La voiture d'occasion, un marché en transition à 600 milliards d'euros en Europe

Consolidation, levées de fonds, introductions en Bourse... Le marché de la voiture d'occasion (VO) suscite de nouveau l'intérêt. Banques, constructeurs et distributeurs tentent de trouver la bonne formule pour rationaliser un marché essentiellement de particuliers à particuliers, mais particulièrement résilient comme il l'a encore démontré durant la crise sanitaire...
Nabil Bourassi
Depuis plusieurs mois, il semblerait que le marché de la voiture d'occasion suscite de nouveau l'intérêt. Plus spectaculaire, Aramis Auto, filiale de Stellantis, est entré en Bourse en juin.
Depuis plusieurs mois, il semblerait que le marché de la voiture d'occasion suscite de nouveau l'intérêt. Plus spectaculaire, Aramis Auto, filiale de Stellantis, est entré en Bourse en juin. (Crédits : Aramis)

C'est une véritable arlésienne... La rationalisation du marché de la voiture d'occasion est une vieille rengaine chantée depuis des années par les constructeurs mais aussi les banques, à travers leurs filiales de financement de flottes. La thématique était revenue sur le devant de la scène il y a quatre ans lorsque différentes startups avaient tenté une nouvelle approche sur ce marché qui représente deux fois le marché du neuf. En vain... Le marché de la voiture d'occasion reste désespérément un marché de particuliers, pour les deux tiers des transactions.

"Le véhicule d'occasion a tout d'un marché imparfait : il y a peu d'acteurs structurés, des produits qui ne sont pas standardisés, une incertitude sur le produit et sur le paiement. Tous les ingrédients étaient réunis pour réclamer une professionnalisation d'un marché pourtant énorme", résume Guillaume Crunelle, associé au cabinet Deloitte et spécialiste de l'automobile.

Les initiatives n'ont pourtant pas manqué: digitalisation du parcours d'achat, sécurisation des transactions, lancement de labels dédiés, émergence d'offres de leasing sur des voitures d'occasion... Aucun acteur n'est parvenu à réinventer ce marché évalué à près de 600 milliards d'euros en Europe.

Les banques à l'offensive

Mais depuis plusieurs mois, il semblerait que le marché de la voiture d'occasion suscite de nouveau l'intérêt. La Société Générale, via sa filiale ALD, a mis la main sur la startup Reezocar. Plus spectaculaire, Aramis Auto, filiale de Stellantis, est entré en Bourse en juin. Suivi par CarNext, filiale de LeasePlan (un établissement financier néérlandais spécialisé dans le financement de flotte automobile) qui a annoncé une levée de fonds de 400 millions d'euros.

Avec ces deux dernières opérations, il semblerait que les acteurs de la voiture d'occasion se structurent dans un objectif de leadership européen... La principale difficulté de ce marché est de sécuriser ses approvisionnements en voitures d'occasion, et ainsi créer un effet volume. Pour un acteur comme Aramis Auto qui se distingue grâce à son centre de reconditionnement, cet effet volume est impératif, et il était urgent d'accéder à un marché plus large que le seul marché national. Il a ainsi racheté Clicars en Espagne (2017) et Cardoen en Belgique (2018), et plus récemment, Carsupermarket (mars 2021).

Les constructeurs automobiles, eux, ne parviennent toujours pas à préempter ce marché, au contraire des banques, mieux structurées et disposant d'un accès privilégié aux capitaux nécessaires. Pourtant, les enjeux pour les constructeurs automobiles sont majeurs.

"La réalité c'est que les constructeurs automobiles sont concentrés sur un marché de 2,5 millions de voitures neuves, alors que le parc roulant est de plus de 35 millions de véhicules", rappelle ainsi Guillaume Crunelle.

"Il y a un enjeu de valeur dans la gestion des seconds et troisièmes cycles d'un véhicule. Pour les constructeurs automobiles, c'est même vital au moment où ils cherchent à étendre leur chaîne de valeur", ajoute-il.

