Transition écologique : le coût social des transports, une bombe à retardement

S'il est acquis que la décarbonation des transports va coûter des centaines de milliards d'euros au cours des prochaines décennies, la question du financement fait toujours débat et il sera inévitable de mettre les usagers à contribution. Un sujet extrêmement sensible, tant l'accès à la mobilité est facteur d'inégalités.
Léo Barnier
(Crédits : Reuters)

« Si nous ne sommes pas capables d'embrasser la question de la redistribution. C'est bonnets rouges et gilets jaunes mais puissance mille ». Avec ces mots, l'essayiste Antoine Buéno n'a pas hésité à jeter le pavé dans la mare ce mardi, au cours d'un débat sur l'avenir des transports lors de La Rencontre des Entrepreneurs de France (REF) organisée par le Medef à l'hippodrome de Longchamps. Face à Clément Beaune, ministre délégué chargé des transports, Marie-Ange Debon, présidente du directoire de Keolis, ou encore Augustin de Romanet, PDG du groupe ADP, l'auteur de L'effondrement (du monde) n'aura (probablement) pas lieu, a mis en garde contre l'impact que pourrait avoir la transition écologique et énergétique sur le plan social.

Parti d'une réflexion sur les moyens de réguler, voire de modérer la demande de transport pour faire face à l'urgence climatique, notamment par le prix plutôt que par la réglementation, Antoine Buéno a déclaré : « Vous demandiez comment on fait pour faire la transition. C'est simple, il faut que les transports polluants soient chers. Toute la question est de savoir comment faire pour qu'ils soient plus chers que les modes non polluants, sachant que ces modes non polluants vont aussi demander des investissements. Cette situation va entraîner mécaniquement un renchérissement de tous les transports. Ensuite, il faut voir comment accompagner ça socialement. Il ne peut pas y avoir de transition, en particulier dans les transports, sans redistribution sociale massive. »

« Il faut l'assumer d'un point de vue politique, et être très clair sur le fait que cette transition - et j'aime bien ce terme-là du président de la République - c'est la fin de l'abondance », a poursuivi Antoine Buéno, élargissant sa réflexion à un monde où « l'énergie sera plus chère et donc tout sera plus cher », d'où une croissance plus faible, sans comparaison avec les taux connus depuis la révolution industrielle. Un nouveau paradigme qui pose donc la question de la redistribution, sans quoi la colère sociale se fera de nouveau entendre.

« Les biocarburants ou les carburants de synthèse, aujourd'hui en phase de développement et très peu matures, sont des produits rares et chers. Cela peut effectivement se traduire par l'augmentation des prix du transport qui va elle-même se traduire par l'augmentation des produits transportés », Claire Martin, vice-présidente développement durable CMA-CGM (actionnaire unique de La Tribune, NDLR)

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Mesures impopulaires

L'essayiste réagissait, entre autres, aux propos du patron des aéroports parisiens, Augustin de Romanet, favorable à une certaine modération dans les usages de l'avion et convaincu que cela se fera naturellement par l'augmentation du prix des billets inhérente à la transition énergétique qui s'amorce : « En obligeant, comme l'a fait le ministre (Clément Beaune), les énergéticiens à se prendre la peau du cou et en obligeant les compagnies aériennes à intégrer des carburants durables qui coûtent plus cher, on va augmenter le prix de l'avion et introduire une certaine régulation. Cela n'est pas très populaire que de dire que l'on est partisan de l'augmentation du prix de l'avion. En revanche, je crois que c'est responsable pour faire une forme d'auto-limitation. »

Mais la question dépasse assez largement le domaine de l'aérien pour toucher l'ensemble des modes de transport. Et notamment ceux du quotidien, à l'image du prix des carburants routiers, toujours très sensible puisqu'il était à l'origine du mouvement des gilets jaunes. C'est en effet la hausse d'une taxe sur les carburants qui avait mis le feu aux poudres à l'automne 2018, même si les raisons de la colère étaient bien plus profondes. La question est d'autant plus délicate que, comme l'a analysé Marie-Ange Debon, « si nous regardons d'un point de vue social, sociologique, la mobilité est un droit des droits, C'est le droit à être éduqué, à avoir des loisirs. Si vous n'avez pas la mobilité, vous ne pouvez pas pleinement sortir de votre environnement, sortir de votre milieu, sortir de votre pays. »

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L'usager plutôt que le contribuable et les entreprises

Malgré ce souvenir douloureux du précédent quinquennat d'Emmanuel Macron, Clément Beaune n'a pas esquivé cette question du prix. Pour lui, celle-ci doit se poser pour le financement de la transition écologique, car « tout ça a un coût, un coût public et privé »« Quand nous avons besoin de réinvestir massivement dans nos transports, il y a deux modes de financement, à savoir l'usager et le contribuable. Je n'ai pas trouvé de recette magique autre. Je l'assume parfaitement et je le dis sans aucune démagogie : pour la route comme pour le train et les autres modes de transport, il faut que l'usager en paye une partie. C'est plus juste et plus vertueux. Sur l'exemple de la route, nous avons eu des débats un peu surréalistes dans l'hémicycle il y a quelques semaines encore, où beaucoup disaient qu'il fallait lever les barrières de péage aux autoroutes pour l'été. Démagogie », a-t-il développé par la suite.

