« La crise économique et la remontée des taux d'intérêt impactent l'immobilier de bureaux » (Laurent Fléchet, Primonial REIM)

EXCLUSIF. Le directeur général de Primonial REIM sort de son silence. Un mois après avoir acquis une quote-part de la participation d'Icade dans Icade Santé, le gestionnaire d'actifs immobiliers Laurent Fléchet détaille, pour La Tribune, sa feuille de route. Il y est notamment question d'infrastructures sociales, de Grand Paris, mais aussi de « build-to-rent », ces logements construits pour être loués ou encore d'ESG, ces critères environnementaux, sociaux et de gouvernance. Sans oublier le deal qui n'a pas abouti avec Altarea en 2022.
César Armand
Laurent Fléchet est directeur général délégué chargé de l'activité immobilière du groupe Primonial et président-directeur général de Primonial REIM.
Laurent Fléchet est directeur général délégué chargé de l'activité immobilière du groupe Primonial et président-directeur général de Primonial REIM. (Crédits : DR)

LA TRIBUNE- Sur vos 34,8 milliards d'euros d'actifs sous gestion, 33% sont déjà des immeubles de santé et d'éducation. Pourquoi avez-vous décidé d'acquérir une quote-part de la participation d'Icade dans Icade Santé pour un montant de 1,1 milliard d'euros fin juillet (et 2,6 milliards à horizon 2025)?

LAURENT FLECHET- La santé n'est en effet pas un secteur que nous découvrons, étant positionnés sur cette classe d'actif depuis dix ans. Connaissant bien ce secteur et parlant régulièrement aux acteurs, nous sommes convaincus qu'il y a un vrai manque d'infrastructures sociales en Europe. C'est la raison pour laquelle nous voulons encore nous renforcer sur ce secteur. C'est en outre une classe d'actifs qui est très peu volatile avec des baux longs. Elle offre de la visibilité sur ses flux de revenus locatifs pour les investisseurs, qu'ils soient personnes physiques et institutionnelles. Nous gérons aujourd'hui 11 milliards d'encours en immobilier de santé. Après le closing de l'opération avec Icade, nous gèrerons 18 milliards d'euros d'actifs en immobilier de santé, devenant ainsi le leader incontestable des infrastructures socialement utiles en Europe. Nous reprendrons la gestion de ce portefeuille d'une extrême qualité composé à 83% d'établissements de court séjour, principalement des cliniques privées, portefeuille qu'il aurait été difficile de reconstituer aujourd'hui. L'immobilier de santé va ainsi devenir notre première classe d'actifs sur les 42-43 milliards d'euros que nous gérerons à l'issue de l'opération. Il représentera environ 42% de notre allocation globale avec un portefeuille équilibré au sein de la classe d'actifs santé entre les établissements de court, moyen et long séjour.

Est-ce parce que les commercialisateurs estiment que « toutes les transactions [de bureaux] ont été mises au congélateur » ?

Post-closing, les classes d'actifs immobilières alternatives (santé, résidentiel, commerce et hôtellerie) représenteront 60% de nos encours et le bureau 40%, soit 17 milliards d'euros sous gestion. Concernant notre portefeuille de bureau, 90 % des actifs sont localisés au cœur du Grand Paris, à proximité immédiate des services et des transports. Certes, la crise économique et la remontée des taux d'intérêt impactent l'immobilier de bureaux avec des financements plus chers, mais nous assistons à une transformation plus globale de notre rapport au travail. Il y a le travail de production que l'on peut faire seul chez soi en télétravail mais le travail au bureau reste un élément important. Il permet de maintenir l'esprit d'équipe, de renforcer la culture d'entreprise, de co-produire avec ses collègues. C'est un vecteur fort de sociabilisation. On estime que plus des deux tiers du travail doit encore se faire au bureau.

Justement, quels sont vos axes de développement dans le Grand Paris ?

Nous sommes et voulons continuer à être là où il y a des bureaux bien desservis avec des transports en commun accessibles dans des quartiers mixtes qui mêlent des commerces et des logements. Il faut donner envie aux salariés d'aller au bureau. Après le confinement, j'ai été impressionné par le besoin de nos salariés de se retrouver. C'est pourquoi, j'insiste, il faut leur offrir de la flexibilité dans l'organisation avec des immeubles adaptés, intégrant des services et des espaces permettant de se réunir pour échanger et créer de la sociabilité. En tant qu'asset manager, cela se traduit par un travail continu sur notre parc de bureaux pour notamment repositionner certains de nos actifs immobiliers à fort potentiel de création de valeur, en intégrant les nouvelles exigences environnementales et en les modernisant en vue de renforcer leur attractivité auprès des futurs utilisateurs. Nous avons par ailleurs d'ores et déjà arbitré les quelques actifs qui ne répondaient pas à nos critères que ce soit en termes de centralité, de flexibilité des espaces ou encore de performances environnementales.

Est-ce à dire que vous allez transformer des bureaux en logements ?

