Marché européen de l’électricité : ce rapport tant attendu par l'Etat qui ne prône pas de réforme majeure

Alors que le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, s'attaque depuis plusieurs mois au marché européen de l'électricité, dont les « règles obsolètes » gonfleraient artificiellement les prix en France, un rapport d'experts internationaux commandé par la Commission de régulation de l'énergie préconise de ne pas s'opposer aux fondements de ce système, même s'il entraîne le fameux couplage entre les prix du gaz et de l'électricité dénoncé par l'exécutif. De son côté, Bercy affirme néanmoins être sur une position « assez proche », puisque le gouvernement ne compte pas modifier le marché de court terme, malgré les interventions assassines de Bruno Le Maire au début de la crise. Décryptage.
Marine Godelier
(Crédits : Reuters)

[Article mis à jour le 09/03/2023 à 10:30 avec la position du ministère de l'Economie et des Finances]

Voilà plus d'un an que le gouvernement promet de revoir « de fond en comble » le marché européen de l'électricité. Et pour cause, son fonctionnement s'avère « totalement aberrant », avait fustigé dès septembre 2021 le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire. Depuis, le mantra n'a pas changé : l'urgence, c'est de venir à bout du « couplage entre le prix du gaz et de l'électricité » auquel ce système aboutit, répètent à l'envi les ministres lors de déclarations publiques. Lequel serait responsable d'une aggravation de la crise en cours, en gonflant artificiellement les prix en France du fait de « règles obsolètes », toujours selon Bercy.

Une fois le coupable désigné, restait donc à savoir quelle réforme soutenir à Bruxelles pour en venir à bout. Il y a quelques mois, la Commission de régulation de l'énergie (CRE, une autorité administrative indépendante) a ainsi mandaté onze des experts internationaux considérés comme les plus pointus sur le sujet, afin qu'ils lui remettent un rapport d'ici au premier trimestre 2023. C'est désormais chose faite, puisque sa présidente, Emmanuelle Wargon, a indiqué mardi l'avoir reçu. Résultat : si les spécialistes restent prudents sur les éventuels ajustements à introduire, ils se montrent très clairs sur un autre aspect : celui de ne pas remettre en cause le mécanisme principal du marché, qui aboutit à lier les prix du gaz et de l'électricité.

« Ce qui en ressort, c'est qu'il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain », glisse à La Tribune l'un des experts ayant requis l'anonymat.

Pas de modification de l'architecture de base du marché

En effet, le groupe composé d'universitaires issus entre autres d'Harvard, Cambridge, Paris-Dauphine, Toulouse Business School, l'Université de Milan ou encore la Rurh University appelle, en chantre de la libéralisation, à « laisser les mécanismes de marché à court terme classer les différentes technologies en fonction de leur efficacité économique et de leur réactivité au marché ». Autrement dit, ils prescrivent de ne pas revenir sur les fondamentaux de ce système, qui revient à aligner l'ensemble des prix de l'électricité pour le lendemain sur les coûts marginaux de la dernière centrale appelée en Europe (généralement une centrale à gaz). Et ce, afin de donner un signal clair heure par heure des moyens de production mobilisés pour répondre à la demande, qui varie à chaque moment de la journée.

« Connecter les prix du gaz et de l'électricité, c'est la logique de ce marché. Imaginez que je dispose de trois centrales à l'échelle européenne, dont les coûts de fonctionnement sont respectivement de 10, 20 et 50 euros le MWh. Concrètement, si j'ai besoin d'appeler les trois à un instant T, le prix final sera aligné sur 50 euros. Autrement dit, les deux premières bénéficieront d'une rente infra-marginale, c'est-à-dire d'un « profit », important, et le prix du marché sera élevé », expliquait il y a quelques mois à La Tribune Jacques Percebois, économiste spécialiste de l'énergie et contributeur au rapport.

« Il y a des tentations sur le fait de changer ces règles de mise aux enchères. Pour nous c'est clairement ''non'' », a ainsi clarifié mercredi matin lors d'une conférence de presse organisée à la CRE la professeure Anna Creti (Paris-Dauphine), l'une des onze expertes mandatées.

« On considère tous que ce mécanisme répond parfaitement à sa mission, qui est de définir le producteur marginal qui coûte le moins cher à l'instant T », a abondé Frédéric Gonand, coordinateur du groupe d'experts.

