Ferroviaire : une concurrence encore loin d’être parfaite sur le marché français

L'Autorité de régulation des transports (ART) a publié de premiers chiffres relatifs à l'ouverture à la concurrence du rail français. Elle commence à porter ses fruits sur la grande vitesse, mais des freins importants se font encore ressentir dans la préparation des services conventionnés régionaux.
Léo Barnier
Entre Trenitalia et la riposte de la SNCF, l'ART estime que l'offre sur Paris-Lyon a crû de 10% en 2022 avec « un fort effet d'induction de la demande » et des baisses de prix de l'ordre de 10% également (Photo d'illustration).
Entre Trenitalia et la riposte de la SNCF, l'ART estime que l'offre sur Paris-Lyon a crû de 10% en 2022 avec « un fort effet d'induction de la demande » et des baisses de prix de l'ordre de 10% également (Photo d'illustration). (Crédits : Reuters)

Du progrès, mais peut mieux faire. C'est l'appréciation générale qui ressort de l'ouverture à la concurrence du rail français et la fin du monopole de la SNCF. Effective depuis l'arrivée de Trenitalia - qui sera rejoint dans quelques jours par Renfe -, elle commence à porter ses fruits sur la grande vitesse. En revanche, des freins importants se font encore ressentir dans la préparation des services conventionnés régionaux, autrement dit les TER.

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A l'occasion d'une étude parue mardi, l'Autorité de régulation des transports (ART) a publié de premiers chiffres sur les résultats de 2022 avec des tendances positives pour les services librement organisés (SLO), mis en place principalement sur les lignes à grande vitesse et accessibles à tout opérateur demandeur. Ceux-ci ont quasiment retrouvé leur niveau de 2019 (-3%), particulièrement sur les lignes intérieures (-1%). Porté par un taux d'occupation record de 74% des TGV domestiques, ce segment a cumulé 54 milliards de passagers-kilomètre soit 6% de plus qu'avant la crise. L'international est encore un peu en retrait sur l'offre comme la fréquentation (-12 %). Mais quel que soit le segment, la progression est sensible entre 2021 et 2022.

Les liaisons régionales doivent faire la bascule

Sans en faire la cause principale de cette remontée, l'ART note l'impact de l'arrivée d'Alitalia à partir de la toute fin de 2021. Les capacités offertes par les Frecciarossa italiens ne représentent encore qu'une goutte d'eau dans l'offre hexagonale - moins de 1% face au quasi-monopole de la SNCF en propre avec Inoui (66%), Ouigo (21%) et l'ensemble de ses filiales ou partenariats internationaux, à l'instar d'Eurostar et de Thalys (5% cumulés). Mais ce début de concurrence a obligé la SNCF à réagir. Elle avait mis en place des liaisons Ouigo directes entre Paris et Lyon dès 2020, et a ajouté depuis les Ouigo train classique. Entre Trenitalia et la riposte de la SNCF, l'ART estime que l'offre sur Paris-Lyon a crû de 10% en 2022 avec « un fort effet d'induction de la demande » et des baisses de prix de l'ordre de 10% également.

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Dans ce processus d'ouverture, ce sont désormais les liaisons régionales qui doivent faire la bascule. Encore sous le monopole de la SNCF, elles ne connaissent pas encore les effets de la concurrence. Ce qui n'empêche pas une forte hausse de l'offre (+13% par rapport à 2019) comme de la fréquentation (+25%). La situation doit néanmoins évoluer dans les prochaines années. Pour l'instant, six régions ont lancé des appels d'offres pour mettre en concurrence la SNCF. Quatre lots ont déjà été attribués, avec à chaque fois des engagements de hausse de l'offre couplée avec un maintien ou une baisse des coûts. Trois ont été remportés par SNCF Voyageurs et un par Transdev sur l'étoile de Nice en région Provence-Alpes-Côte d'Azur, qui débutera son service en 2025.

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Cette ouverture reste donc embryonnaire pour l'instant. Certains acteurs y voient les effets de freins persistants. Lors d'une matinée organisée par la plateforme de distribution Trainline, les critiques ont été nombreuses au cours de l'événement pour dénoncer plusieurs facteurs : pour certains relevant de la SNCF, pour d'autres de la préparation des appels ou encore simplement de la nécessaire période de transition entre un monopole de service public et un univers concurrentiel privé.