Elargir la chaîne de valeur, impératif pour les constructeurs

Car les constructeurs automobiles sont sous pression. Les investissements dans la voiture électrique ou autonome, la connectivité, tirent les marges vers le bas. Ils cherchent des gisements de profitabilité partout dans la chaîne de valeur...

Il s'agit donc de capter une clientèle dans la durée et l'accompagner à travers un écosystème de services de maintenance ou autres. Cette nécessaire révision du parcours client est complexe à mettre en place car les constructeurs ne sont pas toujours propriétaires de leurs réseaux, et harmoniser les process avec des groupes de distribution relèvent de la gageure tant cela empiète sur leurs prérogatives commerciales. Surtout, il implique de réévaluer le partage de la valeur. Dans un contexte de renégociation des contrats de concessions sur la vente de voiture neuve, la question touchant le VO est hautement explosive entre les constructeurs et leurs réseaux.

D'autant que le gâteau est particulièrement stable et résilient comme il l'a encore prouvé pendant la crise sanitaire. Tandis que le marché du neuf s'est effondré de 25% sur l'ensemble de l'année 2020, celui du VO, lui, est resté étonnamment stable.

"Comme lors de la crise de 2009, le marché du VO s'est montré très résilient en 2020", observe Alexandru Marin vice-président de Auto1 Group, un des groupes leaders en Europe sur le marché de la voiture d'occasion.

D'après lui, le marché est désormais mûr pour basculer dans l'ère du digital. "Le VO est un terrain de jeu propice pour innover, au moment où les gens veulent justement consommer autrement, mais aussi changer de véhicules dans un contexte de prise de conscience environnementale", analyse-t-il.

Des nouveaux business

La bataille du VO pourrait donc se télescoper à celle de la mobilité de demain avec comme enjeu, l'offre la plus innovante qui répond aux usages de chacun. La difficulté est de bâtir une offre qui soit suffisamment souple pour répondre à ces usages de plus en plus segmentés (offre à la journée, semaine, mois, années...). Mais les constructeurs risquent d'être mis en difficulté puisque les grands groupes de distribution se positionnent d'ores et déjà sur ces sujets et disposent du réseau, mais également de stocks disponibles prêts à être monétisés sous forme de location courte ou longue durée, leasing...

Mais la filière est plus complexe qu'elle n'y paraît: gestion des stocks, des approvisionnements... "Le marché doit se professionnaliser pour installer la confiance des consommateurs, et pour cela, il est absolument nécessaire de maîtriser toute la chaîne de valeur", avance Alexandru Marin.

Le potentiel de croissance est immense... Avec les deux tiers du marché à conquérir, il y a de la place pour beaucoup d'acteurs. "Pour le moment, les opérations capitalistiques dans le VO restent modestes face à la taille réelle de ce marché", observe Guillaume Crunelle. Pour Alexandru Marin toutefois, l'enjeu est clair: "le sens de l'histoire c'est de devenir un acteur à taille européenne".

Nabil Bourassi

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 3
à écrit le 20/07/2021 à 5:35
Signaler
S'il faut en croire tous les articles de presse depuis la loi climat de Bruxelles, le marché de l'occasion thermique vit ses dernières heures. Compte tenu de l'investissement, qui va acheter un véhicule, même d'occasion, au final interdit ?

le 21/07/2021 à 14:12
Signaler
Au contraire, il va vivre sa future période de gloire. La fin de la vente des véhicules thermique NEUF est prévue. Mais les véhicules thermiques vont continuer a se vendre d'occasion pendant encore 30 ans. Or tout le monde ne va pas avoir les moyens ...

à écrit le 19/07/2021 à 18:52
Signaler
Et bien au nom du bon sens et de l'économie circulaire qu'ils arrêtent de détruire des bagnoles en bon état.

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.