La SNCF épinglée sur l'accès au réseau ferroviaire des nouveaux concurrents

En juin dernier, l'Autorité de régulation des transports notait des progrès dans l'ouverture à la concurrence du rail français, tout en jugeant la situation comme encore loin d’être parfaite. Dans un rapport dense, publié mercredi, l'Autorité de la concurrence dresse également un constat mitigé pointant notamment une certaine réticence du côté du groupe SNCF, en particulier chez le gestionnaire d'infrastructures SNCF Réseau.
Léo Barnier
Trenitalia a été le premier à venir concurrencer la SNCF sur les lignes TGV fin 2021, suivi par Renfe cette année.
Trenitalia a été le premier à venir concurrencer la SNCF sur les lignes TGV fin 2021, suivi par Renfe cette année. (Crédits : Ferrovie dello Stato Italiane)

Tout n'est pas encore réglé quant à l'accès au réseau ferroviaire français. C'est en tout cas l'avis de l'Autorité de la concurrence, qui a publié mercredi 29 novembre un rapport sur le secteur des transports terrestres de personnes. Benoît Cœuré, son président, a dressé un bilan critique des débuts de l'ouverture à la concurrence du rail français, tant sur les services librement organisés (grandes lignes et lignes à grande vitesse) que sur les marchés conventionnés (lignes régionales).

Si ce rapport de 250 pages se veut très complet, abordant tour à tour les « cars Macron », les VTC, les transports urbains ou encore les gares routières à travers « une approche transversale [...] avec la boussole de transition énergétique », le ferroviaire y tient une bonne place avec un nombre conséquent de recommandations.

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Des barrières persistantes

Sur les services librement organisés, où seuls Trenitalia et Renfe se sont positionnés face à SNCF Voyageurs (opérateur ferroviaire du groupe SNCF) pour le moment, Benoît Cœuré estime que la situation est encore compliquée. S'il note un effet positif sur le Paris-Lyon avec une baisse des prix de 10 % amenée par l'opérateur italien sans pour autant d'effet négatif sur la fréquentation de son concurrent français, il estime qu'il y a un manque d'offre et qu'il existe une demande non satisfaite encore très importante.

Pour expliquer le fait que cette offre ne se développe pas suffisamment, le président de l'Autorité pointe « d'une part, la qualité insuffisante du réseau ferroviaire avec un très fort besoin d'investissements [...] et également un certain nombre de barrières à l'entrée qui dissuadent les nouveaux opérateurs ». Il cite en premier lieu les tarifs des péages ferroviaires, très élevés en France. Il semble ainsi convaincu qu'une baisse de ces tarifs pourrait être à même d'entraîner un choc d'offres, avec une compensation de la baisse de recettes unitaires par les volumes. Pour autant, il ne s'engage pas sur la méthode à appliquer, renvoyant pour cela à la mission sur le sujet diligentée par les ministères de l'Economie et des Transports en septembre. Elle devrait rendre ses conclusions début 2024. À cela s'ajoute la complexité pour obtenir du matériel roulant homologué, les boîtiers compatibles avec les systèmes de signalisation français, l'accès aux capacités de maintenance...

L'Autorité de la concurrence fait donc plusieurs recommandations en ce sens, en misant principalement sur le renforcement du rôle de l'Autorité de régulation des transports (ART), avec des moyens humains et financiers adéquats et un accès complet à l'information détenue aujourd'hui largement par le groupe SNCF, afin qu'elle puisse jouer pleinement son rôle de régulateur sectoriel et puisse mettre en œuvre « une régulation incitative de l'accès aux infrastructures ferroviaires ». Elle demande également à SNCF réseau d'être plus transparent avec les concurrents sur son planning de travaux et à SNCF Voyageurs, qui détient la compétence technique en la matière, « d'assurer un accès transparent, équitable et non discriminatoire à son expertise en matière de systèmes de sécurité embarqués ». Enfin, elle souhaite que l'opérateur français offre systématiquement la possibilité à ses concurrents de reprendre ses matériels roulants lorsqu'il les retire du service. Dans la même optique, elle demande à l'Etat de se pencher sur la création d'une société publique de location de matériels roulants (Rosco).

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Résistance culturelle à la SNCF

L'autre point dur selon l'Autorité de la concurrence est la réintégration du gestionnaire des infrastructures ferroviaires, à savoir SNCF Réseau, au sein du groupe SNCF depuis la réforme de 2018. S'il ne conteste pas cette décision du législateur, Benoît Cœuré déclare que « cela rend encore plus nécessaire d'avoir des garanties d'indépendance ». Ce qui ne semble pas le cas aujourd'hui selon lui, notamment en raison de l'intégration et la dépendance financière de SNCF Réseau par rapport au groupe SNCF. Il évoque ainsi une « certaine fongibilité » entre les comptes du gestionnaire d'infrastructures et sa maison-mère, ne serait-ce que parce qu'une grande partie des bénéfices de cette dernière sont directement fléchés vers la régénération du réseau via un fonds de concours.

