Air France-KLM a-t-il perdu le nord en entrant au capital de SAS ?

Avec moins de 150 millions d'euros posés sur la table, Air France-KLM vient de frapper un grand coup dans le ciel européen en mettant la main sur SAS, compagnie prestigieuse bien qu'engluée depuis une dizaine d'années dans des difficultés opérationnelles et financières. Surtout, il s'accapare un marché jusque-là dans le giron de Lufthansa. Cela va-t-il pourtant suffire pour faire de SAS une bonne affaire ?
Léo Barnier
SAS a entamé le renouvellement de sa flotte avec des Airbus.
SAS a entamé le renouvellement de sa flotte avec des Airbus. (Crédits : TT News Agency)

Air France-KLM n'a-t-il pas perdu le nord en se positionnant sur SAS AB, le groupe de SAS Scandinavian Airlines ? Pourquoi aller investir dans une compagnie aérienne placée depuis un an sous le Chapitre 11 de la loi américaine sur les faillites, qui affiche une marge opérationnelle négative de 7 % sur les trois premiers trimestres de son exercice 2022-2023 pour une perte nette de 325 millions d'euros - après en avoir déjà perdu près de deux milliards sur les trois derniers exercices fiscaux - et devant composer avec une dette de 2,6 milliards d'euros ?

A première vue, le tableau n'est guère réjouissant. Pourtant, une chose est sûre, Benjamin Smith, directeur général d'Air France-KLM, n'y est pas allé juste pour faire la nique à Lufthansa (même si cette partie n'est pas négligeable). Tout d'abord la compagnie est en phase de redressement, avec un trafic en forte hausse au dernier trimestre (mai à juillet, SAS étant en exercice décalé) et un premier bénéfice opérationnel depuis longtemps. Elle a aussi bien avancé sa restructuration dans le cadre offert par le Chapitre 11, sous la houlette du PDG néerlandais Anko van der Werff, qui s'était déjà fait la main dans une situation similaire chez Avianca entre 2020 et 2021. L'objectif est ainsi de sortir de ce dispositif à la fin de l'année. Enfin, SAS a entamé le renouvellement de sa flotte en basculant chez Airbus avec des A320 NEO et des A350.

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Perspectives scandinaves

Le marché scandinave offre ensuite de véritables perspectives, avec une forte propension à voyager et une dimension premium loin d'être négligeable et, malgré les difficultés accumulées depuis une dizaine d'années, SAS en reste l'acteur dominant.  « Nous sommes à peu près à 4 voyages par habitant par an en Scandinavie, explique Mathieu Blondel, responsable du centre de compétences en aviation au sein du cabinet Arthur D. Little. Cela va de 3 en Suède, à 4 au Danemark et 7 en Norvège. En comparaison, la France est à 1,8, l'Allemagne à 1,9 et le Royaume-Uni à 2,7. »

Bien que le bassin de population soit limité et que le mouvement  « flygskam » (« honte de prendre l'avion ») de la militante écologiste suédoise Gretha Thunberg soit né en Scandinavie, il y a ainsi une véritable appétence à voyager que ce soit à l'intérieur des pays nordiques ou vers le sud à la recherche du soleil, et la géographie locale comme le caractère périphérique de cette région par rapport à l'Europe favorise l'emploi de l'avion. Un postulat également avancé du côté d'Air France-KLM.

Pour autant, ces données datent d'avant la pandémie, et la reprise du trafic est plus faible que dans le reste de l'Europe. Selon l'ACI Europe, le trafic sur les huit premiers mois de l'année en Suède était encore inférieur de plus de 20 % par rapport à la même période en 2019, de plus de 13 % au Danemark et de 8,5 % en Norvège. La moyenne est de 7 % dans l'Union européenne. Et comme le notait un analyste interrogé l'an dernier, la Scandinavie est loin d'offrir les mêmes perspectives qu'un marché comme l'Italie sur lequel Lufthansa a préféré se positionner en se lançant dans l'acquisition d'ITA Airways. Il rappelait ainsi que la Scandinavie (dont ne fait pas partie la Finlande) ne compte que 22 millions d'habitants.

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Nouveau marché pour Air France-KLM

Quoi qu'il en soit, le groupe français va donc pouvoir mettre le pied sur un marché qui lui échappait jusque-là, au contraire de Lufthansa qui avait noué d'importants accords commerciaux avec SAS. Cela va lui permettre de toucher de nouvelles destinations dans cette zone, dans laquelle SAS est en position dominante. Pour l'instant, la concurrence des ultra low cost comme Ryanair et Wizzair y est encore limitée à en croire Mathieu Blondel, qui fait la comparaison avec ITA Airways en Italie. Un point de vue qui n'est pas forcément partagé par tous, certains notant la forte présence des low cost sur les échanges européens nord-sud. A en croire les données d'Official Aviation Guide (OAG) pour 2022, Ryanair a représenté 7 % de l'offre sur la Scandinavie, avec une belle progression, et Wizzair 3 %. Et le rachat pour l'instant en suspens de Widerøe par Norwegian pourrait aussi bousculer ce marché.

