Ehpad : Korian prêt à devenir une entreprise à mission, le dossier dévoilé le 3 mars

EXCLUSIF. Alors qu'une tempête boursière et médiatique touche le secteur des Ehpad, le groupe Korian, dont le cours de bourse a dévissé d'un tiers de sa valeur en un mois, envisage d'adopter un modèle de société à mission. Le sujet sera abordé en Comité Social et Économique Central d'ici à une dizaine de jours. Les syndicats sont divisés. Et pour certains analystes financiers, la réforme statutaire et organisationnelle qu'impose ce nouveau cadre plus transparent pourrait à terme rassurer les marchés. Reste à définir les bons critères sociaux et la raison d'être de l'entreprise pour ne pas tomber dans le "purpose washing". Explications.
(Crédits : Charles Platiau)

Depuis la publication du livre « les fossoyeurs » - qui décrit le système de maltraitance des seniors dans le groupe Orpea, les leaders français du secteur des maisons de retraite sont englués dans une tempête médiatique et boursière. Si le numéro un en France du secteur des Ehpad, Korian, n'est pas directement visé par les révélations du journaliste indépendant Victor Castanet, le cours de bourse de l'entreprise (298 établissements Ehpad, 24960 lits) a dévissé d'environ 30% depuis le 24 janvier, notamment après l'annonce d'une émission de Cash investigation à venir sur le groupe.

Gouvernement et gestionnaires de fonds s'interrogent désormais sur le statut à but lucratif des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes privés, et demandent une modification en profondeur de la structure de l'entreprise. Dans une lettre rendue publique adressée au président du conseil d'administration d'Orpea, le fonds d'investissement Mirova, qui détient 3,9% du capital du groupe, suggère une refonte du modèle et l'adoption du statut « d'entreprise à mission ».

Une réunion prévue le 3 mars

Si Orpea dit étudier toutes les propositions formulées par la société de gestion ESG, son concurrent Korian est bien parti pour adopter ce statut. Selon nos informations, le sujet sera mis sur la table du prochain Comité Social et Économique Central (CSEC), le 3 mars prochain. L'ordre du jour que La Tribune a pu consulter est clair :  La réunion abordera « une information en vue de la consultation ultérieure sur le passage au statut d'entreprise à mission ».

Interrogé, le groupe confirme : « Le CSEC nous a demandé d'engager une réflexion sur le passage à une entreprise à mission. La direction générale accueille favorablement cette demande et va y travailler avec ses instances de gouvernance, étant entendu qu'une telle décision ne peut être qu'approuvée par l'Assemblée générale. »

Selon plusieurs sources sollicitées, la présentation en CSEC témoigne d'un projet assez mûr au sein de la direction générale. Difficile d'imaginer en effet que deux actionnaires de poids du groupe Korian, Malakoff Médéric et Predica (filiale de Crédit agricole assurances), qui pèsent environ 30% du capital, n'aient pas été consultés.

Lors de son audition devant la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale, le 16 février dernier dans le cadre du scandale Orpea, la directrice générale du groupe, Sophie Boissard, avait indiqué que « nos instances représentatives du personnel ont pris position en disant qu'elles seraient très favorables à ce que Korian aille vers une entreprise à mission et le groupe s'était d'ailleurs déjà posé cette question après la loi PACTE. Si on va vers le statut d'entreprise à mission, nous aurons une forme d'autodiscipline, j'aurais donc tendance à miser sur ce statut là et la gouvernance qui l'accompagne. »

Le statut de « société à mission » a été créé par la loi Pacte (Plan d'action pour la croissance et la transformation des entreprises) en 2019. Une entreprise adoptant ce mode de gouvernance engage l'ensemble de ses parties prenantes à respecter des engagements clairement notifiés. En outre, la loi exige un double contrôle : la création d'un comité de mission interne et le recours régulier à un audit externe indépendant, tous deux chargés de veiller à la bonne exécution de la mission.

Transparence attendue

Du côté de l'Unsa, l'un des syndicats majoritaires, cette annonce est accueillie favorablement. « Transformer notre entreprise actuelle en entreprise à mission est un processus long. Le changement statutaire qu'impose le passage à ce type de gouvernance fait que la raison d'être ne peut pas seulement être la rentabilité financière. Nous sommes intimement persuadés que c'est ce que nous devons faire ». Le syndicat défend cette idée depuis plusieurs semaines auprès de la direction, notamment à travers un courrier envoyé fin janvier. Et évoque le programme de certification qualité du groupe ISO 900 implémentées dans une trentaine d'établissements du groupe et une centaine à venir cette année.

