« Je m'attends à une demande du trafic aérien qui se maintient mais ne progresse plus » à la rentrée Olivier Jankovec (ACI Europe)

Patron du principal syndicat professionnel d'aéroports en Europe, l'ACI, Olivier Jankovec analyse pour La Tribune la situation du transport aérien sur le Vieux Continent. Sans concession, il fait part de ses inquiétudes face aux évolutions de l'environnement géopolitique et économique : si l'automne n'annonce pas une nouvelle récession du trafic, il pourrait néanmoins bien marquer un coup d'arrêt pour la croissance. Malgré un excellent début d'année, la course effrénée pour retrouver les niveaux d'avant la crise pourrait s'avérer plus longue que prévu.
Léo Barnier
Le directeur général d'ACI Europe, Olivier Jankovec, lors du Paris Air Forum 2022.
Le directeur général d'ACI Europe, Olivier Jankovec, lors du Paris Air Forum 2022. (Crédits : La Tribune)

Dans cette grande semaine de présentations des comptes semestriels, assurément les résultats sont bons, voire très bons pour le transport aérien. Il reste encore du chemin à parcourir avant de retrouver le niveau de 2019, mais cela ne semble plus aussi inatteignable qu'il y a un an. Pourtant, une petite musique commence à poindre sous la mélodie d'optimisme ambiante et même à s'amplifier. Déjà fredonnée par les représentants du transport aérien français il y a quelques semaines, elle est désormais reprise par des acteurs disposant d'une audience plus large. C'est le cas d'Olivier Jankovec, directeur général de la branche Europe de l'Airports Council International (ACI), principale association professionnelle aéroportuaire.

« Nous avons un hot summer en ce moment, avec des volumes de trafic très importants », constate tout d'abord Olivier Jankovec, interrogé par La Tribune. Il cite les effets de la demande en suspens pendant deux ans, qui s'exprime pleinement pendant ce premier été avec des contraintes sanitaires très assouplies sur l'Europe et le transatlantique. Mais il ne tergiverse pas longtemps : « Au-delà de l'été nous sommes beaucoup plus inquiets, d'abord en raison de l'impact au niveau macroéconomique de la guerre en Ukraine et de la crise énergétique. Rien ne semble indiquer une amélioration de la situation, mais plutôt une guerre qui va se prolonger et la crise énergétique risque aussi d'être plus sévère. »

La demande ne résistera pas éternellement

Alors que la demande de voyages a jusqu'ici étonnamment résisté, le patron des aéroports européens ne doute pas que l'inflation record qui découle de cette situation va finir par l'affecter. « Les revenus disponibles des ménages vont souffrir du fait de l'augmentation du prix de l'énergie, mais aussi d'un certain nombre de biens de consommation. Ils vont être beaucoup plus prudents dans leurs choix », prévient-il. Et il note que la confiance des entreprises et des ménages sur le Vieux Continent est déjà en chute libre.

« Nous sommes inquiets de l'impact des pressions inflationnistes sur l'appétence et la capacité financière des consommateurs à voyager », Olivier Jankovec, directeur de l'ACI Europe.

Les ménages seront d'autant plus sensibles à cet environnement complexe, que la majeure partie de la demande mise entre parenthèses pendant le Covid aura été satisfaite durant l'été. Le patron de l'ACI Europe analyse la situation : « Depuis quelques années, indépendamment du Covid, il y a un phénomène d'allongement des saisons touristiques. Il y a encore des gens qui voyagent en septembre, en octobre et on peut avoir un effet résiduel sur l'automne, mais cela n'aura rien à voir avec le printemps et l'été ».

Il rappelle également que les tarifs des billets aériens remontent sensiblement depuis le printemps, en partie pour absorber la hausse des coûts du carburant, auxquels s'ajoutent l'augmentation des taxes et redevances mais aussi la nécessité de recruter et de reconstituer son assise financière. Si cela n'a pas trop restreint la demande jusqu'ici, ce phénomène entre désormais en collision avec l'inflation généralisée. Dès que la demande en suspens sera épuisée et que la sensibilité aux prix se fera plus forte, le double effet pourrait être douloureux pour secteur.

Le dirigeant s'inquiète également de la faiblesse du trafic affaires. S'il confirme une réelle reprise, les niveaux sont encore loin de ceux d'avant la crise. « Pendant l'été, il y a traditionnellement le boom du trafic loisirs et VFR (visites d'amis et de parents, NDLR). Puis, lorsque arrive septembre, le trafic business et corporate prend le relais. Or, ce relais va être encore très faible cette année. »

Le taux de réservation fléchit doucement

Après avoir été exceptionnels durant le printemps et l'été, les niveaux de réservation sur l'automne tendent à fléchir lorsqu'on les compare avec ceux de 2019. Ainsi chez Easyjet, après avoir été supérieur sur les derniers mois, le taux de réservation pour octobre est identique à celui connu avant la crise pour une capacité de l'ordre de 95 %. Et chez Air France-KLM, les réservations sur le quatrième trimestre accusent quatre points de retard sur le moyen-courrier et cinq points sur le long courrier par rapport à 2019, pour une capacité autour de 90 %.

