Technip Energies, l'autre industriel français qui surfe sur la vague du GNL

TotalEnergies et Engie ne sont pas les seuls industriels tricolores à tirer parti de l'engouement pour le gaz naturel liquéfié. Beaucoup moins connu, le groupe d'ingénierie Technip Energies tire la grande majorité de ses revenus du GNL et a vu l'activité de son usine bourguignonne s'envoler, tandis que ses revenus liés au raffinage de pétrole sont devenus minoritaires. Alors qu'il s'agit aussi d'une énergie fossile, le gaz devrait faire vivre l'entreprise tricolore encore de nombreuses années. Une étape nécessaire, selon son dirigeant, pour financer sa transition vers les solutions décarbonées, comme le captage de CO2, l'hydrogène vert et l'éolien en mer.
Juliette Raynal
Dans son usine de Sens (Yonne), Technip Energies fabrique des bras de chargement cryogéniques utilisés notamment pour charger et décharger les cargaisons de GNL. Depuis la Bourgogne, Technip Energies fournit des clients dans le monde entier.
Dans son usine de Sens (Yonne), Technip Energies fabrique des bras de chargement cryogéniques utilisés notamment pour charger et décharger les cargaisons de GNL. Depuis la Bourgogne, Technip Energies fournit des clients dans le monde entier. (Crédits : Technip Energies)

L'exercice peut paraître original, mais il semblerait que pour définir l'entreprise Technip Energies il faille d'abord rappeler ce qu'elle n'est pas.« Nous ne sommes pas des producteurs, nous ne sommes pas des foreurs », aime ainsi rappeler à ses interlocuteurs Arnaud Piéton, le PDG de Technip Energies. « Et dire que nous sommes un parapétrolier est un abus de langage », précise-t-il encore.

Un carnet de commandes à 19 milliards

Née de la scission en 2021 de l'entreprise TechnipFMC, elle-même créée en 2017 par la fusion de la société française Technip et de l'américain FMC, Technip Energies est beaucoup moins médiatique que les trois grandes entreprises françaises du secteur de l'énergie (EDF, Engie et TotalEnergies). Et pour cause, cette société d'ingénierie, qui aime se présenter comme l'architecte des infrastructures énergétiques, intervient systématiquement en deuxième ligne, comme sous-traitant. Elle est aussi bien plus petite puisqu'elle pèse dix fois moins qu'Engie en Bourse et plus de 30 fois moins que TotalEnergies.

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Pourtant, derrière cette discrétion se cache une forte ambition et des projets hors normes. En atteste son carnet de commandes, qui culmine à près de 19 milliards d'euros, « le plus haut atteint depuis la création de la société », s'est félicité jeudi dernier son dirigeant, lors de la publication des résultats semestriels. Un montant équivalent, peu ou prou, à trois fois le chiffre d'affaires annuel de l'entreprise, qui emploie 15.000 salariés.

Ses résultats semestriels sont certes ressortis en demi-teinte sous l'effet de l'arrêt de ses projets en Russie (Technip était partenaire des gigantesques projets de gaz naturel liquéfié Yamal et Arctic LNG), mais l'essor mondial du gaz naturel liquéfié (GNL) continue de porter l'entreprise. « Technip Energies affiche une bonne santé financière et un bilan très solide », assure un analyste financier, qui couvre la valeur depuis plus de 20 ans.

Le GNL, près de 60% du chiffre d'affaires

Alors que le pétrole ne représente aujourd'hui qu'une part minoritaire de son chiffre d'affaires (entre 5 et 8% via des activités de raffinage en Egypte notamment) Technip Energies, ou TEN pour son petit nom, ambitionne d'être leader dans le GNL. Ce gaz, qui peut-être acheminé par voie maritime partout dans le monde, représente environ 60% de son chiffre d'affaires et 50% de son carnet de commandes. TotalEnergies et Engie ne sont donc pas les seuls industriels français à surfer sur la vague du GNL, devenue une denrée précieuse pour les Européens depuis que les flux de gaz russes acheminés par gazoducs se sont drastiquement réduits, suite à l'invasion de l'Ukraine.