La CGT, pour sa part, troisième force syndicale de l'entreprise, affiche un certain scepticisme. « Nous redoutons que ce soit une stratégie visant à enlever l'image ultra capitaliste du groupe. Nous voulons bien faire confiance, mais il nous faut des éléments factuels, transparents. Et aujourd'hui, comment faire confiance à une entreprise qui ne communique aucune information demandée, ou de façon très parcellaire ?», s'interroge un représentant syndical.

La directrice générale du groupe Korian, Sophie Boissard, lors de son audition à l'Assemblée nationale, expliquait que « les profits ne sont pas une fin en soi. Dans notre activité, qui est une activité d'intérêt général, du bien commun, nos profits sont un moyen au service de notre mission ». Sans « avoir la prétention de dire que tout est parfait chez Korian », elle a souligné que le « système » décrit dans le livre n'avait « rien à voir » avec la culture d'entreprise chez Korian.

Une activité en hausse

Selon les informations du Parisien, l'avocate Sarah Saldmann annonce qu'elle va lancer une nouvelle procédure collective visant Korian. La juriste aurait recueilli pour l'heure « des dizaines » de témoignages notifiant des comportements potentiels de maltraitance. Le groupe Korian a contesté ces éléments.

Au premier semestre 2021, le groupe a réalisé un chiffre d'affaires de 2,1 milliards d'euros, pour un résultat net part du groupe de 45,3 millions d'euros contre 20,3 à la même période un an plus tôt. Le groupe a également relevé sa prévision de chiffre d'affaires pour 2022, tablant sur une croissance supérieure à 10%, contre un chiffre d'affaires de "plus de 4,5 milliards d'euros" attendu précédemment. Les résultats 2021 consolidés seront présentés demain.

Comment vont réagir les marchés ?

Ces changements structurels vers une entreprise à mission pourraient-ils permettre de raviver le cours de ces valeurs boursières ? Pour l'analyste financier chez Kirao Asset Management, spécialiste du secteur médical, Stéphane Dubosq, « les marchés sont désormais très attentifs aux réponses apportées par ces groupes aux enjeux sociaux. Si le secteur peut redorer son blason, c'est uniquement en donnant assez de cadre sur les critères sociaux. Les investisseurs pourraient certes s'attendre à une baisse des marges suite à une plus grande transparence et à un changement de culture interne, mais le cours de l'action pourrait être compensée par une hausse des indices ESG. Cette logique, transparente, permettrait de dégonfler la notion de prime de risque. Une telle initiative serait bien accueillie par les marchés », estime-t-il.

Reste à définir une raison d'être et des procédures de contrôles strictes. « Après la vague de "greenwashing", évitons de tomber dans le "purpose washing" alertait la secrétaire d'Etat Olivia Grégoire dans un entretien à La Tribune. Il ne faut pas dévoyer le sens de l'entreprise à mission, ce n'est pas quelque chose qui doit être imposé de l'extérieur », expliquait-elle.

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Commentaires 6
à écrit le 24/02/2022 à 10:26
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Pendant ce temps : Le groupe Orpea a utilisé les revenus provenant de ses maisons de retraite pour se constituer un vaste patrimoine immobilier en partie géré depuis des paradis fiscaux, et se livre à la "spéculation" pour enrichir ses actionnaire...

à écrit le 23/02/2022 à 16:11
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Il faudrait donc un changement juridique pour remédier à la situation sur le terrain ? Le pire c'est qu'ils pensent avoir trouvé un joker avec ce gadget. La direction a assez argumenté sur le fait que les dérives n'étaient pas dans leur manuel, pour ...

à écrit le 23/02/2022 à 13:02
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De la communication uniquement. Pour rassurer les marchés. Comme si on pouvait transformer uen entreprise du jour au lendemain sans faire de réformes structurelles. Le nombre d entreprises dites à mission qui font n importe quoi.... Tous ces gen...

à écrit le 23/02/2022 à 10:54
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Orpea ou Korian, ce sont les mêmes lessiveuses à brasser du fric, une capitalisation sur la mort, des lieux d'infantilisation, des mouroirs déshumanises. Les pires lieux de l'évolution de la société. L'assistance à domicile avec la possibilité d'une ...

le 23/02/2022 à 13:03
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Entièrement d accord mais trop de fonds de pension ont investi dans la fameuse Silvère économie pour que quoi que ce soit change.

à écrit le 23/02/2022 à 9:52
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ridicule, le pb n'est pas la; ils peuvent se transformer en scoop, s'ils veulent; ils sont fous ces gens ou quoi?

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