Renault : l'heure du grand procès pour le scandale des faux espions

Ce mercredi, s'ouvre le procès des faux espions chez Renault. Lancée en 2011 par une lettre anonyme, cette affaire est très vite devenue un scandale, avec pour conséquence le licenciement de trois cadres du groupe, qui selon les conclusions de l'enquête judiciaire, n'étaient pas impliqués. Un épisode trouble de l'ère Carlos Ghosn, ex-PDG de Renault, qui avait entamé l'image du constructeur à l'époque. Retour sur la chronologie de cette affaire, dont certaines questions restent, à ce jour, sans réponse.
Mathieu Viviani
Ce fiasco avait donné une image catastrophique du groupe automobile et entraîné la démission de l'ex-numéro 2 du constructeur, Patrick Pélata.
Ce fiasco avait donné une image catastrophique du groupe automobile et entraîné la démission de l'ex-numéro 2 du constructeur, Patrick Pélata. (Crédits : CHRISTIAN HARTMANN)

Chez le géant de l'automobile Renault, ce scandale a beau être vieux de plus de dix ans, son échos retentit encore aujourd'hui. Et ce sera tout particulièrement le cas du  mercredi 17 au vendredi 26 janvier prochain, où l'affaire sera mise à la délibération des juges à l'occasion d'un procès à la 11e chambre du tribunal correctionnel de Paris. Dans le box des accusés, quatre personnes comparaissent pour association de malfaiteurs en vue d'escroquerie ou violation du secret.

Une lettre anonyme, l'étincelle qui lance l'affaire en 2010

Pour comprendre les tenants et les aboutissants de cette affaire, qui a éclaté sous la direction de l'ex-PDG de Renault Carlos Ghosn, il est indispensable de remonter à l'année 2010. Tout débute cette année par une lettre anonyme envoyée le 17 août chez le constructeur de voitures français : trois salariés occupant des postes sensibles auraient, soi-disant, accepté des pots-de-vin en échange d'informations confidentielles.

L'enquête interne, confiée au service de sécurité du constructeur, révèle très vite « des flux financiers importants et anormaux » sur des comptes bancaires au Liechtenstein et en Suisse, via des sociétés écrans, notamment depuis des entreprises chinoises. De là, la machine s'emballe... avec des soupçons d'espionnage industriel autour du programme phare de voitures électriques que développe Renault à ce moment-là. Ce, sur fond de rumeurs d'une implication de la Chine, qui se défend d'accusations « inacceptables ».

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Le ministre de l'Industrie d'alors, Eric Besson, parle de « guerre économique », le numéro 2 du constructeur de l'époque, le polytechnicien Patrick Pélata, assure que son entreprise est « victime d'une filière organisée internationale ». En janvier 2011, les trois salariés - qui nient farouchement - sont finalement licenciés. Renault dépose plainte, notamment pour corruption et livraison d'informations à une puissance étrangère. En réponse, les avocats de deux cadres mises en cause portent plainte pour « dénonciation calomnieuse ».

Les premiers doutes apparaissent

Très vite cependant, les policiers ont des doutes. Renault refuse de leur transmettre l'identité de la « source » de Dominique Gevrey, l'ex-militaire de la DGSI chargé de l'enquête interne, à l'origine des révélations. Et puis le profil des salariés ne colle pas : parcours irréprochables, des décennies chez Renault pour deux d'entre eux, et le troisième, embauché à 19 ans, est un pur « Renault boy ».

Quand bien même, fin janvier 2011 pourtant, le PDG Carlos Ghosn défend l'enquête interne. Renault a bien des preuves, « multiples », de l'espionnage, assure-t-il lors d'un grand entretien sur TF1. Mais... c'est un revirement complet qui intervient quelques semaines plus tard : « je me suis trompé », confesse-t-il sur le même plateau TV : « Nous nous sommes trompés et, d'après les conclusions que nous avons entendues du procureur de Paris, il semble que nous ayons été trompés ».

La tromperie devient de plus en plus claire

Au fil des avancées, les enquêteurs ont, eux, bien démontré que les accusations avaient été montées de toutes pièces à partir de rapports prétendument confidentiels, alimentés par la mystérieuse source de Dominique Gevrey, grassement payée par Renault. Car dans le dossier de Renault où les trois salariés visés ont été renommés « Roi mage » (l'un d'eux s'appelle Michel Balthazard), « Père Noël et Saint-Pierre », il n'y avait que des faux numéros de comptes à l'étranger, aucun transfert occulte ni aucune société chinoise.

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L'accusation soupçonne Dominique Gevrey, 65 ans, d'avoir « trompé » Renault pour lui soutirer quelque 300.000 euros pour payer sa « source »... qui, en réalité, n'aurait jamais existé. Jugé pour escroqueries, il assure qu'il s'est fait avoir et n'a joué que le « facteur », explique son avocat, Me Jean-Paul Baduel. Arrêté en mars 2011 alors qu'il s'apprêtait à s'envoler pour la Guinée, il a passé huit mois en détention provisoire.

Un consultant en sécurité, Michel Luc, est lui renvoyé pour faux et complicité d'escroquerie, pour avoir envoyé des fausses factures à Renault et remis espèces et virements à Dominique Gevrey. Marc Tixador, ex-policier également chargé de l'enquête interne, est lui jugé pour recel de violation du secret professionnel. « Il n'a jamais été soupçonné d'avoir participé à l'escroquerie », insiste son avocate, Me Fanny Colin. Quant aux deux des trois cadres blanchis ont quitté Renault. Le troisième y est resté et y travaille toujours.

