Avec l’érosion du pouvoir d’achat, les achats de seconde main s’envolent

Les entreprises spécialisées dans la vente de vêtements de seconde main et dans le reconditionné affichent des taux de croissance à deux chiffres. Et cette activité a de beaux jours devant elle avec l'érosion du pouvoir d'achat des consommateurs. Pour autant, derrière la croissance, se cache aussi une très forte concurrence et un manque de rentabilité sur les jeunes pousses de l’occasion et du reconditionné.
Maxime Heuze
Selon un barômètre BCPE, en 2022, le budget des Français alloué aux articles de mode de seconde main a augmenté de 15% sur un an.

Une chose est sûre, l'inflation et l'érosion du pouvoir d'achat qui l'accompagne changent les choix de consommation des ménages. Face à la hausse généralisée des prix, le baromètre Digital & Payments, publié le 1er février par le deuxième plus gros groupe bancaire de France BPCE, montre une tendance croissante des Français à consommer des produits de seconde main. Selon ce baromètre qui a analysé les achats de 20 millions de cartes bancaires en 2022, le budget des Français alloué aux articles de mode de seconde main a augmenté de 15% sur un an (contre +4% pour le prêt-à-porter de première main), tandis que celui alloué aux produits reconditionnés a progressé de 8%.

Forte hausse des demandes de seconde main et du reconditionné

« D'après un sondage que nous avons réalisé, les dépenses sur le marché de la seconde main ont augmenté de 22% sur la période février-août 2022 », constate Jean-Sebastien Verwaerde, directeur associé au Boston consulting group (BCG) et spécialiste du commerce. Selon lui, « la croissance de la seconde main bénéficie d'une tendance de fond qui a été révélée avec le covid-19 et qui s'est accélérée avec l'inflation. »

Pourtant déjà en 2021, la valeur du marché mondial de la revente de vêtements, chaussures et accessoires était estimée entre 101,15 et 121,38 milliards d'euros (3 fois plus qu'en 2020) ce qui représente 3 à 5% de l'ensemble du secteur de l'habillement, des chaussures et des accessoires, selon une étude du BCG pour Vestiaire Collective.

Au niveau de la France, une étude de la startup Tripartie affirme que 7 personnes sur 10 ont acheté des vêtements de seconde main la même année. Et cette tendance s'est fait ressentir sur les marketplaces du secteur de la mode. « En 2021, le chiffre d'affaires du groupe a augmenté de 65 %, passant de 148,5 millions d'euros à 245 millions d'euros », affirme Vinted qui n'a pas encore communiqué ses résultats 2022.

Une dynamique également constatée dans le marché du reconditionné. « On a connu un boom des ventes qui a été multipliée par 2 sur un an en 2021 et par 3 en 2022 », affirme David Mignot, le cofondateur de YesYes, une entreprise de reconditionnement d'appareils électroniques créé il y a cinq ans. Selon une étude du cabinet GfK pour YesYes, 3,1 millions de smartphones reconditionnés ont été vendus en 2021 en France, pour un chiffre d'affaires de 800 millions d'euros, soit une hausse de 20% par rapport à 2020. Ce chiffre représente 16,23% du marché total des smartphones dans l'Hexagone (16 millions en 2021). Et si l'on en croit la hausse exponentielle des ventes de YesYes, 2022 pourrait donc être un grand millésime, meilleur encore que celui observé en 2021 pour les entreprises de reconditionnement.

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D'après le consultant du BCG, la très bonne santé de ces deux marchés provient avant tout de l'inflation et de l'érosion du pouvoir d'achat qui incite non seulement les consommateurs à faire des économies mais aussi les particuliers qui ont besoin d'argent à vendre davantage d'articles. « Mais il y a aussi une dynamique de fonds et de long terme, celle de la consommation responsable. Il s'agit d'un sujet qui touche particulièrement les jeunes qui aiment toujours la fast fashion mais qui consomment davantage des articles de seconde main par conscience écologique », ajoute Yannick Franc, associé chez Deloitte en charge du commerce et de la vente au détail.

