Aidé par les politiques pro-ferroviaires, Ermewa poursuit sa croissance loin de la SNCF

Vendu par la SNCF pour plus de trois milliards d'euros en 2021, le groupe Ermewa - rebaptisé Streem - profite de la croissance du marché du fret ferroviaire en Europe, bien aidée par les politiques publiques. Sa filiale de location de wagons Ermewa vise une hausse de plus de 30 % de son parc d'ici 2030.
Léo Barnier
Dans un marché du fret ferroviaire en expansion, Ermewa poursuit sa croissance.
Dans un marché du fret ferroviaire en expansion, Ermewa poursuit sa croissance. (Crédits : Reuters)

Deux ans après sa séparation avec la SCNF, le groupe Ermewa a certes changé de nom pour se faire appeler Streem, mais semble loin d'accuser le coup. Vendu fin 2021 à un consortium composé à parité du fonds d'investissement allemand DWS et à la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ), le groupe spécialisé dans les wagons de fret est en phase de croissance avec le soutien de ses nouveaux actionnaires. Il mise sur le développement du report modal vers le fret ferroviaire en Europe - largement encouragé par les politiques publiques nationales et européennes - pour assurer son avenir. En particulier à travers sa filiale Ermewa, qui a gardé son nom, spécialisée dans la location de wagons.

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Contrat espagnol, fonds européens

Dernier exemple en date de cet appui sur les politiques publiques européennes, Ermewa vient d'annoncer ce mardi l'obtention d'une subvention de 17,3 millions d'euros de la part du ministère espagnol des Transports, de la Mobilité et des Programmes urbains (Mitma). Allouée dans le cadre du programme de relance européen NextGenerationEU de 800 milliards d'euros, cette somme va servir à financer à près de 50 % la construction de 200 wagons qu'Ermewa louera ensuite sur le marché du fret espagnol. Cela doit contribuer à remonter la part modale du fret ferroviaire dans le royaume, qui n'est actuellement que de 4 %, loin derrière la Suisse (30 %), l'Allemagne (18 %) et même la France (10 %). Le gouvernement vise à atteindre les 10 % d'ici 2030, ce qui représente « un effort énorme » selon Peter Reinshagen, directeur général d'Ermewa.

Ces matériels roulants, qui ont la spécificité de ne pouvoir être opérés qu'en Espagne et au Portugal en raison d'un écartement des rails différent entre la péninsule ibérique et le reste de l'Europe, seront livrés à partir de 2024. Ils se décomposent entre 150 wagons porte-bobines dédiés au transport de l'acier, qui seront produits par Inveho - société sœur d'Ermewa au sein du groupe Streem qui fait également de la maintenance et de la réparation - avant d'être loués à ArcelorMittal (Qui en fera quoi?), et 50 wagons-poche qui sortiront des lignes de l'industriel espagnol Talleres Alegria. Selon Peter Reinshagen, des discussions sont en cours avec plusieurs entreprises ferroviaires pour placer ces derniers, en vue de les opérer sur les futures autoroutes ferroviaires espagnoles Algeciras-Saragosse, via Madrid, et Valence-Madrid, en attendant une extension vers le Portugal.

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Vers un doublement de la part modale

La volonté des gouvernements européens comme des institutions européennes de réduire l'empreinte environnementale du secteur des transports -principal émetteur de carbone avec 30 % des émissions du continent- bénéficie naturellement à Ermewa. La France souhaite ainsi doubler la part modale du fret ferroviaire pour atteindre 18% d'ici 2030, tandis que la Commission européenne vise les 30% au niveau du continent dans la prochaine décennie, avec un trafic multiplié par deux d'ici 2050. Cela se traduit par des subventions au niveau des Etats comme de l'Union européenne.

De quoi alimenter le besoin en wagons : selon la société d'études Technavio, qui revoit à la hausse ses prévisions depuis la crise sanitaire, le marché doit croître de 6 % en moyenne par an d'ici 2027.

Ermewa se veut même proactif sur la question, comme l'explique encore son directeur général,Peter Reinshagen : « Notre objectif est vraiment de faciliter le report modal pour les clients qui veulent décarboner leurs chaînes d'approvisionnement. [...] Ce travail n'est évidemment pas uniquement un objectif d'Ermewa mais de tout notre secteur. Nous travaillons dans beaucoup d'associations en France, mais aussi en Allemagne et avec les associations européennes pour emmener le secteur, mais aussi influencer les différents gouvernements et la Commission européenne pour accompagner ce changement ».

Stratégie atypique

Les subventions ne constituent pas pour autant tout le modèle d'affaires d'Ermewa, qui passent par les marchés pour financer la construction et l'acquisition de wagons en vue de les placer ensuite auprès d'industriels et d'opérateurs ferroviaires. « Notre activité, c'est de chercher des capitaux pour investir dans les wagons », précise Peter Reinshagen.

