Les Québécois l'appellent déjà le « prêt-à-louer ». En France, le « build-to-rent », qui pourrait littéralement être traduit par « construire pour louer », arrive doucement, mais sûrement. Il s'agit d'un logement clé-en-main, meublé ou non, pré-équipé en connexion Internet, avec des parties communes aménagées - comme des espaces de coworking - et des services gérés au quotidien par une conciergerie. À la différence du coliving destiné aux étudiants et aux jeunes actifs qui vivent en bail mobilité dans des petites pièces privatives avec lit et salle d'eau, ce produit résidentiel s'adresse aux travailleurs ou aux familles dans les zones tendues à proximité des transports en commun pour des durées classiques de 3, 6 ou 9 ans.
Ce type de solution est encore méconnu dans notre pays, car les Français ont la culture de l'accession à la propriété avec des promoteurs qui privilégient la vente à la découpe à des primo-accédants et des investisseurs privés qui privilégient les avantages fiscaux possibles dans le cadre de la mise en location d'un bien.
Un meilleur rendement que le bureau ?
C'est du moins le constat dressé par Laurent Fléchet, directeur général délégué chargé de l'activité immobilière du groupe Primonial et PDG de Primonial REIM, qui a noué un partenariat avec Grupo Lar en Espagne et qui détient du « build-to-rent » en Allemagne.
Ce gestionnaire d'actifs (plus de 40 milliards d'euros d'actifs immobiliers en portefeuille) a en outre acquis dès janvier 2023 deux résidences en vente en état futur d'achèvement (VEFA), c'est-à-dire en cours de travaux, à Urban Campus, entité dont Nexity, leader de la promotion immobilière, est actionnaire. Co-réalisée avec le capital-investisseur Novaxia, la première se trouvera à Massy (Essonne) et comptera 100 logements du T1 au T5 ; la seconde se situera à Marseille et en recensera 75 aussi, idem du T1 au T5.
« Le rendement est certes plus faible que pour le bureau ou l'hôtel, mais il est plus constant », déclare, à La Tribune, Maxime Armand, co-fondateur et directeur des opérations d'Urban Campus, qui compte déjà 10 résidences ouvertes, 8 en travaux et qui en visent 25 en 2026 avec 1.500 logements.
« La conjoncture économique et la remontée des taux d'intérêt pourraient faciliter le mouvement même si nous n'avons pas pu saisir l'opportunité de la baisse des taux qui avait permis de rapprocher le résidentiel des bureaux en termes de rendement », poursuit Laurent Fléchet, le patron de Primonial REIM.
Un produit plus cher qu'un logement traditionnel ?
Pour autant, cet habitat n'est pas plus cher qu'un logement traditionnel. « Un promoteur qui vend du mètre carré de couloir ou de salon, il le fait au même prix. Nous, nous veillons à rester un produit abordable à 10 à 15% en dessus des prix du marché, et même plus bas en additionnant les services au logement », assure Maxime Armand d'Urban Campus.
« Pas mal de Français se destinent encore à être propriétaires, mais certains ont l'envie de se positionner sur des immeubles avec des services et une qualité de vie associée. Le ''build-to-rent'' peut être une réponse aux prix trop élevés dans les métropoles », appuie Laurent Fléchet de Primonial REIM.
Selon nos informations, c'est ce qui a également motivé Linkcity (groupe Bouygues) à accélérer son déploiement dans l'Hexagone, fort d'un premier retour d'expérience en Angleterre. Outre-Manche, rien qu'en 2022, ce marché a pesé pour 5 milliards d'euros d'investissements et représenté 11% des logements construits.
« Nous sommes convaincus que ce produit peut trouver le même accueil en France d'autant que les autres catégories de population que sont les étudiants, les jeunes actifs, les seniors et les seniors dépendants disposent déjà de produits appropriés en termes de logements », souligne Gérard Lodetti, directeur général chargé de la stratégie et du développement de Linkcity France.
« Pour le ménage, le budget sera équivalent voire inférieur, du fait d'un exploitant unique qui centralisera l'amortissement des coûts fixes liés à l'entretien technique, aux abonnements proposés à l'échelle de l'immeuble et à la mise en place de services mutualisés », ajoute-t-il.
