Il est des déclarations que nous n'aurions cru ne jamais entendre. Ce fut le cas vendredi dernier, lorsque Hervé Morin, président de la région Normandie, s'est exprimé devant un parterre de cheminots et de Christophe Fanichet, PDG de SNCF Voyageurs, en ces mots : « Je vous dis aujourd'hui bravo et merci 1000 fois pour votre engagement ».
Longtemps critique à l'égard de l'opérateur ferroviaire, l'élu s'est cette fois-ci montré quasiment dithyrambique. « C'est un mec de droite qui vous le dit. Vous devez l'entendre encore un peu plus », a-t-il également lâché, non sans une certaine ironie, reconnaissant lui-même que « remercier les cheminots, ce n'est pas très naturel dans un discours d'un homme politique qui souvent est vu comme étant hostile au service public et à la SNCF ».
Certes, cette séquence intervient après une remontée significative de la ponctualité à 93 % (+14 points), de la fréquentation (+ 7%) et du taux de recommandation des voyageurs à 95 % (+10 points) qui ont fait sortir depuis deux ans les TER normands du « Moyen-âge », comme Hervé Morin se plaisait à le qualifier il n'y a pas si longtemps. Mais des critiques de la part du président de région à l'encontre de SNCF Voyageurs auraient sans doute été malvenues au moment où il renonce à une mise en concurrence pour signer avec Christophe Fanichet une nouvelle convention de 10 ans pour l'exploitation des lignes TER, à l'issue d'une procédure gré-à-gré.
Toutes les régions ont signé avec la SNCF
La Normandie a ainsi emboîté le pas des onze autres régions métropolitaines en passant par cette procédure, partielle ou totale. Conformément à la réglementation européenne, celles-ci avaient jusqu'au 25 décembre de cette année pour le faire : au-delà de cette date, toute nouvelle convention devra passer par une mise en concurrence. Compte tenu de la durée maximale de 10 ans de ces conventions de gré-à-gré, l'ensemble des services TER auront franchi cette étape au 25 décembre 2033 au plus tard. De quoi assurer tout de même près de 60 milliards de chiffres d'affaires à SNCF Voyageurs d'ici là.
En attendant, cette ouverture à la concurrence est donc plutôt limitée. Seuls quatre appels d'offres ont eu lieu : deux dans la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, un en Pays de Loire et un dans les Hauts-de-France. Et SNCF Voyageurs en a gagné trois sur quatre. Seule la ligne entre Marseille et Nice lui a échappé au profit de Transdev. De nombreux freins structurels ont été pointés sur le sujet par plusieurs institutions et acteurs du secteur.
Dernière en date à s'être exprimée, l'Autorité de la concurrence a pointé un manque de concurrents solides, mais aussi des procédures lourdes et coûteuses - candidater coûte environ 3 millions d'euros par appel d'offres - tout comme la difficulté d'accès à du matériel roulant homologué. Elle tance aussi le déséquilibre entre l'ancien opération monopolistique, SNCF Voyageurs, qui détient le matériel, le savoir-faire, les ressources humaines et financières, les données ou encore les installations de maintenance et des autorités organisatrices de la mobilité (AOM), c'est-à-dire les régions, qui doivent monter en compétence pour maîtriser les appels d'offres puis le suivi de l'exécution des contrats.
La prorogation des conventions doit permettre cette montée en compétence. Pour autant, toutes les régions n'attendront pas la fin des conventions en 2033 pour lancer des appels d'offres sur tout ou part de leurs dessertes régionales. Des appels d'offres sont d'ores et déjà en cours ou ont déjà eu lieu dans la moitié des régions, et d'autres sont en préparation. Ainsi, la région Nouvelle-Aquitaine, qui a signé une convention jusqu'en 2030, prévoit de lancer rapidement une première mise en concurrence sur le lot « Poitou-Charentes » pour un début de service opérationnel du nouvel attributaire en 2027. Une quarantaine de lots devraient être ainsi attribués dans les prochaines années, indique Christophe Fanichet. A l'inverse, l'Occitanie et la Bretagne ne devraient pas bouger avant 2033.
Objectifs de croissance
Ces nouvelles conventions de gré-à-gré ne sont pas sans contreparties pour SNCF Voyageurs, avec des objectifs rehaussés en termes de qualité de trafic et de densité de l'offre. « Ce n'est pas une concurrence au rabais », assure Christophe Fanichet qui y voit un vrai défi. La région Nouvelle-Aquitaine a par exemple négocié une augmentation de l'offre de 8 %, quand la Normandie veut une hausse de trafic de 20 %. Sur les lots mis en concurrence dans le Sud, la région attend de Transdev un doublement des trains entre Marseille et Nice dès 2025 et une croissance de 75 % de la part de SNCF Voyageurs sur l'étoile ferroviaire de Nice.
« Avec le même budget, les régions veulent beaucoup plus de trains », indique Christophe Fanichet, qui estime que la donne a changé depuis quelques années. Là où les autorités organisatrices, y compris l'État sur les lignes qu'il administre, visaient avant tout la réduction des coûts, elles veulent désormais une augmentation de l'offre. Chacun veut ainsi afficher son soutien à la croissance actuelle du ferroviaire, dont le TER qui a accueilli un tiers de passagers en plus entre 2019 et 2023 (15 % sur le TGV). Même si, comme le reconnaît Christophe Fanichet, cela tient aussi à la hausse du coût de l'essence.
Des investissements lourds pour les régions
Comme ne manque pas de le faire remarquer Hervé Morin, tout cela à un coût. Le président de la région Normandie indique qu'il va maintenir un niveau de subventions à hauteur de 181 millions par an en moyenne sur 10 ans, mais il rappelle aussi que cela s'accompagne d'un plan d'investissement plus large. Une rénovation à mi-vie est ainsi en cours pour 56 rames ACG pour 164 millions sur un peu plus de 7 ans, avec une première livraison le jour de la signature de la convention.
Elle est complétée par l'achat de 27 nouvelles rames Omneo 2 à Alstom pour 506 millions d'euros, qui s'apprêtent à entrer en service. Cela vient en plus des 740 millions déjà investis pour 40 rames Omneo Premium arrivées en 2020 et la création d'ateliers de maintenance. Hervé Morin estime ainsi que la région a investi pas moins de 3 milliards depuis 2016 et le transfert de compétences des lignes Intercités jusque-là gérées par l'Etat (effectif en 2020).
C'est aussi le cas dans d'autres régions, comme la Nouvelle-Aquitaine qui a lancé un plan de 500 millions d'euros pour le renouvellement de son parc de train et la construction d'installations de maintenance. Et ce n'est sans doute pas fini. Si elles veulent monter en compétence, les régions vont devoir continuer à investir fortement et à recruter. Elles devront aussi prévoir la construction d'installations de maintenance pour accroître leur autonomie vis-à-vis de la SNCF. Comme le souligne un connaisseur du secteur et des dossiers, la mise en concurrence risque d'abord de coûter plus cher que le service public monopolistique avant d'apporter des bénéfices.
D'autant que le morcellement du paysage ferroviaire français ne va plus permettre de réelles économies d'échelle avec des risques de surdimensionnement des infrastructures dans certaines régions sous prétexte d'autonomisation.
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