Et si Lufthansa raflait ITA Airways au nez et à la barbe d'Air France-KLM ?

L'Italie et le contrôle de sa compagnie nationale est au cœur de l'affrontement entre Air France-KLM et Lufthansa depuis une vingtaine d'années et les hostilités sont loin d'être finies maintenant qu'ITA Airways a remplacé Alitalia. Alors que le groupe français semblait avoir remporté une bataille avec la décision en novembre de la nouvelle compagnie transalpine de rejoindre l'alliance Skyteam, son concurrent allemand pourrait faire une percée bien plus décisive en mettant la main sur 40 % du capital de la "nouvelle Alitalia".
Léo Barnier
(Crédits : Reuters)

La nouvelle est tombée ce week-end : le groupe Lufthansa serait en négociations pour entrer au capital d'ITA Airways, la compagnie nationale italienne lancée l'an dernier pour remplacer Alitalia, en faillite. Selon le quotidien transalpin Il Foglio, un accord pourrait être dévoilé cette semaine pour une prise de participation à hauteur de 40%. Ce serait un sacré revers pour Air France-KLM qui se voyait bien en partenaire privilégié de la nouvelle compagnie, comme il le fut pour Alitalia avant elle. Et Lufthansa signerait peut-être enfin une victoire décisive en Italie.

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Pour l'instant, ni Lufthansa, ni ITA Airways ne confirment cette annonce de la presse italienne. Interrogé par La Tribune, le groupe allemand s'est contenté de réaffirmer sa position de l'automne dernier, à savoir qu'il est intéressé par un partenariat commercial avec la compagnie italienne, sans préciser le périmètre recherché. A l'époque, il parlait d'échanges réguliers sans négociations concrètes.

Côté italien, un porte-parole a répondu à La Tribune : "Nous confirmons ce qui a été récemment déclaré en termes de prochaines étapes par la direction d'ITA Airways le 20 janvier lors de son audition de la Commission italienne des transports : présentation du plan stratégique de la compagnie lors du prochain conseil d'administration qui doit avoir lieu le 31 janvier, ouverture de la Data Room dans les jours suivants".

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15 ans d'affrontement

C'est donc un nouveau rebondissement qui se profile dans ce dossier qui voit s'affronter Air France, KLM et Lufthansa depuis une quinzaine d'années. Si la crise du Covid, qui a largement affectée les deux groupes, et les immenses difficultés financières d'Alitalia, qui ont conduit à sa faillite, avaient quelque peu suspendu les hostilités, celles-ci ont repris de plus belle l'automne dernier, Français et Allemands convoitant désormais ITA Airways.

Depuis quelques semaines, Air France-KLM avait semble-t-il pris l'avantage. Quinze jours après son lancement mi-octobre, ITA Airways annonçait rejoindre Skyteam, l'alliance du groupe français dont Alitalia était membre pendant vingt ans, de 2001 jusqu'à la fin. Quelques semaines plus tard, début décembre, KLM puis Air France signaient coup sur coup des accords de partage de codes avec la compagnie italienne pour des correspondances intra-européennes.

A cela Air France ajoutait la possibilité d'étendre la coopération sur le très juteux marché transatlantique, avec des vols vers les Etats-Unis sous condition d'approbation de la part des autorités américaines. Sans doute un premier pas en vue d'intégrer ITA Airways à la joint-venture transatlantique, qui réunit Air France-KLM, Delta Air Lines et Virgin Atlantic depuis 2020. Les trois groupes ont d'ailleurs déclaré s'être engagés à travailler avec la direction italienne pour approfondir leur coopération. ITA pouvait ainsi prétendre récupérer la place occupée par Alitalia pendant 10 ans dans la précédente mouture de cette joint-venture, aux côtés d'Air France-KLM et de Delta Air Lines. L'intégration d'une joint-venture vers la Chine n'était pas non plus à exclure.

Fort de ce long passé commun avec Alitalia, Air France-KLM pouvait aussi compter sur le fait d'avoir été actionnaire à hauteur de 25% de la compagnie italienne entre 2009 et 2017, non sans avoir été dilué en 2014 avec l'arrivée d'Etihad. Le groupe français connaît aussi de longue date Fabio Lazzerini, directeur général d'ITA Airways. Ancien directeur commercial d'Alitalia entre 2017 et 2020, ce dernier avait notamment la responsabilité des alliances. De quoi nouer des liens avec ses collègues français et néerlandais.

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L'argent reste le nerf de la guerre

Ce bel édifice pourrait pourtant s'écrouler comme un château de cartes. Après seulement quelques mois d'existence, ITA Airways est déjà en difficulté financière comme le rapporte Reuters. Et comme le notait déjà en octobre 2021 un analyste, la compagnie italienne aura beaucoup de mal à se développer sans l'apport d'un autre groupe de transport aérien sur le plan capitalistique et opérationnel. Dans ce contexte, Lufthansa possède un avantage capital par rapport à Air France-KLM : la capacité d'investir.