Lire aussiPour ou contre : la France doit-elle sortir du marché européen de l'électricité ? (Anne Debregeas face à André Merlin)

Le modèle de l'acheteur unique écarté

En réalité, ces conclusions n'ont rien de surprenant. Car dès le lancement de ce groupe académique international, lors d'un colloque organisé le 15 décembre 2022 et introduit par la ministre de l'Energie, Agnès Pannier-Runacher, les premières analyses livrées par ces experts laissaient à penser que la majorité d'entre eux plaideraient pour un statu quo (du moins dans les grandes lignes).

« Comment voulez-vous dissocier les prix du gaz et de l'électricité lorsque le gaz est utilisé pour éviter la pénurie d'électricité ? [...] Le marché spot sélectionne les actifs pour la demande des trente prochaines minutes. Rien d'autre ne peut mieux le faire », avait lancé Jean-Michel Glachant (Florence School of Regulation). « L'idée d'un découplage n'est qu'une formulation utilisée par Ursula von der Leyen [la présidente de la Commission européenne, ndlr]. Mais existe-t-il un autre marché en Europe sur lequel nous souhaitons séparer le prix d'un intrant de celui de l'extrant ? », avait embrayé Anna Creti. Et David Newberry (Cambridge University) d'ajouter :

« Il est important que les prix marginaux guident les décisions. Si vous voulez diminuer la demande de gaz, vous devez le signaler par le prix. Car c'est ce qui incite à décarboner, afin de faire baisser ce prix ».

Une voix se détachait cependant du lot : celle de l'économiste Jacques Percebois, lequel défendait le modèle de l'« acheteur unique ». Dans cette hypothèse, un acheteur et coordinateur passerait des contrats avec plusieurs producteurs. « Ce coordinateur, qui pourrait être le gestionnaire de réseau RTE, mettrait aux enchères les besoins d'électricité. Autrement dit il organiserait des appels d'offres et choisirait les producteurs les plus performants. La concurrence s'effectuerait entre producteurs français. On parlerait alors de concurrence pour le marché et non de concurrence par le marché, », expliquait en janvier à La Tribune le professeur, qui proposait de maintenir en parallèle un « petit marché spot », présenté comme « un marché d'ajustement » en cas de manque d'électricité.

« Cette piste est selon moi la meilleure et la plus réaliste car elle permet de concilier régulation et marché. Il y une incitation à l'efficience par le marché », estimait-il.

Mais sa proposition ne figure pas dans le rapport remis à la CRE, si ce n'est dans une note de bas de page noyée à la fin du document.

Les contrats à long terme peuvent se développer, mais sans assécher le marché au comptant

De son côté, Bercy affirme être sur une position assez proche de celle des experts, et ne pas vouloir modifier la méthode de fixation du prix de l'électricité à court terme sur le marché, malgré les interventions assassines de Bruno Le Maire au début de la crise. En revanche, « il faut développer des instruments qui reforment le marché de détail, c'est à dire qui rapprochent le prix payé par le consommateur du coût de production », explique-t-on dans l'entourage de Bruno Le Maire. Et ce, par-dessus ce marché de court terme, afin de le corriger.

Concrètement, l'idée serait de généraliser les « contrats pour différence » (CfD), ces contrats à long terme qui assurent aux producteurs d'énergie une rémunération fixe sur dix, quinze ou vingt ans. Ce mécanisme, qui existe d'ailleurs déjà en France, prévoit en effet une compensation financière aux opérateurs d'énergies renouvelables lorsque les prix sur le marché sont inférieurs au prix cible fixé lors des appels d'offres, afin d'encourager leur développement...mais aussi, en retour, un versement de l'excédent à la puissance publique quand ces prix lui sont supérieurs.

« En tant que producteur lié par ce type de contrat, vous vendez sur le marché de gros traditionnel, mais il y a un ajustement ex-post. Par exemple, si vous écoulez un MWh sur le marché au comptant à 150 euros, mais que le contrat prévoit un plafond de 100 euros le MWh, vous devrez restituer 50 euros a posteriori », explique Jacques Percebois.

Or, selon les experts mandatés par la CRE, ces CfD peuvent se développer en parallèle du système de mise aux enchères, mais seulement de manière limitée, et en parallèle d'autres contrats de long terme. « Ceux-ci ne doivent pas assécher le marché de court terme », a ainsi défendu mercredi Anna Creti. En d'autres termes, ce dernier doit rester la référence, plutôt que d'être contourné par la plupart des acteurs dans le cadre de partenariats bilatéraux. « L'idée, c'est que ces transactions hors-marché soient l'exception plutôt que la règle. Il ne s'agirait que d'ajustements, afin de mettre un peu d'huile dans les rouages », commente un proche du dossier.