Un marché nouveau où règne une forte concurrence

Si les entreprises de revente de seconde main (Vinted, Leboncoin, Vestiaire collective) ont le vent en poupe, quelques obstacles semblent se placer sur le chemin de leur croissance à deux chiffres. « Les startups de la seconde main sont désormais concurrencées par les commerces traditionnels comme Kiabi ou Petit bateau qui investissent à leur tour le marché de l'occasion et pourraient conquérir des parts de marché », met en garde Jean-Sebastien Verwaerde.

Concernant le reconditionné, le problème de la concurrence est encore plus présent. Sur le marché des smartphones et des ordinateurs de seconde main se font face « des reconditionneurs, des marketplaces, des réparateurs mais aussi des vendeurs d'occasion ce qui brouille les consommateurs », présente David Mignot. Et si « l'on constate une prédominance du reconditionné sur le marché français », une telle concentration pousse les prix - et donc les marges - à la baisse, ce qui pourrait être problématique à l'avenir.

Des jeunes poussent toujours déficitaires

Car un gros point noir gâche le beau tableau du marché de l'occasion : le manque de rentabilité.

En 2021 « nous n'avons pas fait de bénéfices, mais nous avons réinvesti dans la croissance, avec une stratégie centrée sur le long terme », confie Vinted. Une situation qui semble à l'image du marché de la seconde main et du reconditionné selon le Boston consulting group. « Ces plateformes sont en quête de croissance et cherchent donc à être ultra compétitives mais si cela implique qu'elles ne soient pas rentables au départ. Dans un second temps en revanche, les entreprises qui deviendront leader de leur marché pourront se tourner vers la rentabilité. C'est exactement ce qu'il s'est passé avec Amazon qui n'a pas été rentable pendant 15 ans avant de dominer son secteur », analyse Jean-Sebastien Verwaerde.

En France, un acteur fait cependant office d'ovni dans le secteur de la seconde main : Leboncoin. La société affirme en effet être rentable depuis 2009 et explique sa différence avec ses concurrents par le fait que « les plateformes spécialisées mettent beaucoup de moyens pour améliorer l'expérience utilisateur sur leur site, mais cela a un coût », estime Marc Brandsma, directeur général de Leboncoin. Pour financer leur croissance, en partie due aux importants investissements dans l'expérience client et dans la communication pour s'intégrer dans de nouveaux pays, les jeunes pousses ont eu pour habitude de solliciter des levées de fonds. Problème, face à l'inflation et la hausse des taux, obtenir des financements est devenu plus difficile en 2022.

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Résultat, certaines de ses sociétés ont dû réduire leurs coûts. C'est le cas de Back Market, une marketplace de produits reconditionnés qui s'est séparé de 96 employés (13% de ses effectifs) début janvier. « Leurs investissements ne sont pas tournés vers la rentabilité mais uniquement vers l'hyper croissance », interprète le cofondateur de YesYes (ex-client de Back Market), insistant sur le fait que « le marché qui est trop concentré va se restructurer dans les années à venir » et que les grosses entreprises que négligent leur rentabilité, seront les premières à fermer boutique selon lui. Un constat qui n'est pas du tout partagé par Back Market qui explique vouloir supprimer des postes en anticipation d'une dégradation des perspectives économiques et assure pouvoir générer des bénéfices si elle diminue ses investissements tournés vers la croissance. « Le marché n'est pas trop concentré. Même si les acteurs traditionnels (Fnac, Boulanger, ndlr) se mettent au reconditionné ce n'est pas un problème car ça fait grossir le marché », tient à rassurer une porte-parole de l'entreprise.

Finalement, « la réalité est sûrement entre les deux, on peut s'attendre à une certaine consolidation autour des acteurs les plus puissants qui vont pouvoir accéder aux capitaux. Mais le marché du reconditionné reste en pleine croissance et cette restructuration ne sera pas de grande ampleur », tranche Jean-Sebastien Verwaerde. Il semble donc bien que les marchés de la seconde main et du reconditionné français suivent la trace des sociétés de la tech américaine dans les années 2000, devenue extrêmement lucrative après avoir souffert d'un manque de rentabilité pendant de nombreuses années.

Maxime Heuze

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Commentaire 1
à écrit le 10/02/2023 à 18:30
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au lieu d'acheter en premiere main des vetements dont on n'a pas besoin, les gens les achetent moins chers en seconde main......reconnaissons que sous certains aspects, l'inflation a le merite de remettre un peu de bons sens dans la machine

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