L'objectif d'Air France-KLM est aussi d'attirer des passagers nordiques vers ses hubs de Paris-CDG et d'Amsterdam-Schiphol, pour les faire voyager sur ses réseaux long-courriers. Et ainsi couper l'herbe sous le pied de Lufthansa qui les faisait passer par Francfort et Munich jusqu'ici. Le groupe français ne devrait pas pour autant couper les ailes de SAS dans ses hubs de Copenhague et Stockholm, bien positionnés sur la desserte de l'Amérique du Nord, malgré la faiblesse de la flotte long-courrier de SAS (12 A330 et A350). Le positionnement au nord offre aussi la possibilité de routes polaires en avions moyen-courriers, SAS exploitant notamment trois A321 LR à long rayon d'action. La compagnie contrôle d'ailleurs la moitié des 400.000 à 500.000 sièges offerts sur ces lignes entre la Scandinavie et l'Amérique du Nord, loin devant Finnair (malgré son repositionnement) ou les acteurs émergents comme Norse.

Avec SAS, Air France-KLM met aussi la main sur une compagnie avec un positionnement premium, qui correspond à la volonté de montée en gamme du groupe. Comme le note Mathieu Blondel, il va falloir redynamiser une marque quelque peu vieillissante, « mais dont l'ADN a un fort potentiel », un peu à l'image de ce qu'a fait Lufthansa avec Swiss il y a quinze ans. Une perspective intéressante au vu du pouvoir d'achat plus élevé que la moyenne européenne dans les pays scandinaves, mais également tempéré par l'analyste interrogé l'an dernier qui appelait là encore à ne pas surestimer la taille du marché. Dans la même optique, SAS dispose d'un puissant programme de fidélité EuroBonus, avec plus de 5 millions de membres, sur lequel il a gardé la main.

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Revanche sur Lufthansa

Pour développer un véritable partenariat commercial avec Air France-KLM, SAS doit d'abord sortir de Star Alliance, l'alliance globale dont il est l'un des membres fondateurs aux côtés de Lufthansa et United Airlines. Cela pourrait être le cas dès le deuxième trimestre 2024 laisse entendre un connaisseur du dossier. Dès lors, Air France-KLM pourra passer des accords de code-share, voire intégrer la compagnie scandinave dans sa coentreprise transatlantique (plus haut niveau de collaboration avant une fusion) avec Delta Air Lines et Virgin Atlantic. De quoi bousculer quelque peu l'équilibre dans l'Atlantique Nord jusque-là plutôt en faveur de Star Alliance.

Sans avoir pris part à la transaction, Delta Air Lines a d'ailleurs apporté son soutien à l'arrivée d'Air France-KLM dans le capital de SAS. A terme, il est même probable de voir cette dernière se rapprocher aussi de SkyTeam.

De fait, cela va faire tomber les accords actuels avec Lufthansa. Si Air France-KLM réussit à parachever le redressement de SAS et à l'inclure dans une véritable stratégie intégrée et cohérente (ce qui lui a pris quasiment vingt ans entre Air France et KLM), le groupe allemand pourra s'en mordre les doigts. Lufthansa avait en effet tissé des liens très étroits avec la compagnie scandinave et faisait figure de candidat tout désigné à sa reprise, après s'être déjà montré intéressé à plusieurs reprises par le passé. Mais ces dernières années, il a visiblement préféré rester en retrait et s'appuyer sur ses différents accords commerciaux avec SAS pour attirer une partie du marché sans avoir à gérer le redressement de la compagnie. Et il a finalement préféré se concentrer sur le rachat d'ITA Airways aux dépens d'Air France-KLM.

Il est encore trop tôt pour savoir qui, d'Air France-KLM ou de Lufthansa, a réalisé le meilleur mouvement, mais il s'agit là de deux coups stratégiques d'envergure en attendant de voir ce qui se passera pour TAP Air Portugal, mis en vente par l'Etat portugais. A l'issue de ce dossier, le ciel européen aura connu une phase de consolidation de grande ampleur, à même de redéfinir les équilibres pour la prochaine décennie.

Léo Barnier

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Commentaires 4
à écrit le 05/10/2023 à 13:05
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SAS est une compagnie qui effectue relativement peu de vols long courrier (les + rentables) et beaucoup de vols courts & moyen courrier ... Pour AirFrance KLM, c'est donc une source d'apport de clientèle pour ses long courriers... Vu les défauts h...

le 05/10/2023 à 21:39
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Flotte SAS (source airfleets.fr) Airbus: 4 A319 / 51 A320 / 3 A321 / 8 A330 / 4 A350 / A 220 Boeing : 5 737 -700 (NG ou max) Canadair : 19 Regional JET ATR 72 : 3 ATR 72 C'est clair : pas beaucoup de long courrier !

à écrit le 05/10/2023 à 10:43
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Mon enfant, si à l'avenir tu veux être assuré de te planter sur quasiment tous les sujets économiques, financiers et géopolitiques, alors inspire toi de la France. En fait, tu vois, c'est comme l'oxymore de la "croissance-négative" (récession), ça te...

le 05/10/2023 à 14:35
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Un conseil plus adapté à vos commentaires systématiquement aigres : "Mon enfant, ne tente jamais rien dans ta vie, c'est le meilleur moyen de se planter" Homer Simpson

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