« Dire que dans la prochaine décennie les avions voleront tous à l'hydrogène est un rêve » (Tim Clark, Emirates)

PARIS AIR FORUM- Les professionnels de l'aviation font face à une double problématique, entre d'un côté la demande croissante de passagers et de l'autre la nécessité de baisser drastiquement les émissions de leur industrie pour atteindre la neutralité carbone en 2050. Deux objectifs inconciliables ? Eléments de réponses ce vendredi au Paris Air Forum à l'occasion d’un débat réunissant Willie Walsh, le directeur général de l'International Air Transport Association (IATA), Tim Clark, le président d'Emirates, Christian Scherer, le directeur commercial d'Airbus, Rob Watson, président de Rolls Royce Aerospace et Campbell Wilson, directeur général d'Air India.
Tim Clark, président d'Emirates
Tim Clark, président d'Emirates (Crédits : DR)

Le Covid n'aura donc été qu'une parenthèse rapidement refermée. Depuis la sortie de la pandémie et la levée des restrictions, les vols repartent rapidement à la hausse. Les transporteurs s'attendent ainsi à faire voler 4,35 milliards de passagers dans le monde cette année, non loin du record de 4,54 milliards enregistré en 2019. À la fièvre du voyage post-Covid qui gagne de nombreux individus, s'ajoute l'entrée sur le marché d'une nouvelle clientèle issue de pays connaissant une croissance forte, l'Inde en tête. Boeing prévoit ainsi une croissance annuelle du marché domestique aérien indien de 7% d'ici 2041, soit la progression la plus élevée au monde.

Lire aussiPour Pascal de Izaguirre (Fnam-Corsair), dans dix ans, « le transport aérien français sera plus cher »

Faire face à une croissance de 6,5% par an

Une demande à laquelle l'industrie s'efforce de répondre, malgré les goulets d'étranglement liés à la perturbation des chaînes de valeur durant le Covid, que la guerre en Ukraine n'a guère arrangée. « De 2010 à 2019, l'industrie a connu une croissance annuelle de 6,5%. C'est à mon sens le chiffre minimum auquel on peut s'attendre pour les dix prochaines années. Offrir des capacités suffisantes pour soutenir cette croissance va représenter un vrai défi », concède ainsi Willie Walsh, le directeur général de l'association international du transport aérien (IATA).

« Les dysfonctionnements des chaînes logistiques n'ont pas été pris en charge assez rapidement. Nombre de compagnies aériennes se retrouvent ainsi avec des avions qu'elles ne peuvent pas faire voler car elles ne disposent pas des pièces de rechange adéquates. »

Croissance + décarbonation : l'impossible équation ?

Une croissance incompatible avec l'engagement qu'a pris l'IATA d'atteindre la neutralité carbone d'ici 2050 ? Les deux objectifs peuvent en tout cas rapidement entrer en conflit, comme l'illustrent les problèmes de durabilité des moteurs que rencontrent à l'heure actuelle plusieurs professionnels de l'industrie. « Tout n'est pas qu'une question de chaîne logistique, nous faisons aujourd'hui également face à des ennuis dans la conception des moteurs », précise Tim Clark, président d'Emirates.

C'est notamment le résultat de la volonté de concevoir des moteurs très efficaces au niveau de la consommation du carburant, afin de satisfaire le besoin de décarbonation. Il y a forcément des compromis qui se font, la qualité d'ingénierie nécessaire pour faire ce travail crée des contraintes énormes, alors que la demande pour le transport aérien continue à s'accélérer. »

Un problème isolé qui illustre un dilemme plus général, selon Christian Scherer, directeur commercial d'Airbus.

« La vraie question, c'est est-ce qu'il y a une limite à la croissance du secteur ? Nous faisons face à une demande énorme de la part de la société civile, à la fois pour les loisirs et les affaires. Nous avions prévu qu'il faudrait 40.000 nouveaux avions pour les vingt prochaines années. Donc le vrai défi consiste à réussir à décarboner notre industrie dans ce contexte. »

L'hydrogène vert : un mirage ?

La réponse ne saurait venir de nouvelles énergies comme l'hydrogène vert, qui représente d'énormes défis logistiques et ne saurait être massivement déployé à court ou moyen terme, selon Tim Clark.

