« Evidemment, un tel éboulement a des conséquences importantes pour notre trafic ferroviaire. » Roberto Rinaudo, président de Trenitalia France, ne tente pas de minimiser la situation. Les éboulements du 27 août dernier au niveau de Modane, qui ont interrompu la liaison ferroviaire transfrontalière entre la France et l'Italie, ont déjà été un coup dur pour l'opérateur italien alors que la haute saison n'était pas encore achevée. L'annonce, il y a une dizaine de jours, que cette fermeture allait se prolonger au moins jusqu'en juillet 2024, en est un autre plus dur encore. Face à cette situation inattendue, Trenitalia France cherche des moyens pour continuer à faire son trou sur le marché français de la grande vitesse.
Ligne fermée jusqu'en 2024
« Pendant les huit prochains mois, nous n'aurons pas la possibilité d'exploiter des trains entre Paris et Milan », se désole le patron de Trenitalia France. « Il y aura au moins 500.000 passagers qui ne pourront pas prendre le train », déplore-t-il encore. Ce qui est loin d'être négligeable au vu du million de passagers transportés au cours de sa première année d'exploitation en France (décembre 2021-décembre 2022). Certes, Trenitalia France est monté en puissance depuis en développant son offre sur le Paris-Lyon à partir du printemps 2022, mais le coup est rude.
D'autant plus que Trenitalia France affichait des taux de remplissage bien plus intéressants sur le Paris-Milan, avec une moyenne de 80 %, voire 85 % cet été, que sur le Paris-Lyon, qui ne dépasse pas les 65 % malgré « une progression continue de la fréquentation ». Il faut dire que la SNCF déploie une offre plus que conséquente entre Seine et Rhône.
Pour l'instant, il est « encore compliqué de faire un bilan de toutes les pertes prévues, mais l'impact n'est pas du tout neutre », prévient Roberto Rinaudo. Interrogé sur un décalage possible de ses objectifs de rentabilité, le patron de Trenitalia France se contente de rappeler que le ferroviaire est « un marché de longue durée » et que l'objectif premier de sa présence en France est « de faire grandir le marché ferroviaire afin de se développer, d'atteindre une masse critique et de faire des économies d'échelle ».
Il considère même avoir déjà gagné le pari au vu de l'induction de trafic sur les lignes desservies, dans ses trains comme dans ceux de la SNCF. Subséquemment, il affirme que la situation « n'affecte pas son projet de développement en France » et assure que la satisfaction ressentie par ses clients jusqu'ici lui permettra de reconquérir les parts modales perdues face à l'avion ou la voiture pendant cette période d'interruption.
Solutions alternatives
Si l'objectif à long terme reste donc inchangé, Trenitalia France doit tout de même composer dès à présent avec un environnement chamboulé. « Nous sommes en train de travailler sur des solutions alternatives et de mobiliser tous nos moyens pour faire en sorte que tous nos trains Frecciarossa soient mis à disposition de nos clients », affirme Roberto Rinaudo. Ses équipes ont ainsi étudié les possibilités de contournement, soit par la Suisse, soit par Nice, mais aucune n'apporte une réponse viable opérationnellement, économiquement ou commercialement. Le temps de trajet, qui était déjà de près de sept heures par l'itinéraire normal, aurait « presque doublé » en passant par la Côte d'Azur.
L'opérateur italien va donc se concentrer sur ce qu'il peut déjà faire en France. Cela devrait passer sur un renforcement de l'offre entre Paris et Lyon, avec l'objectif de repasser à cinq allers-retours par jour. Cela correspondrait à son offre d'avant les éboulements (Trenitalia opérait cinq Paris-Lyon, avec deux trains qui poursuivaient leur route vers Milan). En effet, en sus de l'interruption du Paris-Milan, l'opérateur italien a aussi dû réduire son service sur Paris, ses trains effectuant leur maintenance de l'autre côté des Alpes.
Il voit également au-delà de la cité rhodanienne, avec la possibilité d'avoir des trains poursuivant leur trajet vers Chambéry afin de desservir les stations de ski pendant la saison hivernale. Un peu à l'image de la SNCF avec ses « TGV Ski ». Même s'il se dit confiant, Roberto Rinaudo se veut néanmoins prudent en précisant à plusieurs reprises que tout ceci restait à confirmer dans les prochaines semaines, en fonction des capacités de maintenance et des autorisations délivrées par SNCF Réseau.
Expérience emmagasinée
Sur la maintenance, Trenitalia a paré au plus urgent en dépêchant à Paris une équipe de six techniciens, venus de Trenitalia et du constructeur Hitachi Rail Italy, et en nouant un accord commercial avec la SNCF pour disposer d'installations de maintenance au sein du technicentre sud-est européen (XIIe arrondissement). Il a ainsi pu maintenir en service deux allers-retours par jour sur le Paris-Lyon, avant d'en ajouter un troisième fin septembre.
Mais ce « modèle de maintenance alternatif », tel que décrit par Roberto Rinaudo, s'avère « plus complexe, plus long, parfois plus cher » et « doit encore être renforcé ». Les trains doivent notamment retourner en Italie pour les opérations d'entretien plus importantes, ce qui s'avère assez contraignant avec des trains voyageant à vide sur de longs trajets via la Côte d'Azur. Pour améliorer la situation, Roberto Rinaudo indique être « en train de travailler avec (son) actionnaire, Trenitalia, pour voir comment renforcer notre activité de maintenance à Paris pour faire rouler plus de trains ».
Ce modèle temporaire pour le moment pourrait néanmoins poser les bases d'une solution pérenne de maintenance en France, hors des technicentres de la SNCF, ce qui constitue un enjeu majeur dans le développement à grande échelle de la concurrence étrangère sur le réseau national. De fait, Roberto Rinaudo estime que cette « expérience est positive d'une certaine manière », mais il se projette déjà plus loin : « Notre ambition est de se développer en France avec une offre plus conséquente que celle que nous avons aujourd'hui. Et pour cela, il faut mettre en place un modèle de maintenance dans la longue durée, robuste et structuré, qui nous permet d'être plus indépendants et d'avoir notre propre atelier. » Mais pour cela, il faut à Trenitalia France une masse critique qu'elle n'a pas pour le moment. L'opérateur reconnaît que, si des réflexions sont ouvertes, cela ne se fera pas à court ou moyen terme.
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