« Je n'imagine pas l'Europe exporter des voitures électriques » (Laurent Favre, Plastic Omnium)

ENTRETIEN. Porté par un chiffre d'affaires en hausse de 35% ce semestre et l'annonce d'une méga-usine de réservoirs à hydrogène aux Etats-Unis il y a quelques semaines, Plastic Omnium tente de tirer son épingle du jeu. Electrification à marche forcée, digitalisation, arrivée de nouveaux constructeurs... Le secteur automobile est soumis à de profondes mutations. En conséquence, l'équipementier français est contraint de revoir sa stratégie de développement. Explications de Laurent Favre, directeur général de Plastic Omnium.
Laurent Favre a remplacé Laurent Burelle à la direction général en 2020.
Laurent Favre a remplacé Laurent Burelle à la direction général en 2020. (Crédits : DR)

LA TRIBUNE - Plastic Omnium est au cœur de la transition vers l'électrique qui s'opère au sein des marchés automobiles mondiaux. Quel regard portez-vous sur la voie drastique adoptée par l'Union européenne, avec l'interdiction de vente des moteurs thermiques en 2035 ?

LAURENT FAVRE - Le politique n'a pas vocation à être un prescripteur, mais plutôt un régulateur. Il doit être agnostique en matière de technologie et de stratégie industrielle. Avec la volonté d'interdire les ventes de nouvelles voitures thermiques à partir de 2035, l'Europe entre en territoire inconnu. Nous, industriels du secteur automobile, voyons encore beaucoup d'incertitudes sur la vitesse à laquelle l'électrique va prendre son essor. Et qui plus est, depuis quelques mois, on constate un ralentissement marqué du développement des voitures électriques. Ces véhicules ne sont pas du tout compétitifs et je n'imagine pas l'Europe exporter des voitures électriques.

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D'ailleurs, la Chine est devenue premier exportateur de voitures cette année, et ce, grâce à cette technologie. La production européenne va souffrir, et si nous arrivons à maintenir notre production actuelle, ce sera déjà une performance. Il faut maintenant que l'on s'adapte, et, mieux encore, que l'on anticipe face à tous ces nouveaux acteurs qui sont en train d'émerger et qui captent de plus en plus de parts de marché.

Comment faire, justement, pour anticiper et se distinguer dans ce marché de l'automobile remanié ?

Il y a d'abord un enjeu technologique. Nous continuons de développer notre activité historique des pièces de carrosserie, ainsi que l'éclairage, à la suite de nos récentes acquisitions (AMLS et Varoc Lighting Systems), car toutes les voitures, qu'elles soient thermiques ou électriques, sont équipées de ce type de pièces. Pour nous adapter aux enjeux d'une mobilité durable, nous avons opéré une forte stratégie de diversification dans l'éclairage, l'hydrogène et l'électrification. Par exemple, si nous continuons à produire des réservoirs à essence pour les véhicules thermiques, nous anticipons que cette activité, qui représentait 30% de notre chiffre d'affaires en 2018-2019, ne pèsera plus que 15 à 20% en 2030.

Le deuxième enjeu est géographique. Si nous réalisons aujourd'hui 50% de notre chiffre d'affaires en Europe, une grande partie de nos investissements se fait déjà en Amérique du Nord et en Asie. À l'heure actuelle, 70% de nos commandes sont prises hors d'Europe. Il est important pour nous d'avoir un meilleur équilibre géographique de nos activités. Enfin, nous diversifions notre portefeuille de clients avec les nouveaux acteurs de la mobilité électrique comme Tesla ou BYD.

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Vous évoquez le fait de continuer les réservoirs à essence, n'est-ce pas à contre-courant de ce qu'il se passe actuellement ?

À l'heure actuelle, les voitures électriques représentent un peu plus de 10% du marché mondial. Ce qui veut dire que les 90% restants ont encore un réservoir à essence ou diesel. Si on se projette à 2030, et même à 2040, la moitié de la production automobile mondiale devrait toujours embarquer un moteur thermique.

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Certes, le marché européen va se tarir, compte tenu de la réglementation, mais d'autres régions du monde vont continuer à se développer. Nous continuons cette activité en tenant compte du fait que ce marché va se consolider autour de moins d'acteurs. L'objectif pour Plastic Omnium est de bénéficier de sa position de leader pour augmenter ses parts de marché, de 22%, aujourd'hui à 30% en 2028. Ce gain de part de marché compensera partiellement la baisse des volumes.