Il a ainsi rappelé son opposition aux politiques de gratuité : « Nous n'allons pas faire payer au contribuable qui utilise le train tous les jours, l'usage de la route. De même dans le transport public [...], nous n'allons certainement pas tout faire peser sur le contribuable, notamment sur le contribuable entreprise ». Parant à d'éventuelles critiques, il a tout de même rappelé que les tarifs devaient rester raisonnables, notamment pour les transports en commun.

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Un moyen de transformer les usages

Dans cette régulation par le prix, Clément Beaune voit aussi un moyen de faire évoluer les usages, question qu'il juge fondamentale. « Si nous voulons faire à la fois un peu de report modal et surtout de l'investissement, de la transition écologique, et bien oui, cela passe principalement par le prix. C'est bien documenté en théorie économique. Et le prix, disons-le de manière directe, c'est en partie la taxe. Je veux le faire de manière proportionnée, raisonnable, etc (sic) », a déclaré le ministre, assumant pleinement ses récentes prises de position sur une taxation renforcée des billets d'avion et les sociétés d'autoroutes au profit de la transition écologique et du train.

Un discours qui peut avoir du mal à passer auprès de la population alors que les critiques sur les prix élevés du train ont fusé tout l'été. Clément Beaune s'est d'ailleurs posé comme défenseur des prix de la SNCF, rappelant que « le train est structurellement plus cher que l'avion » en raison de ses coûts d'infrastructures avant d'ajouter « parce que le débat sur les prix du train est un débat très important de pouvoir d'achat, mais c'est en France qu'on a le reste à charge le moins élevé en moyenne, sur le train tout confondu, du métro au TGV par rapport à nos autres voisins européens ». Il a ainsi rappelé par la même occasion que le ferroviaire était aujourd'hui déjà « massivement subventionné ».

« Le reste à charge est quelque chose qui est très mal connu. Les transports publics sont très largement subventionnés et il faut vraiment le mentionner. Et il ne faut pas oublier dans la pédagogie que le coût de détention d'une voiture est lui aussi très mal connu. C'est plus de 500 euros par mois. Ce n'est donc pas un moyen de transport plus économique que le transport collectif, au contraire », Marie-Ange Debon, présidente-directrice générale de Keolis

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Prise de conscience des coûts

Sur la nécessité de mettre les usagers à contribution, Christelle Morançais, présidente de la région Pays-de-la-Loire, s'est voulu encore plus claire : « J'assume totalement, en région Pays-de-la-Loire, l'augmentation des coûts. Aujourd'hui, dans les transports scolaires, je passe de 110 à 150 euros, sachant que le coût réel pour la région, c'est 950 euros et qui va passer à 1.250 euros. Il faut avoir aussi une prise de conscience de combien coûte aujourd'hui les transports. » D'autant qu'elle fait du prix l'un des principaux leviers de financement de la mobilité, avec la mise en concurrence.

Pourtant, la présidente des Pays-de-la-Loire a appelé à faire « attention aux inégalités » et à ne pas « opposer les territoires entre urbain et rural, entre les hommes et les femmes », rappelant que « quand on est sur un territoire rural, comme c'est le cas dans la région des Pays de la Loire, vous n'avez pas de ligne ferroviaire ». Elle a ainsi prôné une approche différenciée selon les territoires, notamment sur la place de la voiture.

Léo Barnier

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Commentaires 22
à écrit le 30/08/2023 à 16:03
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Le 1er janvier 2025, l’ensemble du réseau bus de la RATP devait être divisé en douze lots attribués à des filiales privées de transport de voyageurs (filiales de la RATP, de Keolis et de Transdev…). Une cinquantaine de députés PCF, LFI, PS, EELV, do...

le 31/08/2023 à 15:14
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bla , bla , bla...hypocrite !!!à la fin tous les gens que vous citez votent Macron pour faire "barrage à l'extrême droite" et rentrent chez eux bien comptants de toucher leur subventions

à écrit le 30/08/2023 à 11:39
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Seule solution: limiter les transports: travail à domicile, enseignement à domicile, alimentation à domicile, démarches à domicile... Seuls déplacements autorisés, mais à pied: religieux, politique, loisirs . Sur autorisation exceptionnelle quand ils...

le 30/08/2023 à 15:47
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Non, justement il ne s'agit pas de limiter par la contrainte mais par le prix. C'est infiniment plus efficace et plus juste. Et ne pleurnichons pas sur les inégalités. Tout le monde s'il le veut peut gagner plus dans sa vie. C'est un choix

le 31/08/2023 à 1:28
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@adieuBCE : le gros problème, c'est qu'en France, il est des situations où laisser faire le marché ne conduit plus à des inégalités, mais carrément à des déterminismes sociaux et on sait d'expérience que ça finit très mal...

