Pour Air France, la « taxe climat » du gouvernement sur les aéroports est un cadeau à Ryanair

La taxe portant sur les grands aéroports et les concessions autoroutières prévue dans le projet de budget 2024 pour financer la transition écologique va induire « une nouvelle distorsion de concurrence » qui va « faire du mal » aux compagnies aériennes françaises, a dénoncé Air France ce jeudi. Par ailleurs, la maison-mère de la compagnie, Air France-KLM va ouvrir son capital aux salariés à hauteur de 3%.
Léo Barnier
Benjamin Smith estime que cette taxe crée une distorsion de concurrence
Benjamin Smith estime que cette taxe crée une distorsion de concurrence (Crédits : GONZALO FUENTES)

Ryanair, Wizzair ou Volotea sont-ils les grands gagnants de la nouvelle taxe du gouvernement sur les aéroports au nom du climat ? C'est le point de vue d'Air France, que ce soit Anne Rigail, directrice générale d'Air France, ou Benjamin Smith, directeur général d'Air France-KLM qui y voit même un cadeau fait aux low cost. S'il était prévisible que la compagnie nationale fasse front avec les acteurs de l'aérien aux côtés, entre autres, du Groupe ADP (Aéroports de Paris) - le plus touché par cette mesure qui va frapper « les infrastructures de transport de longue distance » - le gouvernement ne s'attendait sans doute pas à cet angle d'attaque. Interrogé sur le sujet dans le cadre de la présentation du budget, Clément Beaune, ministre délégué chargé des Transports, s'est montré peu incisif au moment d'expliquer les raisons de cet effet inopportun.

Dès le dévoilement de cette nouvelle taxe, qui touche les concessions autoroutières et les aéroports en raison de l'impact du routier et de l'aérien dans les émissions de gaz à effet de serre, les gestionnaires aéroportuaires ont été les premiers à réagir, à l'image de l'Union des aéroports français (UAF) et Vinci Concessions dans La Tribune. Tous ont ainsi dénoncé un impôt qui va ralentir leur effort de décarbonation en réduisant leurs capacités d'investissement en propre ou à attirer de nouveaux investisseurs privés. Mais, à l'image de cette taxe qui va se répercuter sur le reste du transport aérien, la seconde vague est venue des compagnies aériennes elles-mêmes. Air France en tête. Dès le soir, la compagnie qui ouvrait les festivités pour ses 90 ans avec une exposition aux Galeries Lafayette a amorcé le mouvement.

Distorsion de concurrence

Conscient des efforts qui doivent être consenti par le secteur aérien pour se décarboner, Benjamin Smith n'a ainsi pas pris le problème de la taxe frontalement, mais sous l'angle du « level playing field », c'est-à-dire la nécessité d'avoir des conditions de concurrence équitable en français. « Pour nous, c'est absolument primordial qu'Air France puisse jouer sur le marché international avec les mêmes conditions de concurrence que tout le monde, a minima avec les compagnies qui sont basées en Europe. Cette proposition de redevance sur les aéroports va introduire une distorsion du marché car cela va seulement toucher les quatre plus grands aéroports en France », a-t-il ainsi déclaré.

Ce jeudi, sur RTL , Anne Rigail a également tancé ce projet de loi qui ne concerne que « les gros aéroports », sur lesquels « Air France, mais aussi l'ensemble des compagnies françaises opèrent majoritairement », et pas un « aéroport comme Beauvais, sur lequel le low-cost étranger opère ».

Effectivement, selon le mode de calcul retenu par le gouvernement dans son projet de loi de finances 2024 (PLF), seuls les aéroports parisiens, Nice, Marseille et Lyon devraient être concernés par cette nouvelle taxe. Celle-ci porte sur les revenus d'exploitation (et non sur les bénéfices) des infrastructures de transport qui dépassent les 120 millions d'euros, sous conditions que ces infrastructures affichent une rentabilité nette moyenne de plus de 10 % sur les sept dernières années. Pour contourner les deux années de pertes abyssales dues au Covid, les deux meilleures années et les deux plus mauvaises ne sont pas prises en compte dans le calcul de cette rentabilité moyenne.

Le low-cost passe entre les gouttes

Les aéroports régionaux de moindre envergure et les aéroports secondaires ne devraient donc pas être concernés. Or, ce sont eux qui accueillent le plus de compagnies à bas coût. Les opérateurs ultra low cost comme l'irlandais Ryanair et le hongrois Wizzair délaissent les aéroports principaux, jugés trop onéreux, pour des plateformes plus petites, moins chères et plus enclines à concéder des rabais pour développer leur trafic. L'exemple le plus connu est la base de Ryanair installée sur l'aéroport de Beauvais (d'ailleurs renommé Paris-Beauvais) plutôt qu'à Orly ou Roissy. De même, l'opérateur à bas coût espagnol Volotea s'est fait une spécialité d'opérer sur les lignes secondaires aujourd'hui délaissées par le groupe Air France.