Vous avez aussi misé sur le développement de l'hydrogène, pourquoi ?

Parce que nous sommes intimement persuadés que la mobilité individuelle va jouer un rôle important, mais qu'il n'y aura pas plus de voitures, en volume, qui se vendront dans le monde dans dix ans. La croissance que nous avons connue ces cinquante dernières années est probablement derrière nous, et le marché devrait rester stable. Nous misons sur l'hydrogène comme porte d'entrée vers les mobilités lourdes (camions, bus, etc) et commerciales pour lesquelles il y a de gros enjeux de décarbonation. C'est la raison pour laquelle Plastic Omnium s'est positionné sur l'ensemble de la chaîne de la valeur : des réservoirs à la pile à combustible avec une coentreprise en Allemagne, en passant par le système complet avec par exemple l'électronique, la gestion des pressions et des températures...

La France a d'ailleurs présenté un plan hydrogène bas carbone de 9 milliards d'euros. De façon générale, l'Europe pousse-t-elle suffisamment sur cette énergie, essentielle pour la décarbonation des mobilités lourdes ?

En Europe, nous avons structurellement les atouts pour être les champions de l'hydrogène avec des entreprises pionnières, les technologies et les énergies renouvelables nécessaires à la production. Malheureusement, l'Europe a aussi une fâcheuse habitude de surréguler et de se complexifier la tâche. Elle ne transforme pas l'essai. Nous sommes pourtant partis avant les autres, mais nous sommes en train de nous faire rattraper par les États-Unis, qui sont plus rapides et agiles, et bien évidemment par la Chine. La vraie clé en Europe sera de nous doter rapidement des infrastructures hydrogène. La vitesse est très importante. Il faut par exemple attendre 3 ans pour un dossier européen de subventions. Aux États-Unis, c'est 6 mois.

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Cette rapidité de mise en œuvre américaine vous a permis d'annoncer l'implantation de la plus grosse usine de réservoirs à hydrogène aux Etats-Unis il y a quelques semaines. Combien de projets comme celui-ci avez-vous ?

Ces prochaines années marqueront la montée en puissance industrielle de nos activités hydrogène, partout dans le monde. Nous avons pour l'instant une usine pilote en Belgique, attenante à l'usine traditionnelle, qui produit notamment pour Alstom les réservoirs des trains à hydrogène et des bus Mercedes. Il y a une autre usine pilote, en plus de celle que l'on va construire, dans le Michigan, également attenante à une usine traditionnelle, qui produit pour des camions destinés aux pompiers et aux ambulanciers.

En France, nous sommes en train d'en construire une près de Compiègne, qui va équiper en réservoirs les véhicules utilitaires de Renault et de Stellantis. Nous construisons enfin une usine en Corée du Sud et mettons en place des capacités de production en Chine à Shanghai, là aussi pour des camions et des bus. Toutes produiront à partir de 2026 avec une forte montée en puissance et des embauches à la clef. Nous prévoyons un chiffre d'affaires de 3 milliards d'euros sur l'hydrogène en 2030, alors que nous sommes à une vingtaine de millions d'euros cette année.

L'usine de Compiègne est le symbole de la transformation de l'ancienne usine de réservoirs à essence vers une nouvelle usine de réservoirs à hydrogène. Comment cela va-t-il se passer ?

L'usine de Compiègne, la plus grande d'Europe, se situera à quelques kilomètres de notre usine historique qui produit des réservoirs à essence. La grande majorité des collaborateurs sera transférée de l'une à l'autre. La mise en route de l'usine est prévue pour la fin d'année prochaine. Nous produirons jusqu'à 80.000 réservoirs par an avec un bilan carbone neutre. D'ici 5 ans, 3 à 4 usines sur nos 40 actuelles qui produisent des réservoirs à essence seront transformées de la même manière que celle de Compiègne.

Vous avez parlé de vous diversifier géographiquement. Quels pays seront stratégiques pour le développement de vos activités ?

Le Maroc, dans un premier temps, est l'un des marchés clés pour Plastic Omnium. Nous avons actuellement 3 usines de production là-bas, notamment pour Stellantis et Renault, mais aussi une usine spécialisée dans l'éclairage qui produit pour les constructeurs français et allemands. Aussi, les coûts et les compétences étant compétitifs, plusieurs constructeurs devraient être amenés à augmenter leur capacité de production sur ce territoire.