à écrit le 30/08/2023 à 8:36
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"« Si nous ne sommes pas capables d'embrasser la question de la redistribution. C'est bonnets rouges et gilets jaunes mais puissance mille »" Au lieu de chercher à faire peur à une classe dirigeante de déficients mentaux, ben oui ça colle pas, ils fe...

le 30/08/2023 à 15:48
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Il ya déjà assez de redistribution en France et elle ne marche pas. Elle décourage le travail. Dans les pays où il y en a moins ça va mieux

le 31/08/2023 à 1:52
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@adieuBCE, si la redistribution est de moins en moins efficace, c'est qu'elle a souvent été dévoyée par clientélisme électoral, il n'y a qu'en France que le niveau de vie des inactifs retraités est supérieur à celui des actifs...

le 31/08/2023 à 9:39
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"Il ya déjà assez de redistribution en France et elle ne marche pas. " C'est donc que cela n'est pas une redistributions non puisque cela ne fonctionne pas ?

à écrit le 30/08/2023 à 8:21
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impossible, tout le monde sait a gauche qu'il n'y a pas le choix, donc il faut dire aux ouvriers d'aller a pied au travail a25km, c'est bon pour la sante et le rechauffement climatique, donc c'est indiscutable ( sinon, c'est de droite, comme les chan...

le 30/08/2023 à 8:49
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Niaiseries!

à écrit le 30/08/2023 à 0:17
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Le coût des transport va exploser, le cout du logement aussi... est-ce qu'ils ont une idée de ce que cela va donner socialement ?

le 30/08/2023 à 8:33
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le cout du logement va plutot baisser. La bulle immobiliere est en train d exploser. Actuellement on est dans la phase de deni (les vendeurs veulent pas baisser leurs prix) mais ca va pas durer : ils vont bien comprendre qu avec des taux de 5 % ils p...

le 30/08/2023 à 13:49
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Les coûts du logement ont longtemps été artificiellement gonflés par le clientélisme électoral, mais la plupart des bénéficiaires de ce clientélisme arrivent en fin de vie et la baudruche va bien finir par se dégonfler... Pour les transports, là c'es...

le 30/08/2023 à 21:15
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@o CQFD👍

à écrit le 29/08/2023 à 23:04
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J attends les critiques sur les prix de la sncf mais les français ne connaissent pas ou ne veulent pas connaître les vrais coûts de ce mode de transport qu est le ferroviaire , souvent ils n ont aucune culture économique ou financière .. Or iata- ...

le 30/08/2023 à 14:34
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Merci! Mais ces chiffres sont un peu bizarres. 7 € du km? Ce n'est pas le billet de train. C’est peut-être le prix du péage au km pour un train de voyageurs? En tout cas, c'est pas clair. Un peu de culture financière: l'avion est exonéré de TVA sur l...

à écrit le 29/08/2023 à 20:54
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Il faut rappeler que si on doit tout concentrer sur les générations actuelles c'est par imprévoyance des autorités !! Gouverner c'est prévoir alors qu'ils rendent leurs salaires ! Ca fait 70 ans qu'on sait sur le réchauffement climatique... alors ...

à écrit le 29/08/2023 à 19:39
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Il faut que les usagers des transports en commun payent au vrai prix de revient, c'est tout. Sinon, les transports en commun ne seront pas durables. Les inégalités, il faut les accepter, ça fait partie de la vie en société

le 30/08/2023 à 8:57
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@charlie. Les inégalités font peut être partie de la vie, sauf que ceux qui subissent ces inégalités ne trouve pas ça trop sympa et il est logique qu'ils demandent de les réduire. Il n'y a aucune raison qu'une minorité "pète dans la soie " et que les...

le 30/08/2023 à 14:10
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Petit problème : en France les usagers les plus solvables sont concentrés là où des opérateurs 100% privés seraient en situation de proposer les prix les plus bas et vice versa... Dit autrement, avec un vrai fonctionnement de marché, ce ne serait qu'...

le 30/08/2023 à 15:51
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@Valbel Ils n'ont pas à demander à l'état de les réduire mais à eux-memes. C'est possible de s'organiser pour gagner plus et dépense moins. On ne peut pas vivre dans un alibi permanent.

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