Blé : les exportations françaises menacées par la concurrence agressive de la Russie

Malgré une amélioration de ses prévisions de collecte -qui sont passées de 30,5 à 31,4 millions de tonnes-, celles concernant les exportations françaises vers des pays tiers ont été revues à la baisse, de 10,3 à 10 millions de tonnes. Si plusieurs aléas économiques et géopolitiques vont peser sur les exportations hors UE, les exportations massives et compétitives de blé russe qui sont attendues risquent de concurrencer le blé tendre français. Explications.
Giulietta Gamberini
La Russie devrait en effet disposer d'une importante production cette année, de 85,4 millions de tonnes, dont 41 réservées à l'export.
La Russie devrait en effet disposer d'une importante production cette année, de 85,4 millions de tonnes, dont 41 réservées à l'export. (Crédits : Reuters)

Avant l'été, malgré une légère baisse des rendements, le plus grand optimisme était de mise. La campagne de commercialisation 2022-2023 du blé tendre français avait démarré « sous de bons auspices », se réjouissait en juillet l'Établissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer), qui prévoyait « des exportations françaises de blé tendre hors Union européenne en nette hausse », à 10,3 millions de tonnes, soit 17% de plus que lors de la campagne précédente.

Moins de deux mois plus tard, l'établissement se montre moins confiant. Malgré une amélioration de ses prévisions de collecte -qui sont passées de 30,5 à 31,4 millions de tonnes-, celles concernant les exportations françaises vers des pays tiers ont été revues à la baisse, de 10,3 à 10 millions de tonnes. Une multitude d'aléas, économiques, climatiques et géopolitiques, pèsent en effet sur l'avenir.

Une arrivée massive du blé russe sur les marchés

Parmi les facteurs susceptibles de les favoriser figure tout d'abord le prix à l'exportation du blé meunier français, qui reste très compétitif par rapport à la majorité des autres origines. Il est soutenu par la faiblesse de l'euro par rapport au dollar -monnaie de transaction sur la plupart des marchés agricoles-, qui favorise les exportations européennes. La qualité du blé français est en outre au rendez-vous cette année, alors que le repli des cours mondiaux du blé constaté depuis mai est susceptible de relancer globalement la demande des pays importateurs, malgré des prix encore plutôt élevés.

Le blé tendre français risque toutefois d'être durement concurrencé par le blé tendre russe, dont les prix sont encore plus compétitifs malgré les cours élevés du rouble -soutenu artificiellement par Moscou-, prévoit FranceAgriMer. Certes, selon les estimations de Reuters -formulées malgré l'arrêt par la Russie de toute communication sur ses données douanières depuis le début du conflit-, en juillet-août les exportations russes de blé ont baissé de 40% par rapport à l'année précédente. Mais « une arrivée massive du blé russe en deuxième partie de campagne ne peut pas être exclue », prévoit Marc Zribi, chef de l'unité grains et sucre de FranceAgriMer.

« On attend une très forte présence du blé russe à l'export », anticipe-t-il donc.

Des prix permettant de récupérer des devises

La Russie devrait en effet disposer d'une importante production cette année, de 85,4 millions de tonnes, dont 41 tonnes réservées à l'export. Elle est d'ailleurs déjà parvenue à couvrir 44% de la demande de l'Egypte, qui depuis début juin a acheté 3,3 millions de tonnes de blé -dont 910.000 tonnes expédiées par la France. Et les prix bas pratiqués par Moscou dépendent probablement non seulement de la qualité du blé et des gros volumes à écouler, mais aussi d'une volonté de récupérer des devises pour financer la guerre avec l'Ukraine, analyse Marc Zribi.

L'expert souligne toutefois l'existence d'autres facteurs susceptibles de rééquilibrer le jeu concurrentiel. Tout d'abord, les incertitudes sur la qualité du blé russe, dont une grande partie pourrait être compatible seulement avec une utilisation fourragère. Mais surtout, les doutes sur les capacités logistiques de la Russie, et l'éventuelle réticence des affréteurs potentiels face aux risques d'assurance, note Marc Zribi.

Le blé des pays de l'hémisphère Sud très attendu

Les exportations françaises sont d'ailleurs confrontées aussi à d'autres aléas. Si les prévisions concernant la production et les exportations ukrainiennes restent très faibles par rapport aux moyennes des années précédentes, le maintien ou pas de l'accord signé avec la Russie fin juillet sur la création de corridors maritimes sécurisés pèsera beaucoup sur les échanges internationaux. Des discussions entre la Russie et la Turquie devraient se tenir à ce sujet lors du Sommet de l'Organisation de Coopération de Shanghai à Samarcande, en Ouzbékistan qui a ouvert ses portes portes hier jusqu'à ce soir.