Cette position pourrait donc se heurter à celle défendue par la France. Car selon nos informations, Bercy réfléchit à étendre très largement ce système de CfD, en déconnectant du marché spot 80%, 90% voire 100% des infrastructures de production d'électricité dans l'Hexagone. « Dans ces conditions, le risque, c'est forcément que le marché de gros ne devienne qu'un marché d'appoint », glisse à La Tribune l'expert ayant requis l'anonymat. « C'est en tout cas ce que l'on craint. Le marché des enchères journalières ne doit pas être seulement théorique. Il faut que ces mécanismes de CfD laissent aux opérateurs l'optionnalité du court terme, lequel doit de toute façon rester le pivot pour tous les contrats », ajoute Anna Creti. Reste à voir si ceux-ci seront entendus, alors que la Première ministre, Elisabeth Borne, s'entretiendra avec Agnès Pannier-Runacher jeudi 9 mars sur la question, et que la Commission européenne devra présenter un premier texte le 14 mars.

Lire aussiLes entreprises énergo-intensives prêtes à financer une tranche du futur nucléaire en échange d'une capacité d'électricité réservée (Nicolas de Warren, Uniden)

Marine Godelier

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Commentaires 29
à écrit le 09/03/2023 à 14:50
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Pendant ce temps : Ils sont allés dans le sens des réquisitions. Deux juges d’instruction parisiennes ont ordonné ce jeudi le renvoi en correctionnelle du pilier de la majorité François Bayrou et de dix autres personnes dans l’affaire de l’emploi ...

à écrit le 09/03/2023 à 10:11
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Soit on veut un marché libre et non faussé (généralement le crédo de la Commission) et dans ce cas on n'a pas besoin d'une réglementation aussi intrusive qu'elle l'est actuellement. Laissons les producteurs et distributeurs s'entendre entre eux et to...

à écrit le 09/03/2023 à 9:58
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"CRE, une autorité administrative indépendante", "sa présidente, Emmanuelle Wargon". On parle bien de celle, qui, "Défaite aux élections législatives de juin 2022, elle est nommée à la tête de la Commission de régulation de l'énergie par décret prési...

à écrit le 09/03/2023 à 9:00
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L'Electricite n'est pas transportable (a plus de 200 km), RTE a des lignes Haute Tension, mais la loi de Joule est ineluctable (P = R*I^2), Les pertes en energie deviennent trop importantes, au dela de 200km Il n'y a pas de marche Europeen, peut-...

à écrit le 09/03/2023 à 7:18
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Et oui un rapport qui contredit le bordel énergetique dans lequel la France se trouve grâce à cette brillante idée Européenne.....très forts les gars....ça sent la pression des lobis à plein nez....

à écrit le 09/03/2023 à 7:18
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Et oui un rapport qui contredit le bordel énergetique dans lequel la France se trouve grâce à cette brillante idée Européenne.....très forts les gars....ça sent la pression des lobis à plein nez....

à écrit le 08/03/2023 à 20:28
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Appliquons cette règles aux boulangers, et voyons si doubler le prix de la levure doit doubler le prix de la baguette parce que c'est "le mécanisme". Ou simplement au salaire minimal, indexé non sur l'inflation moyenne mais sur l'inflation la plus ...

à écrit le 08/03/2023 à 19:22
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Je ne comprends pas pourquoi tout le monde s'offusque. La théorie des prix marginaux sur un marché tel que celui de l'électricité est documentée depuis 1956, oui 1956, par Marcel Boiteux futur PDG d'Edf, économiste, énarque normalien et grand servite...

le 08/03/2023 à 19:53
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Les mécanismes de marché doivent-ils s'appliquer pour des activités régaliennes telle que la production d'électricité nucléaire qui ne doit en rien relever du privé? La France élitiste comme vous l'appelez, à coup de désindustrialisation, de soumiss...

le 08/03/2023 à 22:13
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On va à coup sûr voir arriver davantage de soucis de maintenance comme celui de ces derniers jours avec une politique pareille, et très bientôt un accident incontrôlable majeur. Il est vital de signifier en urgence le caractère stratégique du retour ...

le 08/03/2023 à 23:01
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En attendant mon porte monnaie lui trinque et ça aussi c est mathématique .. Siri s de ce là et He idiot cette financiarisatiôn rampante de la société . Rien à foutres des inegrstscdes néerlandais qui possèdent ce marché européen . .. en affaire on...

le 08/03/2023 à 23:03
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En attendant mon porte monnaie lui trinque et ça aussi c est mathématique .. Siortons de cette mascarade et De cette financiarisatiôn rampante de la société . Rien à foutres des intérêts néerlandais qui possèdent ce marché européen . .. en affaire ...

le 08/03/2023 à 23:03
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En attendant mon porte monnaie lui trinque et ça aussi c est mathématique .. Siortons de cette mascarade et De cette financiarisatiôn rampante de la société . Rien à foutres des intérêts néerlandais qui possèdent ce marché européen . .. en affaire ...

