
Fruits préférés des Français, les fraises pourraient manquer à l'appel dans les rayons des supermarchés, en particulier celles françaises. « Certaines enseignes ne les ont même pas encore référencée dans leurs rayons, ou alors y dédient une toute petite place sur les étals », alertait ainsi Emeline Vanespen, directrice de l'Association d'Organisations de Producteurs nationale (AOPn) de Fraises de France, dans un communiqué le 22 mars dernier.
Selon elle, l'inflation qui a fait grimper le montant du panier des consommateurs depuis plus d'un an pousse, en effet, la grande distribution à privilégier des fraises moins coûteuses, produites ailleurs en Europe, notamment en Espagne, « alors même que les injonctions durant la crise sanitaire étaient de consommer français ». Et bien que certaines enseignes « ont pris conscience qu'on ne pouvait pas laisser la filière française complètement tomber », souligne Xavier Mas, président de l'AOPn, il s'inquiète de la concurrence étrangère qui propose « un produit contre lequel on ne peut pas lutter ». « Les charges de producteurs espagnols sont bien inférieures à celles imposées en France, de même pour les coûts de main d'œuvre. La réglementation y est, également, moins contraignante », explique-t-il.
Pour se différencier, les producteurs français ont opté pour une variété différente de fraises, la gariguette. « C'est une stratégie qu'on a développée depuis une quinzaine d'années car, si nous proposions la même variété que celles importées, il serait difficile de justifier la différence de prix ». Plus fragiles, les gariguettes offrent toutefois un rendement plus faible. « On ramasse le fruit lorsqu'il est mûr. Il se conserve donc moins bien. On ne peut pas le garder trois à quatre jours ce qui nous oblige à avoir des flux de vente réguliers », détaille Xavier Mas. Une caractéristique qui rend impossible l'exportation de gariguettes venues d'autres pays sur le marché français, mais qui fait grimper les prix des fraises produites localement, freinant ainsi les consommateurs de l'Hexagone.
Des « marges excessives » de la grande distribution
D'autant que, selon l'Aopn, certaines enseignes de grande distribution appliquent aux fraises françaises « des marges excessives ». « On a vu des marges parfois de 100% amenant à un prix complètement prohibitif, par exemple de 4 euros la barquette de 250 grammes, soit 20 euros le kilo », raconte Xavier Mas. Pourtant, « la saison de la fraise française bat son plein et les volumes ne cessent d'augmenter, ce qui devrait plutôt faire baisser les prix », prévoit l'association qui dénonce le fait que, « paradoxalement, les fraises ne sont pas achetées plus cher que l'année passée aux producteurs ». Or, ils subissent de plein fouet les conséquences de l'inflation, rappelle Xavier Mas qui pointe une hausse des coûts de 10 à 30%, notamment ceux des emballages, des engrais, du transport ainsi que de la main d'œuvre « qui a augmenté de 8 à 10% ».
« L'objectif de la grande distribution est de continuer à appliquer des marges intéressantes, tout en proposant un prix peu élevé », abonde Françoise Roch, présidente de la Fédération nationale des producteurs de fruits (FNPF), qui constate que ce phénomène ne se limite pas aux fraises, mais touche également les pommes françaises auxquelles la grande distribution préfère parfois celles venues de Pologne, moins coûteuses. Elle s'inquiète d'ailleurs de voir les consommateurs français, à terme, se détourner totalement des fruits et légumes produits en France du fait d'un prix trop élevé. « Pour l'instant, les distributeurs se fournissent encore en produits français, puisqu'il y a de nombreux consommateurs qui font l'effort de privilégier ces produits. Mais le jour où ils ne le feront plus, car ils seront devenus trop chers, comme c'est le cas actuellement pour le bio dont les ventes ont chuté, il n'y aura plus de fruits et légumes français dans les rayons », alerte-t-elle.
Interrogé, Carrefour assure pratiquer « des taux de marge sur cette famille de produits inférieurs à la moyenne du rayon », se disant « attentifs au niveau de prix des produits et très vigilants à rester compétitif pendant les mises en avant ».
Concernant la présence de fraises françaises dans ses rayons, l'enseigne affirme privilégier la vente de ces dernières « en offrant aux consommateurs une gamme large et en dynamisant les ventes avec des promotions ». Toutefois, « nous conservons une entrée de gamme avec une barquette de fraises espagnoles, en particulier en début de saison, pour permettre à tous nos clients de se faire plaisir, mais nous privilégions en priorité les fraises d'origine française », ajoute Carrefour. Interrogé par La Tribune, Leclerc n'a pas souhaité répondre.
Effet pervers de l'encadrement des négociations
Pour autant, ni Françoise Roch, ni Xavier Mas n'appellent à davantage de régulation dans les relations entre producteurs et grande distribution. Tous deux se félicitent d'ailleurs que les fruits et légumes ne soient pas concernés par l'une des mesures de la loi Descrozaille adoptée par le parlement le 22 mars dernier et qui prévoit que le seuil de revente à perte (SRP+10) soit prolongé jusqu'au 15 avril 2025. Selon ce dispositif, les distributeurs sont contraints de vendre les produits alimentaires au minimum au prix où ils les ont achetés, majoré de 10%. Une mesure destinée à améliorer la rémunération des agriculteurs, mais qui a « l'effet inverse », selon Xavier Mas. « Dans le cas des prix promotionnels, qui sont fixés à l'avance, les 10% de marge imposée au distributeur étaient finalement déduits du prix payé au producteur », explique-t-il.
« À chaque fois que des normes et obligations sont imposées à la grande distribution, elle parvient à les contourner en partie et cela ne va jamais dans le sens du producteur, » résume Françoise Roch du FNPF qui plaide, elle, pour un « système qui parte du prix producteur et qui remonte au prix consommateur ». Autrement dit, instaurer un prix minimum d'entrée sur le marché français s'appliquant donc aux producteurs locaux comme étrangers. Ce prix devrait être égal ou supérieur au coût de production moyen dans les conditions sociales et salariales françaises. « Mais, on nous a répondu que c'était interdit par l'Europe », regrette-t-elle.
Pour l'AOPn comme pour la FNPF, plutôt qu'une réglementation des négociations de prix, la priorité tient davantage à un soutien plus fort aux producteurs de la part de l'Etat, notamment via le plan de soutien de l'agriculture biologique annoncé par le ministre Marc Fesneau en mars dernier au Salon de l'agriculture. « Ce qu'on attend, c'est un soutien à l'investissement dans la production pour protéger nos cultures, progresser techniquement, parvenir à faire davantage d'économies d'eau, d'engrais, mais aussi développer la recherche », détaille Xavier Mas. « L'Etat doit redonner des moyens de production aux agriculteurs en desserrant les étaux administratifs législatifs afin de redonner de l'air de la visibilité », abonde Françoise Roch.
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