[Article publié le 30 novembre et mis à jour le 1er décembre à 07H00]
La vidéo, publiée en anglais et français mi-octobre sur les réseaux sociaux, est devenue virale. On y voit le directeur général de Renault Trucks, Christophe Martin, siffloter la Marseillaise au volant d'un camion électrique de sa marque en face d'une affiche publicitaire vantant les mérites du futur Tesla Semi. Un bandeau barre le film en conclusion. « Il y a ceux qui font de grandes annonces et ceux qui font déjà des kilomètres » ou « Some talk the talk. Some walk the walk » dans sa version anglo-saxonne. Un message en forme de pied de nez à Elon Musk dont le poids lourd électrique qui devait sortir en 2019 a beaucoup tardé à montrer sa calandre et les premiers modèles viennent seulement d'être livrés ce jeudi. « Par comparaison, nos camions affichent déjà plus de deux millions de kilomètres au compteur », vante t-on au siège de la filiale de Volvo.
En réalité, les camions auxquels il est fait allusion ne sont pas vraiment concurrents des semi-remorques plus puissants de l'américain. Mais il est vrai que leur mise sur le marché est antérieure. Ils sont fabriqués depuis deux ans dans l'usine Renault Trucks de Blainville-sur-Orne (1450 salariés) près de Caen. Pionnier en Europe, le site, historiquement spécialisé dans l'assemblage de camions thermiques de moyen tonnage, a été repensé en mars 2020 pour pouvoir assembler également leurs équivalents à propulsion électrique pour le transport urbain et péri-urbain. L'activité y monte en cadence, l'établissement a franchi il y a quelques jours la barre des mille exemplaires produits sous le sigle E-Tech.
« Aujourd'hui, la moitié des camions électriques vendus en Europe est fabriquée dans cette usine qui est dimensionnée pour en produire au moins 2000 par an », indique Olivier Metzger, directeur des énergies alternatives chez Renault Trucks.
Vers une accélération
Le constructeur français, qui prévoit que la moitié de sa production carbure aux électrons en 2030, veut croire dans les promesses de ce marché bien que celui-ci reste embryonnaire. Pour preuve, seule une centaine de e-camions neufs devrait être immatriculée en France cette année sur un total qui tutoiera probablement les 50.000, toutes catégories confondues au 31 décembre, selon l'Observatoire des Véhicules Industriels. Autant dire que la marche est haute. Le déploiement des ZFE qui barrent la route aux véhicules les plus polluants dans les métropoles et les généreuses subventions publiques mises en place par plusieurs Etats européens laissent toutefois augurer une accélération.
Dans l'Hexagone, Renault Trucks attend ainsi avec une certaine impatience les résultats d'un appel à projets de l'Ademe qui devrait allouer aux acheteurs de camions électriques des aides pouvant aller jusqu'à 100.000 euros : le double de ce qui était consenti auparavant par le ministère des transports. « Les informations qui nous remontent font état d'un nombre considérable de demandes », se félicite par avance Olivier Metzger. L'intéressé pronostique aussi un appel d'air sur les bennes à ordures ménagères zéro émission. « Le parc est vieillissant et de toute façon renouvelé régulièrement », rappelle t-il. L'actualité semble lui donner raison. Au lendemain de notre interview, l'usine normande a fait état d'une commande de 73 camions électriques destinés à l'entretien et à la collecte de déchets de la Ville de Barcelone.
La route est droite mais la pente est raide
Pour autant, la route promet d'être longue avant une démocratisation de la technologie électrique. Chez Renault Trucks, on admet d'ailleurs que beaucoup de transporteurs demeurent réticents à l'idée de convertir leur parc. « Il est difficile quand on travaille depuis 30 ou 50 ans avec les mêmes camions de basculer vers une nouvelle motorisation ». Conscient de l'enjeu, le constructeur développe « une offre à 360° » qui comprend un accompagnement global « depuis le projet d'acquisition jusqu'au suivi de l'exploitation ». « Nous étudions toutes leurs tournées pour voir celles qui passent et celles qui ne passent pas mais elles sont relativement rares en milieu urbain et péri-urbain », précise le directeur des énergies alternatives.
L'assertion est validée par le cabinet de conseil Carbone 4 fondé par Jean-Marc Jancovici. « Dès 2023, jusqu'à 40% des tournées journalières pourraient être couvertes par des camions électriques avec une faible adaptation des schémas logistiques », assurent ses experts dans une étude récente. Restera néanmoins à régler le problème des infrastructures de recharge encore trop peu nombreuses. De son côté, Tesla entend pallier cet inconvénient grâce à la capacité de ses poids lourds de rouler sur de longues distances sans avoir à s'arrêter à la borne de recharge. Le patron de l'entreprise américaine, Elon Musk, a ainsi affirmé dans un tweet samedi qu'un de ces camions avait parcouru 500 miles, soit 805 kilomètres sans recharge, avec un poids total de près de 37 tonnes, quand les véhicules déjà sur le marchés offrent une autonomie de 250 à 300 miles, c'est-à-dire 400 à 480 kilomètres.
Mais cette prouesse soulève un autre enjeu. En témoigne cette alerte lancée récemment par le National Grid, le gestionnaire du réseau électrique britannique, pour qui une seule aire de recharge des semi-remorques de Tesla consommera « autant qu'une petite ville américaine ». La mise en garde vaudra peut-être aussi dans le futur pour Renault Trucks. Le constructeur s'apprête à lancer la commercialisation de deux nouveaux modèles de 44 tonnes qui seront fabriqués, cette fois, dans son usine de Bourg-en-Bresse.
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