à écrit le 08/03/2023 à 19:15
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Un autre mode de calcul des prix est possible si les acteurs ne sont pas privés : Dans ce mode les prix de revient de chaque centrale sont définis et on paye chaque centrale à son prix de revient + marge fixe, en faisant allouant les centrales de ...

à écrit le 08/03/2023 à 18:30
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Je ne sais pas si nos pays "ennemis" : Chine, pays arabes, Russie, Afrique, Inde et autres lancent des paris sur l'Europe et sa future banque route ? Combien de temps tiendront ils, avec tous leurs lapins crétins ? Quel pays sera le 1er à exploser en...

à écrit le 08/03/2023 à 18:27
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Le nom des lobbies qui se cachent derrière ces experts? Est ce possible????

à écrit le 08/03/2023 à 18:05
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Voilà pourquoi "le gaz est le meilleur allié des énergies renouvelables" ! Il faut reconnaître que les Allemands avaient bien combiner l'affaire, on doit enrager dans la Ruhr. Bon ! On a le point de vue des économistes "mainstream" sur les prix margi...

à écrit le 08/03/2023 à 17:18
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Avant....quand en France il y avait EDF/GDF, nous n'avons jamais manqué de gaz oi d'électricité ni payé des sommes ou subi des augmentations faramineuses. Conclusion, la deregulation et le passage au privé vont à l'encontre des intérêts des partic...

à écrit le 08/03/2023 à 16:19
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"un rapport d'experts internationaux commandé par la Commission de régulation de l'énergie".. qui sont-ils? Quelss sont leurs rapports d'intérêts actuels et à moyen terme? Toutes les auditions parlementaires disent la même chose et sont contraires...

à écrit le 08/03/2023 à 15:43
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Ce rapport est une fumisterie qui sert à protéger le marché actuel.

à écrit le 08/03/2023 à 15:35
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Voici le nom des onze experts : - Pr. David Newbery (Université de Cambridge) ; - Pr. William Hogan (Université de Harvard) ; - Pr. Anna Creti (Université Paris Dauphine-PSL) ; - Pr. Jean-Michel Glachant (Florence School of Regulation...

le 08/03/2023 à 16:47
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@lachose La seule question qui vaille c'est quel est leur intérêt derrière ce rapport bidon? Pour qui roulent-ils? Qu'ont-ils touchés pour pondre une telle ânerie, qui avantage les groupes mais désavantage les citoyens?? Le reste n'est que du ven...

le 08/03/2023 à 17:11
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Je suis d'accord, c'est pour cela que j'ai mis les noms pour que chacun aille voir le pédigrée de ces individus qui sont des experts surtout pro-européen ,ils s'en foutent de la France .

à écrit le 08/03/2023 à 15:12
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Effectivement, le marché actuel de l'énergie est très profitable pour les spéculateur et l'état. Le spécutalisme se porte très bien. Il faut aussi garantir la rente des taxes, et des profits toujours plus conséquents pour les spéculateurs. Le fait de...

à écrit le 08/03/2023 à 15:07
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"Il est important que les prix marginaux guident les décisions. Si vous voulez diminuer la demande de gaz, vous devez le signaler par le prix. Car c'est ce qui incite à décarboner, afin de faire baisser ce prix". Et le producteur marginal qui coûte l...

le 08/03/2023 à 16:11
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Que cela plaise ou pas, il est certain que les prix de l'électricité étaient maîtrisés avant le marché européen.

à écrit le 08/03/2023 à 14:57
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il faut bien avouer que EDF n'a pas du tout ete soumis aux regles qu'il fallait sous HOLLANDE! ROYAL a passe son teemps a expliquer que quand les prix baissent, edf doit baisser ses prix, et quand ca monte, edf doit ' prendre ses responsabilites' ree...

le 08/03/2023 à 16:38
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C'est sarkozy qui a signé la loi nome... Pour nous c'est clairement ''non'' », a ainsi clarifié mercredi matin lors d'une conférence de presse organisée à la CRE la professeure Anna Creti (Paris-Dauphine), l'une des onze expertes mandatées. Com...

à écrit le 08/03/2023 à 14:08
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Ce rapport est une farce. Les experts retenus sont tous des ultralibéraux >>> experts venant d'Harvard, Cambridge, Dauphine, Toulouse Business School, l'Université de Milan ou encore la Rurh University Comment s'étonner ensuite qu'ils se prononcent...

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