Lors de la présentation des résultats semestriels, Steven Zaat, directeur financier du groupe français, rappeler qu'une partie de cette différence était néanmoins à mettre au compte du raccourcissement des délais de réservation avec la crise du Covid. Un phénomène confirmé par ailleurs par Olivier Jankovec, mais qui ne semble pas être l'unique explication pour autant.

Le patron de l'ACI Europe rappelle enfin une évidence : la pandémie de Covid constitue toujours l'un des principaux facteurs de risques pour le transport aérien. « Nous avons une nouvelle vague avec le variant BA5, mais qui ne provoque finalement pas une augmentation conséquente des hospitalisations ou des placements en soins intensifs. Dans ce contexte-là, les gouvernements n'ont pas appelé à reconsidérer les mesures restrictives au niveau local et en termes de voyage. Mais comment va évoluer le virus à l'automne ? C'est la grande interrogation », pointe le responsable.

Olivier Jankovec estime que les différents pays ont engrangé de l'expérience sur la façon de gérer les hausses de contaminations. De fait, il espère que l'irruption d'une nouvelle vague ou d'un nouveau variant ne se traduira pas par des restrictions de voyage, qu'il juge inadéquates au regard des études réalisées par les cabinets Oxera et Edge Health pour l'ACI et IATA, son pendant pour les compagnies aériennes. Mais en l'absence de règles européennes communes, ou même de principes clairs préalablement définis par les Etats, il prévient qu'il n'a aucune assurance et que le risque de voir les frontières se fermer à nouveau perdure.

Toute l'Europe touchée

Cette inquiétude sur l'état réel de la demande cet automne ne se limite pas à quelques exemples, ou à certains marchés tels que l'Europe de l'Est touchée par la suspension des liaisons avec la Russie et l'Europe du Nord en raison de la fermeture de l'espace aérien russe. « C'est un discours que j'entends vraiment de l'ensemble de nos membres en Europe aujourd'hui », affirme ainsi Olivier Jankovec.

Les chiffres des aéroports européens pour le premier semestre, compilés par l'ACI Europe, sont pourtant éloquents avec 3,5 fois plus de passagers qu'il y a un an. Cela représente pas moins de 660 millions de voyageurs supplémentaires. Après avoir mis plus de temps à repartir que les pays d'Europe de l'Est, le marché EU+ (qui regroupe l'Union européenne, l'Espace économique européen, la Suisse et le Royaume-Uni) a connu la plus forte progression. Au point de passer devant pendant le printemps, en ayant récupéré sur le moins de juin plus de 83 % de son trafic avant crise contre seulement 78 % pour le reste de l'Europe (dont font partie la Russie et l'Ukraine).

Malgré cette première partie d'année très dynamique et ce hot summer, Olivier Jankovec s'attend à un « effet plateau » à partir de septembre avec « une demande qui se maintient mais ne progresse plus ». Le trafic serait ainsi à peu près similaire avec celui de 2021. Cela ne constituerait donc pas un nouveau repli du transport aérien, mais un sérieux coup dans la croissance et le retour au niveau d'avant crise.

De fait, l'ACI Europe se garde bien de modifier ses prévisions. Sur le premier semestre, les aéroports européens accusaient un repli de 28 % par rapport à 2019, notamment avec l'impact d'Omicron en début d'année. Olivier Jankovec espère encore atteindre sa prévision sur l'année d'un écart de 22 %, avec les pics de trafic estivaux. A moyen terme, l'hypothèse de retour au niveau de trafic d'avant crise en 2024 est toujours d'actualité.

Léo Barnier

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Commentaires 3
à écrit le 01/08/2022 à 23:04
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Vive le train , à bas l avion et ses cohortes de beaufs

à écrit le 01/08/2022 à 10:57
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L'augmentation du prix des billets d'avion est une excellente nouvelle pour tout le monde ! Le modèle économique imbécile du «bas-coût/bas-prix» (low-cost) détruit le transport aérien et la planète. Les prix des billets étant inférieurs aux coûts de ...

le 01/08/2022 à 14:10
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Tout à fait, il faut que seuls les riches puissent voyager, ça fera mathématiquement moins de nuisances. Quand j'étais jeune (y a plus de 50 ans), on regardait les avions à Orly mais ne pouvait pas imaginer pouvoir monter dedans (pour aller où ? :-) ...

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