Nous regardons aussi l'Inde, qui va continuer à se développer, pas seulement pour son marché interne, mais comme pays de production pour l'export. L'un des grands enjeux de l'électrique va être le prix des voitures et l'Inde est un marché stratégique pour y parvenir, avec les bonnes compétences et une main-d'œuvre à bas coûts. Nous allons construire une nouvelle usine là-bas, dans la région de Pune, où une autre usine avait déjà été installée. Nous l'annoncerons prochainement.

La Chine est également un de vos terrains privilégiés, comment avez-vous réussi à vous imposer sur ce marché très difficile ?

Nous sommes présents en Chine depuis très longtemps, comme beaucoup d'autres acteurs du secteur. Comme nous y avons une empreinte industrielle très forte avec plus de 40 usines et les compétences associées, nous pouvons servir rapidement les nouveaux arrivants comme Tesla ou encore les constructeurs chinois comme BYD ou NIO qui exportent en Europe. Résultat, sur notre activité principale des pare-chocs, nous avons plus de 25% de part de marché en Chine.

Plastic Omnium a réussi à traverser les récentes crises de l'automobile, comment voyez-vous l'avenir ?

Nous avons enregistré une croissance de 35% ce premier semestre grâce à une forte présence auprès des nouveaux acteurs de la mobilité et à notre positionnement sur le secteur premium. Ce dernier ne souffre pas des crises. D'ailleurs, j'ai la conviction que le premium continuera de croître dans les années à venir. Porsche, BMW, Mercedes ou encore Land Rover représentent plus de 40% de notre chiffre d'affaires. Les bonnes technologies, une présence géographique uniforme, la capacité de travailler avec de nouveaux entrants et notre position sur le premium sont des clés qui nous permettent d'avoir une croissance solide et équilibrée à l'avenir.

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Commentaires 10
à écrit le 21/09/2023 à 7:07
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Évidemment qu'ils vont exporter massivement leurs voitures vu que c'est ce que les gens peuvent payer, et Évidemment que la france sera d'accord vu qu'elle dépend des batteries chinoises, et de l'ensemble des matières premières sur lesquelles la chin...

à écrit le 20/09/2023 à 21:20
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La voiture électrique ? Vous parlez d'une innovation !! Tout changer pour que rien ne change n'est qu'une perte de temps pour les uns et un gain financier pour les autres ! ;-)

à écrit le 20/09/2023 à 18:10
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Un ralentissement des VE? Ou a t il vu cela? Ce monsieur a un discours curieux: parce que nos industriels sont en retard, il faudrait retarder la transition vers des véhicules qui sont plus économiques à l'usage et qui nous permettrons une fois le s...

à écrit le 20/09/2023 à 13:57
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Comment dire tout et son contraire... Ce monsieur parle d'un ralentissement des ventes de VE et quasiment dans la même phrase de la première place de la Chine grâce à l'augmentation des ventes de VE. C'est de la mauvaise foi pour continuer à vendre d...

à écrit le 20/09/2023 à 11:34
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Les constructeurs automobiles européens avec leurs grosses marges bénéficiaires pour les actionnaires sont tellement dépassés qu'en effet, le fait même qu'ils les produisent ces voitures électriques alors que les coréens, les chinois, les américains ...

le 20/09/2023 à 12:43
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Pour vendre des voitures électriques, il faut installer toute une infrastructure de bornes de recharge, de centres de maintenance, et il faut également que la production d’électricité puisse absorber cette surconsommation…… Cela a déjà bien du mal à ...

le 20/09/2023 à 13:06
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il est evident que de suivre le maire du havre mieux vaut acheter a la chine que de produire en france raisonnement suivi et encourage par bon nombre de nos soit disant elite qui ont ruine la france

le 20/09/2023 à 13:11
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Si on prend le 15 dernières années les constructeurs européens sont très peu rentables en moyenne pour l'actionnaire. Par exemple l'action Renault est à 38 euros et elle était aux alentours de 90 euros en 2007 et aux alentours de 70 euros en 2018. Le...

le 20/09/2023 à 13:53
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@ reponse de 0zarmes. C'est une des raisons qui pousse les Chinois à exporter massivement leurs VE. En Europe, les infrastructures de recharge se développent rapidement avec une électricité qui se decarbone aussi plus rapidement qu'en Chine. Indépend...

le 20/09/2023 à 18:59
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"Si on prend le 15 dernières années les constructeurs européens sont très peu rentables en moyenne pour l'actionnaire." Je veux bien le croire puisque même si on met de la grosse marge bénéficiaire si on vend peu on ne s'y retrouve quand même pas. Pa...

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