Depuis bientôt deux ans, la parole de Carlos Tavares était ultra contrôlée. La fusion entre PSA et Fiat-Chrysler, puis, une fois celle-ci réalisée sous la bannière Stellantis, la préparation du plan stratégique du groupe prévu pour la fin de l'année l'avait poussé à modérer ses propos. L'heure semble aujourd'hui suffisamment grave pour que le directeur général de Stellantis reprenne langue avec la presse dans un format plus direct. Alors que l'Union européenne s'apprête à resserrer "significativement" (sic) la réglementation environnementale, Carlos Tavares a distillé les messages, lors d'un entretien avec des journalistes, en marge d'une visite sur le site de Douvrain où ACC, filiale de Stellantis et Saft, construit la première usine de batteries française. Une semaine avant la journée investisseurs où il doit détailler son plan d'électrification, le patron du groupe automobile franco-italien a voulu faire un point d'étape sur l'avancée du chantier.
"Significativement plus sévère"
Il en a aussi profité pour mettre en garde contre les projets réglementaires que l'Union européenne prépare et qui doivent être annoncés mi-juillet. Bruxelles s'apprête à réviser son objectif d'une baisse de 37,5% des émissions de CO2 en 2030, un seuil désormais perçu comme insuffisant pour respecter les objectifs de l'Accord de Paris sur le climat. "Le nouveau cadre des émissions CO2 sera significativement plus sévère", anticipe Carlos Tavares, alors que certaines rumeurs évoquent un objectif de baisse des émissions de 50%. Un cadre qui pourrait d'ailleurs encore évoluer dans les prochaines années selon Carlos Tavares, si "le réchauffement climatique devait être encore plus sévère qu'attendu actuellement", ce qui aboutirait immanquablement à "de nouvelles mesures encore plus drastiques", a-t-il dit.
Carlos Tavares a également attiré l'attention sur un autre point réglementaire qui pourrait cette fois être conduit par les Etats, qui serait la fin des moteurs thermiques. "La ligne 2035 va probablement l'emporter", a-t-il jugé, évoquant l'échéance actuellement en discussion, soit cinq années avant la date prévue initialement, notamment en France. Mais, il a rappelé que de nombreux élus locaux sont dans une démarche de forte anticipation puisque de nombreuses municipalités s'apprêtent à interdire les moteurs thermiques dès 2025.
Souveraineté géopolitique et technologique
"Nous serions sourds et aveugles de ne pas entendre tout cela", s'est-il exclamé avant d'invoquer la nécessité de prendre des décisions "responsables et anticipées". Il a rappelé que du temps où il dirigeait PSA (désormais fusionnée avec Fiat-Chrysler dans Stellantis), il avait pris des décisions structurantes pour internaliser la fabrication de moteurs électriques (à Tremery notamment, en Moselle), la fabrication de boîtes de vitesses électrifiées, puis de la fabrication des bacs de batteries puis des cellules. L'esprit était alors de récupérer une partie de la valeur ajoutée qui risque de s'échapper avec la fin de la chaîne de traction thermique avec un enjeu de souveraineté géopolitique (ne pas dépendre de la Chine) et technologique.
Mais cette transformation industrielle nécessite d'importants investissements qui l'a conduit à créer ACC avec Saft (filiale de Total), afin de mutualiser une expertise chimique que Stellantis ne possède pas. Mais les investissements dans les gigafactories et dans la R&D sont immenses. Carlos Tavares estime qu'il aura besoin d'une capacité de 250 GWh en 2025, soit beaucoup plus que les 48 actuellement en construction à Douvrin et en Allemagne (un troisième site est en cours d'étude en Italie). Il est prévu que Renault entre dans le capital d'ACC pour soulager Stellantis et Saft, mais Carlos Tavares et Luca de Meo (patron du groupe Renault) n'auraient pas encore trouvé d'accord. Renault s'est d'ailleurs lancé dans un autre projet de gigafactory avec le chinois Envision, sans pour autant renoncer à un accord avec ACC. Carlos Tavares estime toutefois que l'arrivée de Renault ne sera pas suffisante et a reconnu que d'autres constructeurs avaient manifesté leur intention d'entrer au capital d'ACC.
"Nous voulons qu'ACC soit la société la plus compétitive du monde dans la production de batteries", a-t-il souligné, en présence du PDG de la jeune entreprise de batteries, Yann Vincent, son ex-directeur industriel qui a largement contribué à mettre en œuvre le plan de redressement industriel de PSA. "Nous voulons garder le contrôle de la technologie, de la souveraineté, et de la propriété intellectuelle, c'est pourquoi nous voulons garder une approche européenne", a-t-il précisé.
Les clients vont-ils suivre ?
Carlos Tavares a toutefois mis en garde contre un marché de l'électrique qui pourrait ne pas être aussi important qu'espéré. "Les clients suivront sous deux conditions qui ne sont actuellement pas remplies", a-t-il lancé. Il a évoqué l'insuffisance de la densité du réseau de recharge: "l'Europe est très en retard". Selon lui, le rythme de déploiement du réseau n'est pas à la hauteur du mix de voitures électriques recherché par l'Union européenne. Enfin, le modèle économique des voitures électriques ne permet toujours pas d'offrir des produits qui soient à la fois abordables pour les clients et rentables pour les constructeurs.
Stellantis doit présenter le 8 juillet prochain son plan d'électrification. Ce sera la première annonce stratégique du groupe depuis sa fusion effective en janvier dernier. Elle suivra celle de Renault annoncée le 30 juin. Mais elle fera également échos à celle de Volkswagen qui a littéralement changé de modèle industriel en début d'année, mettant tous les autres constructeurs automobiles sous pression. Carlos Tavares est connu pour ses positions favorables au moteur thermique, dont il a toujours estimé qu'il y avait encore des marges de progrès pour baisser leur impact environnemental. Mais l'accélération spectaculaire du marché de la voiture électrique, sous la pression des autorités publiques, le pousse à être beaucoup plus ambitieux sur cette technologie. S'il est prêt à engager Stellantis dans l'électrification, il continue à s'interroger sur les conséquences économiques de ce mouvement. Il a d'ailleurs renvoyé la balle dans le camp du gouvernement quant à l'avenir du site historique de Douvrain qui fabrique encore des moteurs thermiques. "Ce n'est pas moi qui décide de la fin des moteurs thermiques", a-t-il répondu à une journaliste locale l'interrogeant sur l'avenir de l'usine.
Sujets les + commentés