Avant l'été, malgré une légère baisse des rendements, le plus grand optimisme était de mise. La campagne de commercialisation 2022-2023 du blé tendre français avait démarré « sous de bons auspices », se réjouissait en juillet l'Établissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer), qui prévoyait « des exportations françaises de blé tendre hors Union européenne en nette hausse », à 10,3 millions de tonnes, soit 17% de plus que lors de la campagne précédente.
Moins de deux mois plus tard, l'établissement se montre moins confiant. Malgré une amélioration de ses prévisions de collecte -qui sont passées de 30,5 à 31,4 millions de tonnes-, celles concernant les exportations françaises vers des pays tiers ont été revues à la baisse, de 10,3 à 10 millions de tonnes. Une multitude d'aléas, économiques, climatiques et géopolitiques, pèsent en effet sur l'avenir.
Une arrivée massive du blé russe sur les marchés
Parmi les facteurs susceptibles de les favoriser figure tout d'abord le prix à l'exportation du blé meunier français, qui reste très compétitif par rapport à la majorité des autres origines. Il est soutenu par la faiblesse de l'euro par rapport au dollar -monnaie de transaction sur la plupart des marchés agricoles-, qui favorise les exportations européennes. La qualité du blé français est en outre au rendez-vous cette année, alors que le repli des cours mondiaux du blé constaté depuis mai est susceptible de relancer globalement la demande des pays importateurs, malgré des prix encore plutôt élevés.
Le blé tendre français risque toutefois d'être durement concurrencé par le blé tendre russe, dont les prix sont encore plus compétitifs malgré les cours élevés du rouble -soutenu artificiellement par Moscou-, prévoit FranceAgriMer. Certes, selon les estimations de Reuters -formulées malgré l'arrêt par la Russie de toute communication sur ses données douanières depuis le début du conflit-, en juillet-août les exportations russes de blé ont baissé de 40% par rapport à l'année précédente. Mais « une arrivée massive du blé russe en deuxième partie de campagne ne peut pas être exclue », prévoit Marc Zribi, chef de l'unité grains et sucre de FranceAgriMer.
« On attend une très forte présence du blé russe à l'export », anticipe-t-il donc.
Des prix permettant de récupérer des devises
La Russie devrait en effet disposer d'une importante production cette année, de 85,4 millions de tonnes, dont 41 tonnes réservées à l'export. Elle est d'ailleurs déjà parvenue à couvrir 44% de la demande de l'Egypte, qui depuis début juin a acheté 3,3 millions de tonnes de blé -dont 910.000 tonnes expédiées par la France. Et les prix bas pratiqués par Moscou dépendent probablement non seulement de la qualité du blé et des gros volumes à écouler, mais aussi d'une volonté de récupérer des devises pour financer la guerre avec l'Ukraine, analyse Marc Zribi.
L'expert souligne toutefois l'existence d'autres facteurs susceptibles de rééquilibrer le jeu concurrentiel. Tout d'abord, les incertitudes sur la qualité du blé russe, dont une grande partie pourrait être compatible seulement avec une utilisation fourragère. Mais surtout, les doutes sur les capacités logistiques de la Russie, et l'éventuelle réticence des affréteurs potentiels face aux risques d'assurance, note Marc Zribi.
Le blé des pays de l'hémisphère Sud très attendu
Les exportations françaises sont d'ailleurs confrontées aussi à d'autres aléas. Si les prévisions concernant la production et les exportations ukrainiennes restent très faibles par rapport aux moyennes des années précédentes, le maintien ou pas de l'accord signé avec la Russie fin juillet sur la création de corridors maritimes sécurisés pèsera beaucoup sur les échanges internationaux. Des discussions entre la Russie et la Turquie devraient se tenir à ce sujet lors du Sommet de l'Organisation de Coopération de Shanghai à Samarcande, en Ouzbékistan qui a ouvert ses portes portes hier jusqu'à ce soir.
Dans un contexte mondial de maintien des productions 2022-2023 à des niveaux historiquement très élevés, malgré un léger recul par rapport à 2021-2022, l'arrivée sur le marché du blé des pays de l'hémisphère Sud -très différemment frappés par les aléas climatiques- risque aussi de rebattre les cartes. Sans compter les évolutions de la politique de la Banque centrale européenne (BCE) en matière de taux directeurs, ainsi que celles des prix du fret, les deux susceptibles de favoriser ou pénaliser les exportations européennes, notamment vers les pays proches du Moyen-Orient et d'Afrique.
Moins de demande par la Chine, plus par le Pakistan
Enfin, la demande des deux pays jouera. Tout d'abord celle de la Chine, dont les achats massifs ont dopé ces dernières années les prix du blé.
« Le Conseil international des céréales (CIC) a revu à la baisse les prévisions d'importations de la Chine en 2021-2022 », observe Marc Zribi, pour qui Pékin devrait ainsi moins peser sur les marchés mondiaux.
A la suite des inondations catastrophiques subies par le pays, les achats du Pakistan devraient en revanche être plus présents cette année, estime l'expert, en soulignant que des exportations françaises vers cette destination ont déjà été remarquées.
Globalement, « la situation reste très évolutive », résume-t-il.
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