Pour cela, nous avons besoin d'un alignement de toutes les parties prenantes. Il y a encore quelques maires qui s'arc-boutent sur la désignation bureau. Ajoutez à cela l'équation économique qui reste difficile. Dans le cadre de notre politique ESG, nous devons privilégier, dans la mesure du possible, la transformation du parc existant, et ne pas démolir pour reconstruire, sauf pour les bâtiments trop anciens. Il convient de rappeler que 60% des émissions de CO2 dans le secteur du bâtiment sont émises pendant le cycle de construction... En Ile-de-France, le parc obsolète est estimé à 4-5 millions de mètres carrés.

N'est-ce pas une opportunité pour le build-to-rent, ces logements construits pour être loués, avec des habitats privatifs et des espaces communs déjà meublés, comme vous en opérez déjà avec Urban Campus (groupe Nexity) ?

Nous en détenons davantage à l'étranger, en Espagne où nous avons un partenariat avec Grupo Lar et aussi en Allemagne. En France, nous avons une culture forte de l'accession à la propriété avec des promoteurs immobiliers qui privilégient la vente à la découpe ou la primo-accession et des investisseurs privés qui privilégient les avantages fiscaux possibles dans le cadre de la mise en location d'un bien. Tant est si bien que nous avons encore du mal à nous positionner. La conjoncture économique et la remontée des taux d'intérêt pourraient faciliter le mouvement même si nous n'avons pas pu saisir l'opportunité de la baisse des taux qui avait permis de rapprocher le résidentiel des bureaux en termes de rendement. L'investisseur est en effet désormais très vigilant et privilégie des actifs alternatifs comme la santé.

Ce produit ne peut-il pas précisément constituer une alternative pour l'investisseur ?

Pas mal de Français se destinent encore à être propriétaires mais certains ont l'envie de se positionner sur des immeubles avec des services et une qualité de vie associée. D'autant que le build-to-rent peut être une réponse aux prix trop élevés dans les métropoles. Ce produit logement qui met des espaces de coworking et autres services à disposition permet d'optimiser le nombre de m² de chaque logement, rendant l'accession à la propriété plus facile. Le build-to-rent a aussi pour avantage d'éviter de construire des mètres carrés supplémentaires.

Qu'en est-il de vos commerces et des réflexions en cours sur le recyclage des entrées de ville ?

Les commerces représentent 5-6 % de notre patrimoine. En termes de format, les commerces en pied d'immeubles ainsi que les retail parks - centres commerciaux ouverts - démontrent leur résilience. Ils ont été bien pensés et ne sont en aucun cas des « boîtes à chaussures » des années 1970-1980 qui ont dysfonctionné. Leur architecture très optimisée rencontre pleinement leur public. D'autant qu'il y a une volonté politique locale de leur donner plus de visibilité, voire de les restructurer. Nous considérons que le commerce physique ayant opté pour une distribution omnicanale et les commerces de proximité auxquels le commerce en ligne ne peut se substituer, resteront ancrés dans nos modes de vie comme partie intégrante de la vie sociale et aussi comme facteur de vitalité des centres villes.

Pourriez-vous aller sur la logistique urbaine qui suscite l'appétit de certains investisseurs ?

Cela ne s'improvise pas. La logistique urbaine nécessite des équipes et des volumes. Il n'y a pas non plus d'opérations significatives ni beaucoup de profondeur de marché. Idem avec le life science, l'immobilier de laboratoires. Collectivement, nous oublions que les environnements économiques américain et européen sont très différents. En France, le « Life Science » reste une niche au sein de l'immobilier de santé avec seulement quelques opportunités qui peuvent se présenter.

L'une de vos ambitions en matière ESG est de réduire de 5% les émissions carbone de vos immeubles. Concrètement, quelle est votre stratégie environnementale ?

Nous avons l'objectif de respecter le décret tertiaire et, si possible, d'être en avance. Il nous faut tout d'abord mesurer les émissions carbone actuelles pour quantifier la réduction. C'est un énorme travail pour nos équipes en interne et nous nous appuyons sur Deepki pour collecter nos données. Notre objectif est en effet de baisser de 5% nos émissions carbone par an sur l'ensemble de notre parc immobilier sur la base de plans d'actions revus annuellement. Ceux-ci déterminent notamment les travaux nécessaires à réaliser pour respecter nos engagements.

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Et avec toutes vos toitures, la production d'énergie renouvelable vous intéresse-t-il ?

C'est sûr que nous pouvons capter de l'énergie en installant des panneaux photovoltaïques sur les immeubles, voire même devenir autosuffisant. Nous nous apprêtons à lancer un fonds de restructuration d'immeubles de bureaux en Allemagne s'appuyant sur la géothermie pour éviter le gaz et le fioul.

Un dernier mot sur Altarea, avec qui le deal n'a pas abouti il y a un peu plus d'un an ?

Honnêtement, je ne suis pas tourné vers le passé, mais sur ce qui va se passer sur les dix prochaines années pour répondre aux demandes et besoins de nos occupants locataires en matière de nouveaux usages mais aussi pour tenir nos engagements de baisse de gaz à effet de serre. Ce sont des enjeux passionnants, ne serait-ce qu'avec les changements technologiques dans la médecine préventive, ou dans le résidentiel avec le build-to-rent. Nous devons nous projeter à moyen et long-terme pour être fonctionnels et anticiper les besoins futurs en immobilier.

César Armand

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