La société s'appuie d'ailleurs sur une stratégie atypique à en croire son directeur général : « Nous sommes un peu spéciaux en termes de clientèle par rapport à nos confrères. Nous avons fait un changement important en basculant de clients industriels vers des clients du secteur des transports. Aujourd'hui les transporteurs, mais aussi les transitaires et les opérateurs représentent presque 60 % de notre chiffre d'affaires quand les industriels représentent 40 %. Nous avons entamé ce changement en 2010, nous l'avons intensifié depuis trois-quatre ans et nous le poursuivons très fortement. »

Cela s'accompagne d'une européanisation de l'activité, avec la France qui ne représente plus que 40 % de l'activité quand l'Allemagne s'approche désormais des 25 %. Ermewa revendique ainsi la première place en France et la deuxième en Europe, mais loin derrière la société allemande VTG.

Peter Reinshagen peut enfin compter sur l'engagement de DWS et de la CDPQ, qui « sont vraiment convaincus du report modal dans la durée [...] ils sont vraiment moteurs pour financer cette transition et ils mettent de l'argent sur la table pour y arriver ». S'il assure que la SNCF a apporté un vrai soutien en son temps et se défendant de toute critique à son encontre, il concède que les montants investis par ses nouveaux actionnaires « ont considérablement augmenté par rapport à ce que la SNCF a investi ». Ville Rail & Transports mentionne un chiffre passé de 150-200 millions d'euros par an auparavant à 500 millions d'euros en 2022.

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Forte croissance

Cela permet à Ermewa de poursuivre son développement. La société devrait passer la barre des 300 millions d'euros cette année de chiffre d'affaires, contre 291 l'an dernier (et le groupe Streem devrait atteindre 542 millions d'euros). Et elle veut accélérer son développement avec un objectif de 61.000 wagons en 2031, contre 46.000 aujourd'hui. Une « forte croissance », selon les mots de Peter Reinshagen, qui a débuté dès la vente du groupe à DWS et la CDPQ, avec déjà quasiment 6.000 wagons supplémentaires en deux ans. Cela passe par l'achat de wagons neufs - dont une partie est destinée au renouvellement du parc - et le rachat de flottes existantes auprès d'entreprises telles que l'opérateur ferroviaire belge Lineas, préférant passer de la propriété à la location de wagons.

« Cela constitue une grande partie de notre croissance. Il y a beaucoup de clients qui voient de moins en moins dans la propriété du wagon un avantage concurrentiel et qui estiment que s'ils peuvent libérer des fonds via une opération de ce type, cela peut leur permettre d'investir dans la digitalisation ou dans d'autres sujets qui produisent des résultats plus rapidement. Et le wagon loué via un contrat à long terme est aussi sûr qu'en propriété », analyse Peter Reinshagen.

Ces contrats peuvent aller de 3 à 15 ans selon le type de wagons. Quant à leur prix, il est actuellement en hausse en raison de l'inflation des coûts de maintenance d'une part (main d'œuvre, matériaux, énergie) et du prix des wagons neufs (entre 20 et 30 % depuis la crise sanitaire) d'autre part, mais aussi de la hausse importante des taux d'intérêts « qui ont doublé, voire davantage » selon Peter Reinshagen qui rappelle qu'il doit recourir aux marchés pour financer son activité.

Sans donner de chiffres, le directeur général d'Ermewa assure avoir une rentabilité élevée avec une « activité très assimilée à une banque » au vu de sa gestion d'actifs. Mais il assure que l'objectif des actionnaires est d'être rentable sur le long terme, « sur 10, 20 ou 30 ans », notamment la CDPQ qui gère les fonds du régime de retraites québécois.

Léo Barnier

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Commentaires 3
à écrit le 06/12/2023 à 8:02
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LOL ! Une manne d'argent public offerte par une entreprise publique à une entreprise privée. Si c'était pas d'une banalité affligeante et si ça n'anéantissait pas notre société on pourrait en rigoler mais bon.

le 06/12/2023 à 9:29
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Le montant reste confidentiel, mais la SNCF semble avoir planté une dizaine de millions de bon argent des contribuables dans l'aventure hyperloop, une Bérézina annoncée, Et quelques milliards dans des projets de fret, un domaine où la part modale d...

le 06/12/2023 à 10:02
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"Si la SNCF ne sait pas gérer ses investissements, pourquoi empêcherait-elle d'autres de les faire fructifier." Quand on ne veut pas on ne peut pas. C'est pour cela qu'il serait temps de mettre des responsables du train qui aiment le train et non des...

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