En 2022, selon les chiffres de l'UAF, le low cost représentait à peine plus du quart du trafic des deux aéroports parisiens, qui sont le cœur du réseau d'Air France. Cette part montait à 57 % dans les grands aéroports régionaux et à 70 % dans les aéroports régionaux plus modestes. Les champions du secteur, à savoir Beauvais (99 %), Nantes (80 %), Bordeaux (72 %), Bâle-Mulhouse (71 %) pour ne parler que des plateformes accueillant plusieurs millions de passagers, ne sont pas concernés par la nouvelle taxe.

Benjamin Smith juge cette situation, qui donne un avantage « à des sociétés comme Ryanair ou Wizzair, qui ne sont pas basées en France, qui n'y ont pas leur siège, qui n'y ont pas la plupart de leurs salariés », absolument inacceptable. « Cela va contre la raison. Cette taxe ne devrait pas pénaliser les compagnies qui sont basées ici en France.  S'il est absolument nécessaire qu'il y ait une nouvelle taxe ou une nouvelle charge, cela devrait au moins se faire d'une manière qui n'impacte pas Air France plus durement que les autres » s'est-il ainsi insurgé avant de conclure : « C'est un cadeau pour les autres compagnies, c'est un cadeau pour les autres compagnies ».

Le patron d'Air France-KLM a, là aussi, été rejoint par Anne Rigail : « Quand on regarde les niveaux de trafic depuis 15 ans, le poids des compagnies françaises régresse d'année en année. Pour nous, cela induit une nouvelle distorsion de concurrence qui va nous faire du mal. » Et elle ne s'est pas privée pour ajouter qu'Air France « paie 3 milliards (d'euros) par an de taxes, d'impôts, de redevances ». Ces arguments ont aussi été repris par la voie d'un communiqué dénonçant ainsi le fait que « Air France et Transavia seraient de très loin les compagnies les plus impactées par cette mesure, au détriment du rétablissement de leur rentabilité ».

Bercy a tranché

La tâche n'était donc pas aisée pour Clément Beaune au moment de prendre la parole sur le sujet ce matin en conférence de presse sur le budget des transports. D'autant qu'il était pour sa part davantage porté vers une taxe sur les billets d'avions qui aurait touché toutes les compagnies au départ de la France, mais Bercy en a décidé autrement, bien décidé à pouvoir inclure les autoroutes dans le périmètre.

Après avoir justement rappelé qu'il y avait eu « plusieurs hypothèses », le ministre des Transports a expliqué que la formule choisie avec « les infrastructures de transport de longue distance » va faire porter les trois quart de l'effort sur les concessions autoroutières et un quart sur les grands aéroports. Et ce pour un objectif total de 600 millions d'euros collectés la première année.

« Ce sont les grands gestionnaires d'infrastructures qui vont payer. Cela me semble plus juste », a justifié le ministre avant d'ajouter : « Certains aéroports régionaux, qui ont parfois une low cost, seront exonérés, mais ces aéroports ont objectivement moins de moyens financiers et moins de capacités contributives. Il était donc nécessaire de fixer un seuil. Cela vaut pour les gestionnaires d'autoroutes comme d'aéroports. » Une explication qui minimise quelque peu l'importance du bas coût dans les aéroports secondaires.

« Nous sommes évidemment très vigilants à la compétitivité du secteur. C'est pour cela que nous réinvestissons une partie des crédits dans la décarbonation de l'aérien. Cela bénéficiera à la fin aux compagnies. Et nous sommes très vigilants sur l'équilibre entre les grandes compagnies, notamment Air France », a ensuite assuré Clément Beaune.

Et il n'a pas manqué de faire remarquer au passage que « comme le disait Bruno Le Maire (ministre de l'Economie et des finances), nous avons toujours beaucoup soutenu Air France dans les moments difficiles comme la crise Covid ». Bercy a en effet accordé à Air France un prêt d'actionnaire de trois milliards d'euros en mai 2020, ainsi qu'un prêt garanti par l'Etat (PGE) de quatre milliards d'euros. De quoi ajouter pour le ministre que « nous nous félicitons donc qu'Air France soit en capacité aujourd'hui d'investir massivement et de décarboner sa flotte en passant une commande historique ».

Il n'empêche que l'application de cette taxe semble tout de même contradictoire avec le discours tenu au début du mois par Clément Beaune, qui exprimait alors sa volonté de fixer un tarif minimum pour les billets afin de refléter le coût écologique réel de l'avion. Il avait ainsi déclaré que « mesure simple doit permettre de lutter contre le dumping social et environnemental en protégeant les compagnies les plus sérieuses comme Air France ». Il mettait alors en avant les efforts faits par la compagnie nationale, notamment en matière de décarbonation, en comparaison de certains opérateurs low cost étrangers (quand bien même ceux-ci mettent en œuvre des avions plus récents et donc moins polluants que les compagnies traditionnelles).