En mai dernier, l'entreprise a ainsi décroché au Qatar un méga-contrat à 10 milliards de dollars, deux ans après en avoir obtenu un premier à 13 milliards de dollars, qui s'est traduit par un chantier titanesque. Actuellement, plus de 22.000 personnes travaillent sur le site. Elles seront 50.000 au deuxième trimestre 2024. Dans les deux cas, il s'agit de concevoir et de livrer des usines de production de GNL. « Ce sont des projets qui s'étalent sur sept à huit ans. Ce sont des projets stratégiques pour des décennies, parfois même pour un demi-siècle. Ils ne sont pas influencés par des événements cycliques. Cela donne une base robuste à l'entreprise », expose Arnaud Piéton.

Une usine bourguignonne qui fournit des clients dans le monde entier

Et, tandis que l'entreprise ne compte que deux sites industriels dans le monde, l'un deux est entièrement dédié à la fabrication de bras de chargement cryogénique, des sortes d'immenses compas industriels pouvant mesurer jusqu'à 25 mètres de haut, utilisés notamment pour charger et décharger les cargaisons de GNL. C'est ici qu'a été conçu les bras de chargement du gigantesque projet Prélude, la toute première usine de liquéfaction flottante, mais aussi le plus grand complexe flottant jamais réalisé (la structure est grande comme sept Airbus A380).

L'usine, basée en pleine campagne bourguignonne à Sens (Yonne), a vu son activité s'envoler l'an dernier à mesure que les projets de terminaux méthaniers se sont multipliés en Europe, comme l'unité flottante de regazéification de TotalEnergies, dont la mise en service sur le port du Havre (Seine-Maritime) est prévue pour mi-septembre. Des investissements ont été réalisés pour gonfler sa capacité de production tandis que son chiffre d'affaires est passé de 71 millions d'euros en 2021 à 103 millions en 2022.

« Nous fabriquons entre 50 et 80 bras par an », précise Eric Morilhat, le directeur de l'usine, lors d'une visite des lignes d'assemblage. Ici, un bras à destination de la Chine. Un peu plus loin, un autre en réparation en provenance d'Espagne. Ici encore, un bras en partance pour la Norvège. D'autres serviront le marché américain. Le site a aussi récemment livré les premiers bras de chargement au monde dédiés au CO2 liquéfié dans le cadre du vaste projet de séquestration de carbone Northen Lights en Norvège. Au total, l'entreprise revendique avoir déjà livré quelque 15.000 bras à travers le monde, soit la plus grosse base installée. « Nous détenons entre 30 et 35% des parts de marché », fait valoir Arnaud Piéton.

Le GNL pour «payer notre transition »

Le patron de TEN ne cache pas son ambition de continuer à investir sur ce marché, alors que le GNL reste une énergie fossile émettrice de gaz à effet de serre responsables du changement climatique. « Pourquoi nous n'abandonnons pas le GNL ? Pour une raison programmatique : c'est un marché qui reste très fort et nous avons besoin de payer notre développement et notre transition », explique-t-il. Et d'ajouter : « Il s'agit de l'énergie carbonée la moins carbonée ».

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« Certes, le gaz naturel émet deux fois moins que le charbon, mais il est dix fois plus carboné que les alternatives bas carbone, comme l'éolien, le solaire ou le nucléaire », pointe cependant Alexandre Joly du cabinet Carbone 4. Surtout, « la consommation de gaz naturel ne vient pas se substituer à celle du charbon, elle vient s'ajouter. On n'a jamais brûlé autant de charbon dans notre histoire », déplore l'expert. « Réussir la transition énergétique signifie respecter l'Accord de Paris, ce qui implique une diminution de 5% par an de toutes les énergies fossiles », explique-t-il. Par ailleurs, des études montrent que l'empreinte climatique du GNL est souvent supérieure à celle acheminée par gazoducs en raison des étapes de liquéfaction et de transport.

« Nos clients, y compris ceux qu'on pourrait considérer comme étant les plus conservateurs, nous réclament des solutions de décarbonation. Les projets au Qatar de GNL intègrent tous des solutions de captage de CO2 », se défend Arnaud Piéton. « L'année dernière, nous avons vu une très grosse poussée de prises de commandes sur notre activité management du carbone », souligne-t-il.

