C'est la question à plusieurs milliards d'euros qui agite les acteurs politiques et décideurs privés depuis quelques mois : faut-il réduire la durée des concessions autoroutières ? Suite à un rapport de l'Inspection générale des Finances (IGF) de février 2021, dévoilé début 2023 par Le Canard Enchaîné, suivi par une étude de l'Autorité de régulation des transports (ART), pointant les profits réalisés par les sociétés concernées et recommandant une fin anticipée des concessions, Bruno Le Maire a été auditionné, fin mars, par l'Assemblée nationale.
Bercy a saisi le Conseil d'Etat...
Devant les commissions des Finances et du Développement durable, le ministre de l'Economie, des Finances et de la Souveraineté industrielle a considéré que les calculs de rentabilité pour les actionnaires faits lors de la privatisation des autoroutes de 2005-2006 n'avaient « pas été bons ». Sauf qu'à l'époque, Bruno Le Maire était conseiller puis directeur de cabinet du Premier ministre Dominique de Villepin qui a pris cette décision.
Aujourd'hui, il préconise de raccourcir le temps des concessions de quelques années. Sauf que si l'Etat y touche, il court « le risque que le juge considère la rentabilité des concessions comme raisonnable et leur résiliation anticipée comme entraînant un droit à indemnité », relevait, également, le rapport de l'IGF. Aussi le locataire de Bercy a-t-il saisi le Conseil d'Etat avant de statuer.
... mais l'état-major de Vinci ne décolère pas
Dans l'intervalle, l'état-major de Vinci, concessionnaire des réseaux Escota (471 km) jusqu'en 2032, Cofiroute (1.100 km) jusqu'en 2034 et Autoroutes du Sud de la France (ASF, 2.731 km) jusqu'en 2036, soit près d'un tiers du réseau français, ne décolère pas.
En février dernier, le PDG, Xavier Huillard, avait rappelé à La Tribune que le géant du BTP avait acheté une concession très longue, car les investissements à réaliser restaient « très importants » et nécessitaient de les « amortir sur une longue durée ».
Suivi lors des résultats annuels 2022 par le président de Vinci Autoroutes, Pierre Coppey, qui avait blâmé « une incompréhension » du modèle économique des concessionnaires. La branche ayant rapporté, l'an dernier, 6 milliards d'euros de chiffre d'affaires (+8% par rapport à 2021).
« Les faits sont têtus », lâche le PDG Xavier Huillard
Aussi, lors de l'assemblée générale du groupe, ce jeudi 13 avril à la salle Pleyel, le sujet est revenu sur la table avec une question de l'actionnaire individuel Benjamin L.
« Nous vivons avec ce sujet depuis dix-sept ans, c'est-à-dire depuis le jour où nous avons gagné suite à un appel d'offres. A l'époque, nous avons offert un prix très significativement supérieur au cours de Bourse de l'actif qui nous intéressait et gagné le droit à exploiter ces réseaux », a commencé Xavier Huillard, le patron.
Avant d'asséner : « Depuis, beaucoup de gens s'expriment avec souvent beaucoup d'approximations et parfois pas mal de contre-vérités. Le dernier rapport de l'Inspection générale des Finances n'y échappe pas. Ses conclusions reposent sur un calcul très hypothétique et doivent donc être prises avec beaucoup de précaution. Il faut revenir aux faits car les faits sont têtus. Nous avons parfaitement rempli notre part du contrat en termes de qualité de service, d'investissement, de maintenance et même de démarrage de l'effort de décarbonation de nos autoroutes. Nous n'avons qu'à être fiers de ce que nous avons fait ».
La major compte encore de la dette
Devant les députés, le locataire de Bercy avait argué que les taux d'intérêt ayant fortement baissé, les sociétés concessionnaires ont pu rembourser leur mise à meilleur coût et améliorer d'autant leur rentabilité, et ce alors que les tarifs de péages continuaient à augmenter régulièrement conformément aux contrats conclus avec l'Etat.
« Beaucoup de dette, qui existe d'ailleurs toujours pour une large part, a certes beaucoup bénéficié de la baisse des taux d'intérêt, mais beaucoup feignent d'oublier qu'on a traversé de grandes crises comme la crise des subprimes, la crise des dettes souveraines européennes, les crises sociales, la Covid... », a rétorqué, dans la matinée, le PDG de Vinci.
Ce dernier préfère parler de taux de retour sur investissements (TRI). « L'un dans l'autre, quand nous refaisons le calcul du TRI prévisionnel de fin de concession, il est quasiment au niveau, voire légèrement supérieur, à celui modélisé lors de l'acquisition fin 2005-début 2006. Nous sommes capables de le démontrer », a encore assuré Xavier Huillard.
Cap sur la décarbonation de la mobilité routière
Avant de lâcher encore que « le sujet est devenu assez irrationnel » avec des « débats sans fin » et des « critiques récurrentes regrettables ». Il préférerait que les pouvoirs publics se concentrent sur l'accélération de la décarbonation de la mobilité routière. Selon les calculs de l'économiste Patrice Geoffron pour sa filiale Vinci Autoroutes, cela coûte, au bas mot, entre 50 et 70 milliards d'euros pour les 12.000 km de l'ensemble des autoroutes françaises.
« Dans une dizaine d'années, ces autoroutes auront été intégralement payées par les utilisateurs. En plus, elles auront permis de l'Etat de prélever environ 5 milliards d'euros par an au travers de cette activité. Nous avons donc fait entièrement payer par les utilisateurs ce réseau », a conclu le patron de la major.
De la redite et de la répétition...
Un discours qu'il tient régulièrement. Déjà lors de sa présentation de ses résultats annuels 2018, en février 2019, Xavier Huillard avait considéré, en plein débat sur la privatisation d'ADP, que « chacun y [allait] de son petit couplet et [disait] n'importe quoi », évoquant même « un nouveau délire ».
« Ces autoroutes, nous les avons payées. Je rappelle que nous avons acheté ASF et Escota en 2005 et 2006 sur la base d'une valeur d'entreprise de 19 milliards d'euros. Je rappelle aussi que la rentabilité d'une concession ne se mesure pas comme un business normal avec une rentabilité nette divisée par le chiffre d'affaires, mais en TRI (taux de retour sur investissements), et ce n'est qu'à la fin de la concession, en 2032-2036, que nous saurons si nous avons gagné convenablement ou non de l'argent. Pourquoi faut-il mesurer en TRI ? Car ce sont des activités qui ont une fin, 2032, 2036. Nous avons acheté cher quelque chose qui a une durée limitée. Dans ces conditions, nous ne sommes pas dans un business normal. J'ai encore lu récemment que nous aurions des marges identiques à celles des industriels du luxe. C'est totalement ridicule. C'est (la gestion des autoroutes, NDLR) une activité risquée. La preuve : après la crise de 2008, le trafic autoroutier des poids lourds n'a retrouvé le niveau de trafic qui était le sien avant 2008 que l'an dernier. Je suis peiné de voir beaucoup d'observateurs continuer de raconter absolument n'importe quoi sur le sujet des autoroutes », avait-il poursuivi.
Comme dirait le président de Vinci Autoroutes, Pierre Coppey, il y a deux mois, c'est bel et bien « de la redite et de la répétition »...
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