« Je m'inquiète car je pense que beaucoup de personnes se disent que dans la prochaine décennie les avions voleront tous à l'hydrogène, mais c'est un rêve, c'est impossible, l'hydrogène est une substance inflammable qui doit être distribuée et stockée depuis son point de production vers son lieu d'utilisation, ce qui représente un défi technique et logistique énorme. »

D'autant que se pose la question du financement des infrastructures nécessaires. « Un aéroport doit être rééquipé pour permettre aux avions de voler à l'hydrogène, et je ne connais aujourd'hui aucun aéroport qui veuille construire les infrastructures nécessaires, ni aucune compagnie aérienne qui soit prête à aider financièrement un aéroport à construire de telles capacités. Je pense que l'hydrogène sera sans conteste une solution à long terme pour un carburant alternatif, mais il y a encore de nombreux défis à résoudre pour y parvenir », note Willie Walsh.

Lire aussiLes compagnies aériennes mettent la pression sur les Etats pour avoir suffisamment de carburants durables (IATA)

75% de la flotte mondiale recourt encore à de vieux moteurs

Comme pistes de réduction rapide des émissions, les professionnels de l'industrie s'orientent plutôt vers des méthodes de fabrication et une consommation moins gourmandes en carbone. « Nous avons aujourd'hui une meilleure connaissance de l'aérodynamique, nous savons mieux utiliser les matériaux qui entrent dans la fabrication des avions, et nous sommes capables de construire des moteurs beaucoup plus économes en carburant », affirme Tim Clark.

Or, comme le pointe Christian Scherer, « 75% de la flotte mondiale recourt encore à des moteurs ancienne génération, on peut donc largement améliorer l'empreinte carbone de l'industrie en remplaçant ces vieux avions par de nouveaux. Nous souffrons également de grosses inefficacités dans la gestion du trafic aérien, que la technologie peut nous permettre d'améliorer. Et bien sûr, à terme, il faut parvenir à un carburant neutre en carbone. »

Pas certain que cela suffise pour combiner hausse du trafic aérien et réduction des émissions : dans une récente interview, Gerhard Krinner, l'un des auteurs du dernier rapport du GIEC, estime ainsi la réduction des déplacements en avion indispensable à la lutte contre le réchauffement climatique. Le Shift Project insiste également sur la nécessité de limiter progressivement la mobilité long-courrier en avion, tout en développant des modalités de voyage alternatives. Le Plan de transformation de l'économie française proposé par le collectif propose ainsi de réduire la place de l'avion dans les voyages longue distance de 35%.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 6
à écrit le 17/06/2023 à 21:21
Signaler
On s'acharne à faire des projections à 10 ans en se basant sur les chiffres d'aujourd'hui. Dans 10 ans, l'Allemagne aura au moins 140 GW de panneaux solaires en exploitation, l'électricité au prix de gros vaudra 0€ chaque jour de beau temps en Europ...

à écrit le 17/06/2023 à 12:51
Signaler
La solution est très simple , il suffit de jouer sur le prix des billets. Il suffit de doubler le prix du billet actuel avec 50% de l'augmentation au profit d'un fond mondial pour lutter contre l'évolution climatique et 50% au profit des compagnies ...

le 17/06/2023 à 13:40
Signaler
moi aussi, prix x 10, pour la planète sauf que ça fait bientôt 40 ans que j'en ai pas pris, d'avion. "comme un produit de luxe" donc revenir en arrière, comme quand j'étais jeune, l'avion était très cher et on allait à Orly les regarder décoller/att...

à écrit le 17/06/2023 à 11:20
Signaler
La Covid n'a pas été une parenthèse, c'est le confinement, qui a été une parenthèse

à écrit le 17/06/2023 à 10:54
Signaler
Vous parlez plutôt d'un cauchemar ! Et rien pour éviter les déplacements inutiles ? Espérons que la pollution touristique va disparaitre ! ;-)

le 17/06/2023 à 13:47
Signaler
Il restera la pollution commerciale, de business, etc. Quand les gens se focalisent que les jets privés, pourquoi oublient-ils les yachts voire 'paquebot' qu'ont les riches, ça consomme (fuel maritime) pas mal ces trucs là. Inutiles, oui, suite au d...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.