Captage de CO2, hydrogène vert et éolien flottant

Le portefeuille de l'entreprise représente quelque 38 millions de tonnes de CO2 à capter ou en cours de captage, soit peu ou prou l'équivalent de l'ambition française en la matière, pointe le dirigeant. Pour répondre à cette demande grandissante, la société d'ingénierie a récemment lancé une offre baptisée Capture Now. Elle entend ainsi tirer son épingle du jeu face à des concurrents, comme le norvégien Aker Carbon Capture, de plus en plus nombreux à se positionner sur un sujet « à fort potentiel », selon les analystes financiers.

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En parallèle, la société d'ingénierie nourrit aussi des ambitions dans l'hydrogène vert et les carburants de synthèse à travers une coentreprise baptisée Rely, formée avec le spécialiste belge des électrolyseurs John Cockerill. La joint-venture vise ainsi le milliard d'euros de chiffre d'affaires à l'horizon 2030.

Autre terrain de jeu dans cette logique de transition énergétique : l'éolien en mer flottant. Pour l'heure, cette activité reste largement marginale et ne génère que très peu de revenus. De fait, le groupe d'ingénierie n'a remporté que des études (en Corée du Sud, en Espagne ou encore en Italie) qu'il espère transformer en projets. Pour s'imposer dans cette nouvelle compétition, l'entreprise mise sur sa technologie maison de flotteur pour éolienne. Elle a aussi investi dans une start-up espagnole, X1 Wind, dont le flotteur permet de s'affranchir d'un grand mât vertical. De quoi réduire considérablement le poids de la masse flottante, et donc, le coût de l'infrastructure. A termes, Technip Energies prévoit de monter à 100% dans le capital de la jeune pousse et espère que l'éolien flottant devienne stratégique pour le groupe à l'horizon 2030. « C'est le gaz qui va encore nous faire vivre pendant un certain nombre d'années », reconnaît-on toutefois en interne.

Sortir d'une « sur-dépendance aux gros éléphants »

Cette diversification reflète aussi la volonté de Technip Energies de développer un modèle hybride reposant, d'un côté, sur des vastes projets à cycles longs et, de l'autre, sur des contrats plus courts basés sur ses propres technologies, produits et services regroupés au sein de la division TPS, laquelle a grossi de 45% en un an. « Cette division génère structurellement une marge opérationnelle proche ou à deux chiffres, bien supérieure à celle des grands projets, dont la marge avoisine les 5-7%, parfois 8% », explique un analyste financier.

L'approche clé en main proposée dans le cadre des grands projets d'infrastructures énergétique « est vue, par certains, comme un métier à risque financier », reconnaît, par ailleurs, Arnaud Piéton, dont la stratégie consiste à « faire sortir Technip Energies de cette sur-dépendance aux gros éléphants ». Il ne s'agit pas de réduire cette activité, mais de « faire grossir le reste, précise-t-il. Cela passe par plus de technologies et de produits propriétaires ». Pour mener à bien cette stratégie, TEN parie, entre autres, sur des opérations de croissance externe. Ses quelque 3,5 milliards d'euros en banque lui donnent une belle assise pour réaliser ces futures acquisitions.

Juliette Raynal

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Commentaires 4
à écrit le 01/08/2023 à 2:52
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Cela ne saurait faire oublier comment la gouvernance de Technip (pourtant deux fois plus grosse que TMC) l'a vendue aux américains après les turpitudes d'Unaoil, pour de sombres histoires de corruption et de droit extraterritorial américain, dans l...

à écrit le 31/07/2023 à 16:17
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Une belle société devenue loquace en sortant du discret business du pétrole. Elle est restée dans le secteur de l'énergie et se diversifie nettement. Réalpolitique avec le GNL, disruptive avec le très beau projet éolien flottant. Invisible dans la sp...

le 01/08/2023 à 3:13
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La production d'hydrogène en France est d'environ 1 million de tonnes par an. La découverte de Moselle porterait sur un stock de 46 millions. Il y aurait de quoi asseoir plus solidement une filière hydrogène en France, sans doute aussi contribuer eff...

le 01/08/2023 à 22:54
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D'après ce que j'ai lu (je ne suis pas allé voir au fond), l'hydrogène de mine est issu d'un phénomène dynamique : le gisement se recharge en permanence suite à une réaction catalytique entre le fer tellurique et les sources d'eau en profondeur. Ce n...

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