Les opérateurs alternatifs sur la réserve

David Valence, président du Conseil d'orientation des infrastructures de la région Grand Est et député des Vosges, a tout d'abord fait le constat qu'il y a encore une « frilosité » de la part des opérateurs ferroviaires alternatifs :

« Beaucoup d'acteurs étrangers continuent à penser que le marché français n'est pas encore complètement dérégulé. A l'exception d'un lot récent, nous n'avons toujours pas vu de très grands acteurs. Je pense à la Deutsche Bahn par exemple, qui ne s'est pas positionnée sur les tous premiers lots en France ouverts à la concurrence, et qui va peut-être le faire maintenant. Cela prend du temps de déréguler un marché, de l'ouvrir véritablement. »

Comme l'explique Florence Rousse, vice-présidente de l'Autorité de régulation des transports, cela tient aussi à la complexité de la loi d'orientation des mobilités (LOM) de 2019 et de son décret d'application. Et pour cause, ils demandent du temps pour être compris et correctement mis en œuvre.

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Dans les faits, la Deutsche Bahn, par exemple, n'a certes pas candidaté directement. Elle a toutefois posé des dossiers via sa filiale britannique Arriva. La Renfe espagnole a également tenté sa chance. Il faut y ajouter, côté français, Transdev et Régionéo (co-entreprise entre RATP Dev et Getlink). Comme le signale Alix Lecadre, directrice des offres et des métiers ferroviaires de Transdev, cela fait « peu d'acteurs et principalement des acteurs publics ou liés à des entreprises historiques.

« Nous voyons que finalement, l'ouverture à la concurrence est quand même une histoire assez difficile, puisqu'il faut ouvrir le marché, et cela ne se fait pas en un jour bien évidemment. Et donc, cela demande à l'ensemble des acteurs d'apprendre à travailler différemment du monopole historique. »

Les régions pointées du doigt

La dirigeante prévient que « l'avenir des acteurs sur ce marché dépendra beaucoup aussi des conditions qui sont faites par les régions pour garantir l'équité des conditions d'ouverture à la concurrence ». Elle n'hésite pas à déclarer qu'elles sont «aujourd'hui inégales et imparfaites ».

En dépit de la victoire de Transdev dans le Sud, et de dépôt de candidatures en Pays de la Loire, en Hauts-de-France, de velléités dans le Grand Est et une volonté de se positionner sur l'ensemble des régions au fur et à mesures des appels d'offres, Alix Lecadre indique que son groupe se doit d'être sélectif.

« Un appel d'offres, c'est 3 millions d'euros, souligne-t-elle. Vu les taux de marge pour ces offres, il va falloir que nous équilibrions au moins les coûts avec les gains. Il va nous falloir beaucoup d'années pour arriver à l'équilibre vu là où nous en sommes. Nous ne pouvons pas nous positionner sur des appels d'offres juste pour faire plaisir aux régions. Si nous n'en gagnons pas un de temps en temps, nous ne pourrons pas continuer à perdre de l'argent indéfiniment. »

Transdev refuse ainsi de prendre part aux appels d'offres sur les services transfrontaliers dans le Grand Est, « faute de chances raisonnables » de gagner.

 « Le diable se cache dans les détails »

La directrice des offres et des métiers ferroviaires de Transdev pointe en particulier le problème de la transmission des données lors des procédures d'appels d'offres. Elle admet qu'il y a eu une amélioration, grâce à l'action de l'ART, qui avait notamment formulé 39 recommandations début 2022 pour lever les barrières à l'entrée du marché français. Mais cela ne suffit pas selon elle :

« Force est de constater, pourtant, que dans l'ensemble des procédures auxquelles nous avons participé jusqu'à aujourd'hui, il y a toujours des manques sur la mise à disposition d'un certain nombre de données. »

Elle cite ainsi la maintenance ou encore les coûts salariaux et cotisations sociales calculés selon des moyennes. « Quand la note financière se joue à quelques dixièmes de point, c'est très difficile aujourd'hui d'être compétitif par rapport à l'opérateur historique », juge-t-elle.

Elle est rejointe par Catherine Pihan-Le-Bars, directrice générale adjointe en charge des opérations de Le Train qui, après les SLO, veut candidater aux appels d'offres pour les trains d'équilibre du territoire (TET) Nantes-Bordeaux et Nantes-Lyon.

 « Le diable se cache dans les détails en termes d'équité, de traitement des candidats. Beaucoup de détails, notamment sur les trafics, au business, à la rentabilité et à l'équilibre économique de l'opérateur, constituent un point clé sur cette équité de traitement et d'accès à la donnée pour une transparence complète de ces marchés et qu'ils puissent être bien appréhendés par les opérateurs privés. »

L'accès à des installations problématique

Du côté de l'ART, Florence Rousse tient à tempérer les choses. Outre l'action de l'Autorité de régulation, assez largement saluée, elle indique que la transmission de l'ensemble des données de maintenance est une obligation de sécurité définie par les textes européens en la matière et qu'aucun principe de « secret des affaires » ne peut y être opposé.