Air France-KLM va ouvrir 3% de son capital aux salariés

Après sa commande de 50 Airbus A350, Air France-KLM continue les grandes manœuvres. Le groupe français se prépare à lancer une opération d'actionnariat salarié de grande ampleur. Ce plan « Partners for the future » sera ouvert à environ 75.000 salariés, soit 95% des effectifs du groupe en France et aux Pays-Bas, mais aussi dans plus d'une quinzaine d'autres pays. La période de souscription s'étend du 13 au 24 novembre.

Cette opération va permettre aux salariés d'acquérir jusqu'à 3 % du capital social d'Air France-KLM, par le biais d'une augmentation de capital qui doit être effective au 21 décembre. L'acquisition d'actions se fera dans le cadre des plans d'épargne d'entreprise (PEE), d'épargne de groupe (PEG) et d'épargne groupe international (PEGI).

Benjamin Smith, directeur général du groupe, assure que ce plan « témoigne de notre volonté de reconnaître l'engagement de nos collaborateurs au service de l'entreprise. Avec ce plan, nous leur proposons d'être associés toujours plus étroitement à l'évolution du Groupe, à ses perspectives et au partage de la valeur que nous nous employons à créer collectivement. »

Léo Barnier

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Commentaires 13
à écrit le 30/09/2023 à 9:43
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"Le groupe français se prépare à lancer une opération d'actionnariat salarié de grande ampleur. Ce plan « Partners for the future » sera ouvert à environ 75.000 salariés, soit 95% des effectifs du groupe en France et aux Pays-Bas" Généralement ce ...

à écrit le 29/09/2023 à 12:21
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Air France - KLM a remboursé les avances des gouvernements, gagne plein d'argent, investit résolument dans sa flotte, et ne se fait plus plumer par les traders sur ses couvertures carburants : on peut dire chapeau ! à sa direction. Quand c'est bien...

à écrit le 29/09/2023 à 12:06
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Déplaçons le siège d’Air France en Irlande ou un autre pays et ciao les taxes. Que des taxes toujours des taxes …la gestion française 😱

à écrit le 29/09/2023 à 11:59
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Des taxes des taxes …le gouvernement tape sur Air France alors que c’est vomîtes qui vole le plus sur l’espace français mais nos ministres sont nuls comme le président …aucune maitrise sur aucun sujet …vivement les élections et ciao bon débarras ✈️

à écrit le 29/09/2023 à 9:56
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Les menteurs ils disent on N' augmentent pas les impots ,,,,,,???????? Faisons plutôt des economies en arrêtant de subventionner les petits aéroports Gains d'argent ET DE POLUTION

à écrit le 29/09/2023 à 8:02
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Le gouvernement joue pour lui, pas pour la France.

à écrit le 28/09/2023 à 23:51
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Le gouvernement a choisi de faire porter cette taxe sur le Long Courrier plutôt que le court et moyen courrier, en évitant de taxer les aéroports secondaires !!! Ben ouais, il a raison : y doit bien y avoir une offre en train à privilégier à la plac...

à écrit le 28/09/2023 à 20:54
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qu'ils se mettent au multimodal, en organisant les transferts des passagers par train ou bus vers londres bruxelles luxembourg ou francfort, et ca ira bien pour tout le monde, sauf l'etat profiteur de guerre avec sa nouvelle taxe bienveillante

à écrit le 28/09/2023 à 19:18
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Ben faut la taxe sur tous les aéroports d Europe continental…. Ou Français ….Quelque soit leurs taille !! Même sur tous les avions qui traversent le ciel français - on fait bien payer les sillons ferroviaires sur toute l europe- sinon déviation via...

à écrit le 28/09/2023 à 19:18
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Ben faut la taxe sur tous les aéroports d Europe continental…. Ou Français ….Quelque soit leurs taille !! Même sur tous les avions qui traversent le ciel français - on fait bien payer les sillons ferroviaires sur toute l europe- sinon déviation via...

à écrit le 28/09/2023 à 19:16
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Ben faut la taxe sur tous les aéroports d Europe continental…. Ou Français ….Quelque soit leurs taille !! Même sur tous les avions qui traversent le ciel français - on fait bien payer les sillons ferroviaires sur toute l europe- sinon déviation via...

à écrit le 28/09/2023 à 19:16
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Ben faut la taxe sur tous les aéroports d Europe continental…. Ou Français ….Quelque soit leurs taille !! Même sur tous les avions qui traversent le ciel français - on fait bien payer les sillons ferroviaires sur toute l europe- sinon déviation via...

à écrit le 28/09/2023 à 19:15
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Ben faut le faire sur tous les aéroports d Europe continental…. Ou Français ….Quelque soit leurs taille !! Même sur tous les avions qui traversent le sol français sinon déviation via pays tiers et on aura moins de pollution et nuisance en 77 , 94, 7...

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