Dans un contexte mondial de maintien des productions 2022-2023 à des niveaux historiquement très élevés, malgré un léger recul par rapport à 2021-2022, l'arrivée sur le marché du blé des pays de l'hémisphère Sud -très différemment frappés par les aléas climatiques- risque aussi de rebattre les cartes. Sans compter les évolutions de la politique de la Banque centrale européenne (BCE) en matière de taux directeurs, ainsi que celles des prix du fret, les deux susceptibles de favoriser ou pénaliser les exportations européennes, notamment vers les pays proches du Moyen-Orient et d'Afrique.

Moins de demande par la Chine, plus par le Pakistan

Enfin, la demande des deux pays jouera. Tout d'abord celle de la Chine, dont les achats massifs ont dopé ces dernières années les prix du blé.

« Le Conseil international des céréales (CIC) a revu à la baisse les prévisions d'importations de la Chine en 2021-2022 », observe Marc Zribi, pour qui Pékin devrait ainsi moins peser sur les marchés mondiaux.

A la suite des inondations catastrophiques subies par le pays, les achats du Pakistan devraient en revanche être plus présents cette année, estime l'expert, en soulignant que des exportations françaises vers cette destination ont déjà été remarquées.

 Globalement, « la situation reste très évolutive », résume-t-il.

Giulietta Gamberini

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Commentaires 14
à écrit le 17/09/2022 à 20:27
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Je ne comprends pas pourquoi en période de mauvaise récolte française les productions locales subventionnées soient autorisées à exporter les fruits de nos impôts... Pour rappel l'Inde est le 2nd producteur mondial de blé et ne l'exporte pas po...

à écrit le 17/09/2022 à 2:37
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Cet article est de la politique fiction puisque les russes sont furieux de ne pas pouvoir exporter une seule once de blé depuis le début de la guerre. Le corridor a permis au blé ukrainien de passer mais pas le blé russe pour une raison toute simple,...

à écrit le 16/09/2022 à 19:52
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Bonjour, La guerre direct ou indirecte conduisent à une confrontation économique et a une concurrence loyale ou non sur les marchés.... La Russie dois vendre sont blé à perte pour réduire les exportations françaises et européennes... Mais , person...

à écrit le 16/09/2022 à 17:14
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nous avons trop de blé et pourtant, quand la guerre en Ukraine à commence le ble a pris 30 % CE N'etait pas justifie nos agriculteurs '(chasseurs de primes) se sont bien engraissés que maintenant ils ne viennent pas pleurer

à écrit le 16/09/2022 à 12:38
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0,3, c'est presque l'épaisseur du trait. Pas de quoi en faire une pour que tout le monde se gargarise avec la géopolitique, la crise russo-ukrainienne, la faim dans le monde et le tutti quanti. On dirait qu'on s'ennuie grave, chez les intellos paris...

à écrit le 16/09/2022 à 10:56
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Mme von der Leyen, qui s’est déjà rendue à deux reprises à Kiev depuis le début de la guerre lancée par la Russie, a proposé d’accorder à l’Ukraine « un accès aisé au marché unique européen » et de l’intégrer à la zone d’itinérance (roaming) gratuite...

le 16/09/2022 à 12:34
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L'agriculture d'exportation n'a aucun avenir en France. Il faut se concentrer sur les circuits courts et favoriser des prix plus élevés pour l'agriculture de qualité et de proximité et pénaliser les importations pour leur impact environnemental. Il...

à écrit le 16/09/2022 à 8:56
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La Russie brade ses ressources pour financer sa guerre. Nous pouvons stocker le blé et le vendre à meilleures conditions dans quelques mois.

le 16/09/2022 à 9:51
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Heureusement que vous êtes là , personne n'y avait pensé avant vous ! Pour info ce qui vaut 160€ la tonne à la récolte passe à 240 € dès novembre et souvent plus dans les mois qui suivent .

le 16/09/2022 à 9:59
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Vous avez raison, on stock et attend l'année prochaine voir 2027...

à écrit le 16/09/2022 à 8:55
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La Russie brade ses ressources pour financer sa guerre. Nous pouvons stocker le blé et le vendre à meilleures conditions dans quelques mois.

le 16/09/2022 à 12:22
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En voila un qui découvre le fil à couper le beurre !!! Il en est toujours ainsi de 160 euros la tonne à la récolte les prix grimpent dans les semaines et mois qui suivent pour atteindre par fois 240 euros ..... et il arrive aussi parfois que les si...

à écrit le 16/09/2022 à 8:22
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Donc, si je comprends bien, les pâtes ne vont pas augmenter ? ;-)

le 16/09/2022 à 10:20
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Le blé meunier est coupé avec du blé de fourrage ( qualité animal ) quand les récoltes sont de qualité olé-olé. C'est la qualité nutritionnelle du grain qui détermine son usage ( ou sa détérioration, souillure ), la destination industrielle ( amidon...

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