les plus directes et immédiates, rappelle la FNPL.

A ce propos, « (...) les analyses PCR et les frais vétérinaires pour la réalisation du prélèvement en cas de suspicion clinique seront intégralement pris en charge par l'Etat », a promis Marc Fesneau en novembre dernier.

Pour le reste, il s'est limité à évoquer la constitution « dès la mi-octobre » d'« un groupe de travail pour préparer les conditions d'un accompagnement conjoint - par l'Etat et par le fonds de mutualisation du risque sanitaire et environnemental (FMSE) - de l'impact économique mesurable à court terme de la MHE sur les exploitations (mortalités et coût des soins aux animaux malades) ».

Les pouvoirs publics « pas assez proactifs »

Depuis l'annonce de ce « plan d'action », les éleveurs s'impatientent.

« Les résultats tardent à être exprimés. Au regard de la violence de la crise et de la faible période d'innocuité du virus, nous attendons de l'Etat une réaction rapide, et non pas un effet d'annonce politique », déplore Maryvonne Lagaronne, vice-présidente de la Fédération nationale bovine (FNB). Quant aux indemnisations promises notamment, « on ne sait pas à qui et comment les réclamer, ni quelle sera leur valeur », précise-t-elle : « C'est dramatique ».

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« En outre, au regard des connaissances actuelles, la présence du virus chez les animaux peut durer longtemps, et pendant ce temps ils ne peuvent pas être exportés. Il faut donc mettre en place des stratégies permettant leur stockage en ferme voir leur finition, avec des plans de soutien à l'engraissement », dénonce Maryvonne Lagaronne.

Elle poursuit : « On ne peut pas subir le marché, il faut réorganiser l'ensemble de la filière. Or, aujourd'hui rien n'est fait par l'Etat dans ce domaine ».

Désengagement de l'Etat

La FNB dénonce d'ailleurs, d'une manière plus générale, un « désengagement de l'Etat des investissements nécessaires dans la recherche fondamentale et de solutions face aux maladies émergentes dans les élevages, pourtant  liées au changement climatique ». « Les pouvoirs publics ne sont pas assez proactifs pour anticiper ce qui peut arriver ce printemps », résume sa vice-présidente, qui met en garde :

« Il y aura très rapidement des actions violentes si l'Etat n'adopte pas de vrais plans cohérents lors de ces crises sanitaires ».

Un risque que le gouvernement veut sans doute éviter, notamment avant l'ouverture du très médiatique Salon de l'Agriculture, qui se tiendra du 24 février au 3 mars à Paris. Interrogé par La Tribune sur des précisions quant à l'avancement de l'ensemble des promesses de Marc Fesneau, le ministère de l'Agriculture affirme qu'elles sont « en cours d'arbitrage », et qu'elles feront l'objet d'annonces la semaine prochaine.

Giulietta Gamberini

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Commentaires 8
à écrit le 13/01/2024 à 9:37
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Il faut confiner toutes les vaches de France et qu'elles ne puissent sortir qu'en faisant une attestation comme quoi le déplacement est vital ! Bien entendu toutes levs aches qui ont des professions essentielles elles devront après moult contrôles et...

le 13/01/2024 à 11:54
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Toujours votre insipide soupe neuronales prévue pour durer 1000 ans? L’ apparition du covid depuis la chine et qui a contaminé et tue quelques millions de personnes à travers le monde - en mettant en danger les autres par exemple les 12 millions ...

le 13/01/2024 à 16:01
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Elles au moins seraient heureuse de pouvoir sortir une heure jusqu’à 1 km autour de leur étable... Elles ont jamais été aussi loin sauf a leur fin quand on les emmène a abattoir...

le 13/01/2024 à 18:33
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@ miraculé: LOL ! @ aaa: C'est vrai qu'à elles cela leur ferait un répit.

à écrit le 13/01/2024 à 9:15
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Tout rentre sous le nom générique de "Covid" parce que cela impressionne d'en entendre vaguement parler d'un coté comme d'un autre, et, de se sentir encerclé ! Bref ! du terrorisme médiatique !

le 13/01/2024 à 16:02
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Il reste plein de vaccin a passer, et comme nous on en veut plus au vu des effets secondaires non reconnus et au vu de leur inefficacité réelle...

à écrit le 13/01/2024 à 9:15
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Donc si elle ne se transmet pas aux humains, ne nécessite pas l'abattage des troupeaux et n'est mortelle pour les animaux que dans un pourcent des cas, ce n'est pas la peine de dramatiser à l'excès non plus...

à écrit le 12/01/2024 à 17:38
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Le seul vrai fléau son le gouvernement. Déjà dans la Macronie les ministres ne servent a rien car seul le président décide et impose a tous. Et en plus avec les normes Européenne que la france durcie en plus sa complique encore leur travail.

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