Image catastrophique pour Renault

Ce fiasco avait donné une image catastrophique du groupe automobile et entraîné la démission de l'ex-numéro 2 du constructeur, Patrick Pélata, désormais administrateur indépendant pour diverses sociétés, dont Safran, selon son profil sur le réseau social Linkedin. Les enquêteurs avaient pointé du doigt l'amateurisme de Renault dans la gestion de cette crise, qui s'est constitué partie civile. L'avocat de l'entreprise n'a pas souhaité s'exprimer avant le procès.

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En 2011 déjà, des enseignements avaient été tirés sur cette affaire retentissante. Interrogé par l'AFP à l'époque, Christian Harbulot, co-fondateur et directeur l'Ecole de guerre économique (EGE) analysait le sujet en ces termes :

« Symboliquement, Renault a perdu une bataille puisque son image est affectée, mais l'entreprise peut encore marquer des points si elle prend conscience que le succès, aujourd'hui, repose au moins autant sur la manière de mener la guerre économique que sur le business, l'innovation ou la force de vente. »

Et de faire la promotion des cours dispensés au sein de sa formation :  préparer ses étudiants aux « techniques de veille qui permettent de tracer les acteurs d'un marché, de cartographier les réseaux ou de suivre les ruptures et les transferts de technologie » mais aussi aux « opérations d'influence » pour « exploiter les failles de l'adversaire » ou « imposer un modèle dominant ».

Adrian Mondange, un étudiant de l'époque, confiait aussi à l'AFP son analyse : « Il n'est pas nécessaire de recourir à des méthodes illégales puisque 80 à 90% des informations utiles sont des informations ouvertes, accessibles à tous », souligne un autre étudiant, Adrien Mondange.

« Traumatisme »

La présence des anciens salariés à l'audience n'est pas encore confirmée. Notamment Michel Balthazard, qui, bien que partie civile, n'assistera pas au procès, selon ses avocats. « Ni le classement sans suite », ni « l'indemnisation », « ni les excuses qui lui ont été adressées par Carlos Ghosn », n'ont « pu atténuer le traumatisme subi à l'époque » par celui qui avait investi « plus de trente ans au service de Renault », expliquent ses deux conseils, Mes Pierre-Olivier Sur et Mathias Chichportchich, dans une lettre envoyée au tribunal.

Des tentatives d'espionnage de la Chine identifiées par la France

Si l'affaire des faux espions de Renault a mis hors de cause quelconque ingérence de la part de la Chine, les craintes sur ce phénomène sont bel et bien justifiées selon les autorités françaises. Dans son numéro de septembre 2014, la version française du magazine Vanity Fair dévoilait le contenu d'un rapport secret remis à l'Élysée, sur les tentatives d'espionnage industriel chinois contre les intérêts français.

Transmis en 2010 au coordinateur national du renseignement de l'époque, attaché à la présidence de la République, le rapport de 25 pages avait suscité l'embarras. « Il recense en effet les différents procédés utilisés par la Chine pour rattraper ses retards technologiques - principalement dans l'aéronautique, le nucléaire, les télécommunications, le transport ferroviaire, l'automobile et les énergies renouvelables », écrivait dans son article le journaliste français Hervé Gattegno, alors rédacteur en chef de l'édition française de Vanity Fair.

Parmi les « dérives constatées » par les services secrets français dans ce rapport, le recours à des retraités d'universités françaises « chevronnés mais vulnérables », livrant par mégarde, ou pour de l'argent des informations confidentielles. « L'invitation de chercheurs » ou le « le placement de stagiaires [chinois] dans les entreprises françaises », sont aussi pointés par ce document. Une dizaine de vols ou tentatives de vols chaque année avaient été recensées.

Le rapport confidentiel, écrivait le journaliste, évoquait par ailleurs « des agressions informatiques commises par des hackers chinois travaillant pour leur pays contre de grands groupes de l'Hexagone, comme Areva ou Airbus ». Une disparition suspicieuse durant plusieurs mois, entre la fin 2006 et le début 2007, d'un Airbus A320 acheté par une compagnie chinoise, avait aussi été signalée. Une période durant laquelle « l'appareil a pu être disséqué par les techniciens chinois afin de pouvoir en reproduire chaque pièce ».

Depuis lors, les directions de renseignement et de sécurité françaises sont sur le qui-vive quant aux tentatives d'ingérences étrangères venues de Chine. Notamment via les échanges et partenariats liants grandes écoles françaises et instituts de recherche prestigieux  (ENA, Polytechnique, HEC, Paris-Saclay, CNRS, Normale-Sup, etc) à des universités chinoises. Pour les services français, ces partenariats sont autant d'occasion pour Pékin de piller les savoir-faire et connaissances des cerveaux français. En face, à chaque fois qu'une affaire de ce type est mis au jour par les médias français, la Chine dément catégoriquement.

(Avec AFP)

Mathieu Viviani

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Commentaires 3
à écrit le 21/01/2024 à 10:56
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Il est écrit dans cet article : "Dominique Gevrey, l'ex-militaire de la DGSI chargé de l'enquête interne, à l'origine des révélations". Dominique Gevrey était sous-officier de la DPSD, ex Sécurité Militaire. il n'a jamais appartenu à la DGSI qui n'ex...

à écrit le 16/01/2024 à 13:17
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Bonjour, une lettre anonyme... Trops forts et le plus grave s'est que la direction ons crû cette histoire... Bon, encore une direction des plus efficace et un DRH des plus performant... Espérons que justice sera faite et la responsabilité de respo...

à écrit le 16/01/2024 à 8:24
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Merci pour cet article très intéressant. On comprend bien mieux ! LOL ! ^^ Une chienne n'y retrouverait pas ses petits mais elle ne les y aurait pas emmené non plus dans ce truc infâme. Certainement la volonté de virer des anciens Renault, afin d'avo...

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