Afin de pouvoir disposer d'aides de la part des Etats allemand, français et néerlandais, les deux groupes ont dû se soumettre à certaines conditions imposées par la Commission européenne. Bruxelles leur a interdit toute opération capitalistique d'envergure tant qu'ils n'avaient pas remboursé 75% des sommes étatiques perçues.

D'un côté, Air France a tout juste reversé 500 millions d'euros sur les 4 milliards de prêts garantis par l'Etat et étalé le reste à payer jusqu'en 2025, transformé les 3 milliards d'euros du prêt d'actionnaire direct en quasi-fonds propres et attend une recapitalisation d'envergure avec KLM. De l'autre, Lufthansa a annoncé dès novembre avoir remboursé l'intégralité des sommes que lui avait versées l'Etat fédéral d'Allemagne, soit 3,5 milliards d'euros. Il ne lui reste plus qu'à organiser la vente des actions que possède encore le fonds stratégique allemand dans son capital d'ici octobre 2023. De fait, le veto de Bruxelles est levé et Lufthansa a toute latitude pour investir.

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Lufthansa dispose de capitaux

Le groupe allemand a réussi ce tour de force en levant près de 8 milliards d'euros sur les marchés depuis 2020. Le groupe allemand doit également valoriser sa branche de maintenance Lufthansa Technik soit par une cession partielle, soit par une cotation cette année. Et il étudie la cession de sa filiale de catering LSG et de sa plateforme de gestion de voyages d'affaires Airplus. Selon un analyste, cela pourrait générer des rentrées de liquidités de l'ordre de deux à trois milliards d'euros cette année.

Lufthansa dispose donc de ressources et de perspectives conséquentes pour investir dans ITA Airways. Seule ombre au tableau, le groupe doit composer avec un niveau de dette nette encore élevé. Il était de l'ordre de 9 milliards d'euros fin septembre 2021. Mais, comme le note un analyste, le transfert des prêts étatiques vers les marchés de capitaux permet à Lufthansa de disposer de taux bien plus abordables.

Si la prise de participation de Lufthansa se confirme avec une rentrée d'argent conséquente, les engagements déjà pris vis-à-vis d'Air France-KLM et Skyteam ne pèseront ainsi pas lourd. Dès lors, il sera quasiment inenvisageable de voir ITA Airways rester affiliée à Skyteam tout en intégrant le groupe allemand, leader de Star Alliance. De même, l'opérateur national italien retravaillerait à coup sûr ses correspondances en coordination avec Lufthansa et ses compagnies affiliées, notamment Austrian Airlines ou Swiss.

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Un pied dans la botte italienne

Lufthansa disposerait ainsi d'une position privilégiée sur le puissant marché italien. Avant crise, il s'agissait du 5e marché européen avec plus de 150 millions de passagers, qui occupait même la 4e place en ne comptabilisant que le trafic international. Le nord du pays desservi par l'aéroport de Milan, sur lequel ITA Airways a réussi à conserver l'essentiel des créneaux horaires d'Alitalia, constitue un important bassin de trafic affaires, avec une forte rentabilité. Et le réseau hérité d'Alitalia offre d'importantes synergies avec celui de Lufthansa.

ITA Airways reste néanmoins handicapée par de sérieuses faiblesses. Outre sa situation financière, sa flotte ne compte que 52 appareils, dont à peine 7 long-courriers qui seront essentiellement déployés à partir de Rome et non de Milan. La compagnie a passé plusieurs commandes à Airbus pour renforcer son offre internationale, mais il faudra attendre avant que les avions n'arrivent. Le juteux trafic affaires peine pour l'instant à redécoller et la concurrence est féroce sur le segment loisirs avec des low cost très bien implantées : Vueling, Volotea, Easyjet, Wizzair, etc.

ITA Airways constitue donc une cible de choix, mais Lufthansa ou tout autre investisseur devra y mettre les moyens et être patient avant d'espérer un retour sur investissement.

Léo Barnier

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Commentaires 2
à écrit le 24/01/2022 à 20:24
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It's a done deal comme le disent les anglo saxons. AF-KLM a perdu tout espoir....il aurait fallu fusionner il y a quelques années....pour beaucoup AF-KLM est plutôt une machine à perdre... Mais, Bruxelles aura son mot à dire...

le 28/01/2022 à 23:22
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Euh….. ?!? Comment dire ..? Avez vous seulement une petite idée de ce dont vous parlez ? Fin 90 début 2000 AF a investit 250 millions d’euros dans alitalia prenant par la même une part significative des actions de la compagnie …. en pure perte ….250 ...

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