Sur ce point, Alix Lecadre concède avoir eu accès « à l'ensemble des données en théorie » lors des dernières procédures. Ce qui ne l'empêche pas d'ajouter : « Mais faut-il encore qu'elles soient exploitables. Sans cela, c'est pareil que de ne pas les avoir ».

Toujours dans le cadre de la maintenance, l'accès à des installations s'avèrent aussi problématique. Si certains appels d'offres comprennent la construction d'un centre de maintenance dédié dès le début de l'exploitation, d'autres ne le prévoient qu'en cours de route, voire pas du tout. Dans ce cas, si un opérateur alternatif est choisi, il devra se reposer sur les technicentres de la SNCF, créant ainsi une relation de dépendance. Si David Valence estime que ce modèle mixte peut fonctionner, comme c'est le cas en Allemagne, Alix Lecadre ne partage pas du tout cet avis et fait de l'autonomie technique un point rédhibitoire.

Impossible d'importer du matériel de l'étranger

D'autres problèmes se posent, notamment l'accès au matériel roulant. Outre le fait que cela soit extrêmement consommateur en capital pour acheter du matériel neuf ou le remettre en état, il n'y a tout simplement pas de trains disponibles pour les nouveaux opérateurs, comme le souligne le député David Valence. Il indique ainsi que si des sociétés de location et de gestion des flottes de matériels roulants (Rosco) ont vu le jour pour le fret, ce n'est pas le cas pour le transport de voyageurs.

Ce qui rend l'accès encore plus difficile, d'autant que le manque criant d'interopérabilité du réseau français exclut d'importer du matériel de l'étranger. Les fonds supplémentaires qui seront alloués dans le cadre du plan de 100 milliards d'euros sur 10 ans, décidé par la Première ministre Elisabeth Borne, devrait permettre d'accélérer sur la mise en place du système de signalisation européen ERTMS, principal vecteur d'amélioration de l'interopérabilité, comme le confirmait Isabelle Delon, directrice générale adjointe Clients et Services de SNCF Réseau, à La Tribune il y a quelques semaines.

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Se pose aussi le problème de la distribution, comme le souligne Catherine Pihan-Le-Bars. Le Train mise sur la distribution directe pour acquérir de la clientèle, mais il a aussi besoin de canaux indirects pour accroître sa visibilité face à la SNCF. La tâche n'est pas aisée, surtout quand « l'opérateur historique dispose d'un avantage concurrentiel majeur avec sa plateforme de distribution qui détient la majorité écrasante de la distribution des titres ferroviaires en France ». Sans crier au scandale « puisque c'est un héritage de cette situation monopolistique qui préexistait jusqu'alors », elle juge que « cela reste un obstacle, passif certes, mais un obstacle à l'arrivée de nouveaux entrants sur le marché, dès lors que la plateforme de l'opérateur historique ne distribue pas les nouvelles offres ferroviaires ».

Enfin, de l'avis général, la bonne tenue des appels d'offres tient largement au niveau de préparation des régions. Et cela demande, là encore, du temps et des investissements. Citée parmi les bons élèves, la région des Pays de la Loire, qui a déjà attribué un lot (remporté par SNCF Voyageurs) et en a mis trois autres en jeu, annonce avoir ainsi « dépensé des millions d'euros pour préparer l'appel d'offres et se réapproprier les informations », par la voix de son vice-président Roch Brancour. Celui-ci s'est d'ailleurs félicité d'avoir reçu quatre candidatures de de très bon niveau sur les cinq reçues.

Léo Barnier

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Commentaires 3
à écrit le 02/07/2023 à 8:48
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Cette pseudo concurrence est un leurre dans la mesure où elle n'aura lieu que sur quelques lignes entre France et Italie avec Trenitalia et France et Espagne avec Renfe. Pour la majeure partie des ligne TGV la SNCF sera toujours en position de monop...

à écrit le 01/07/2023 à 17:38
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Pendant des années la SNCF a fourni un service de qualité: les trains arrivaient à l'heure et il y avait des gares dans les coins les plus reculés de France. Tout comme EDF un monopole étatique fonctionnait correctement et délivrait ce pourquoi il ét...

à écrit le 01/07/2023 à 13:01
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Bonjour, ils faut dire que après des année et des années de monopole étatiques.../(SNCF). Nous avons enfin une ouverture a la concurrence... Donc, ils vas falloir pour que cela fonctionne correctement un peux de temps.... Surtout que je suis sur ...

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