Combien de logements concernés ?
Avec son partenaire Swiss Life Asset Managers France (20 milliards d'euros d'actifs immobilier sous gestion), ils s'apprêtent à mettre sur la table 250 millions d'euros - dont 5% de Linkcity - pour livrer 1.500 logements au format « build-to-rent » d'ici à 2025.
« En France, nous avons pu avoir une conception un peu frileuse des services mais l'explosion du télétravail à haute dose et de façon généralisée couplée à une numérisation des commandes en tous genres a fait sauter les derniers verrous », relève Fabrice Lombardo, le directeur des activités immobilières de Swiss Life Asset Managers France.
« C'est très différent de nos relations classiques avec les promoteurs avec qui d'habitude nous achetons en VEFA des logements classiques et des résidences étudiantes ou seniors », enchaîne-t-il.
Il ne croit pas si bien dire.
« Le ''build-to-rent'' va permettre à l'institutionnel de s'engager en amont du projet avec le promoteur. Au lieu d'acheter de la VEFA [vente en état futur d'achèvement, Ndlr], il utilise ainsi une partie de la rentabilité de la promotion. C'est gagnant-gagnant pour l'investisseur et le promoteur », affirme Dalila Hamidi, directrice générale de Quadratique, dont la plateforme Blockstone utilise l'intelligence artificielle et la blockchain, chaîne de blocs sécurisée.
Les maires sont-ils intéressés ?
Son ambition à elle est dix fois plus importante. À date, elle revendique le montage de 15 opérations avec un objectif de 15.000 logements sur cinq ans, le tout pour près de 1,5 milliard d'euros, entre l'Île-de-France (70%) et la province (30%) comme Bordeaux, Marseille et Toulouse. Sa cible : 80% d'investisseurs étrangers, 20% de Français, les caisses de retraite, les compagnies d'assurance et les fonds souverains.
« Le ''build-to-rent'' permet de réarbitrer des actifs et de mettre fin à la vente à la découpe. Aujourd'hui, un dossier [de prêt] sur six ne passe plus à la banque », souligne son partenaire Laurent Sablayrolles, directeur général de 10-LS et de Direct Ô Foncier, autoproclamé « solutionneur de la problématique immobilière auprès des promoteurs, des institutionnels et des mairies ».
Avant de s'engager dans cette démarche, il faut en effet convaincre les maires, détenteurs encore et toujours du pouvoir du permis de construire.
« Nous sommes sollicités par nos clients élus locaux et par leurs aménageurs, soucieux de l'intégration urbaine de ces nouvelles résidences et de leur maintien dans la durée », affirme Quentin Lamour, directeur national d'Adéquation, cabinet de conseils et d'études pour les acteurs publics et privés de la fabrique de la ville.
Effet de mode ou tendance de fond ?
Le promoteur Linkcity ouvrira ainsi sa première résidence à Champs-sur-Marne (Seine-et-Marne) en septembre prochain. Devraient suivre Rouen, Rennes, Thiais (Val-de-Marne), Noisiel (Seine-et-Marne) et Marseille. D'ailleurs, outre la cité phocéenne et Massy, la jeune pousse Urban Campus est également implantée à Lille et à Saint-Louis, près de Bâle (Suisse).
Reste à voir désormais si le « build-to-rent » est un effet de mode ou une tendance de fond.
« Lorsque les start-ups françaises de coliving se sont lancées en 2017, tout le monde était sceptique, les promoteurs dubitatifs, mais progressivement, le produit a pris sa place et est devenue une classe d'actifs à part entière. Aujourd'hui, le "build-to-rent" démarre en France avec des promoteurs et des investisseurs plus clairvoyants, d'autant qu'il y a un énorme appel d'air avec la transformation d'immeubles obsolètes », tranche Mathieu Guillebault, responsable des marchés de capitaux pour le résidentiel chez le commercialisateur Savills France.
« Des opérateurs anglo-saxons vont pénétrer le marché français, de jeunes pousses françaises se développent de manière rapide... Tout va s'accélérer dans les six mois avec des annonces marquantes », fait-il savoir, sibyllin...
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