Au-delà de cela, le président de l'Autorité de la concurrence estime qu'il y a « une résistance culturelle de SNCF Réseau à assumer pleinement son rôle d'animation de la concurrence ». Laure Gauthier, rapporteuse générale adjointe, précise « avoir reçu un certain nombre de contributions d'acteurs qui, sans forcément dénoncer des pratiques anticoncurrentielles, relève d'un manque de culture de la concurrence de la part du gestionnaire du réseau, qui n'a pas montré un certain dynamisme dans sa volonté de faciliter l'arrivée de nouveaux entrants. »

Benoît Cœuré et l'Autorité de la concurrence recommandent de renforcer les garde-fous, à commencer par l'extension à toutes les missions de SNCF Réseau des mesures de sauvegarde prévues par la loi pour garantir son indépendance. Elles se limitent aujourd'hui aux fonctions essentielles telles que la répartition des sillons et la tarification de l'infrastructure. L'Autorité de la concurrence s'inscrit ainsi dans la lignée de l'ART, qui avait émis un avis sur le sujet en 2020. Elle propose d'ailleurs de modifier le code des transports pour donner à cette dernière « un pouvoir d'avis conforme sur le code de bonne conduite de SNCF Réseau et des pouvoirs d'injonction et de sanction en cas de manquement de SNCF Réseau à ce code. » Enfin, elle appelle à « un renforcement de l'indépendance du conseil d'administration de SNCF Réseau » et, afin de réduire cette résistance culturelle, elle veut revoir le sujet des mouvements de personnels entre les différentes entités du groupe - à commencer par SNCF Voyageurs - et SNCF Réseau.

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Mutualiser les capacités entre régions

Sur les services conventionnés ferroviaires régionaux, traditionnellement désignés transports express régionaux (TER), l'Autorité de la concurrence encourage les autorités organisatrices de mobilités - c'est-à-dire les régions - à se saisir de cette opportunité. Laure Gauthier notamment les appelle ainsi à monter en compétences et à investir afin de garder la main en la matière, même si elle se dit consciente des contraintes budgétaires auxquelles elles sont soumises. Elle encourage notamment le partage plus systématique d'expériences et la mutualisation de bonnes pratiques pour construire les appels d'offres à venir.

L'Autorité pointe aussi la nécessité pour les régions de réduire leur dépendance aux entreprises du groupe SNCF, qui sont aujourd'hui détentrices des données techniques et opérationnelles, dans la conception de ces appels. Enfin, elle estime que les régions doivent ainsi faire face à un marché assez resserré avec un nombre très limité d'opérateurs- principalement SNCF Voyageurs, Transdev, Keolis et RATP Dev, via Régionéo - mais aussi un nombre tout aussi limité de cabinets de conseil. Une concentration qui pourrait s'avérer préjudiciable au développement d'une concurrence au profit des voyageurs.

Léo Barnier

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Commentaires 6
à écrit le 01/12/2023 à 7:58
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La « SNCF », en fait l´État (le même personnel qui vit ensemble dans le microcosme parisien). C´est clair qu´ils empêchent la venue de concurrents, pourtant face à la SNCF qui ne s´intéresse qu´aux TGV (et fait tout pour fermer les autres liaisons), ...

à écrit le 30/11/2023 à 23:22
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Il me fait marrer cet Énarque qui doit voyager gratis en 1 ère : la sncf qui doit organiser sa propre concurrence ? Ou avez vous vu une telle incohérence ? Est ce que Renault ou Airbus organisent leur propre concurrence ? Encore un énarque - chado...

à écrit le 30/11/2023 à 23:17
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Il me fait marrer cet Énarque qui doit voyager gratis en 1 ère : la sncf qui doit organiser sa propre concurrence ? Déjà ses concurrents bénéficient d’un discount de 40% sur le prix des péages alors que la sncf paye plein pot.. bienvenue dans le m...

à écrit le 30/11/2023 à 23:16
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Il me fait marrer cet Énarque qui doit voyager gratis en 1 ère : la sncf qui doit organiser sa propre concurrence ? Déjà ses concurrents bénéficient d’un discount de 40% sur le prix des péages alors que la sncf paye plein pot.. bienvenue dans le m...

à écrit le 30/11/2023 à 21:13
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Vu le mécontentement général, il n'y a pas que la concurrence qui a un problème d'accès au réseau.

à écrit le 30/11/2023 à 20:03
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Ce que vous n’osez dire la bienveillance du pouvoir pour conserver la paix sociale comme par exemple pas de grèves SNCF pendant les fêtes de fin d’année L’ouverture à la concurrence UE la France n’en voulait pas pas plus pour EDF et l’électricité ...

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