Le ciel algérien monte en puissance après deux ans de bouclage

Quelques vols seulement par semaine, des avions remplis en quelques minutes, des prix qui s'envolent... pendant deux ans, la prudence des autorités algériennes face au Covid a complètement chamboulé le trafic entre l'Algérie et la France. Avec une première ouverture significative cet été, la demande, frustrée pendant plus de deux ans, a enfin pu s'exprimer pour le plus grand bonheur des compagnies présentes sur ce marché. Il faudra encore du travail avant de retrouver les niveaux de 2019, mais la dynamique est enclenchée.
Léo Barnier
Air Algérie a redéployé ses ailes vers la France à l'aide de ses gros porteurs pour faire face à la limitation des droits de trafic. (Photo d'illustration : un Boeing 737-800 d'Air Algérie décolle de l'aéroport de Palma de Majorque, en Espagne, le 29 juillet 2018.)
Air Algérie a redéployé ses ailes vers la France à l'aide de ses gros porteurs pour faire face à la limitation des droits de trafic. (Photo d'illustration : un Boeing 737-800 d'Air Algérie décolle de l'aéroport de Palma de Majorque, en Espagne, le 29 juillet 2018.) (Crédits : Reuters)

Après une longue attente, le ciel algérien a fini par se rouvrir. Progressivement, mais sûrement. Et cet été, un flot de passagers a pu à nouveau franchir la Méditerranée entre la France et l'Algérie pour la première fois depuis 2019. Si des contraintes sont encore présentes, la limitation des droits de trafic pourrait prendre fin dans les prochaines semaines. Air Algérie, Air France, Transavia, ASL France et les autres fourbissent déjà leurs armes pour cet hiver avec des programmes conséquents pour s'imposer sur ce marché qui comptait près de 5 millions de passagers annuels avant la crise. Un total qui le place en troisième position des marchés internationaux (hors Europe) au départ de la France, derrière les Etats-Unis et le Maroc.

Une réouverture à tous petits pas

Les autorités algériennes auront été parmi les plus frileuses dans la réouverture de leurs frontières aux passagers aériens. « C'est un des derniers pays de la zone Europe-Bassin méditerranéen à être resté fermé avec des restrictions aussi fortes », analyse Nicolas Hénin, directeur général adjoint de Transavia France en charge du commercial et du marketing.

Si les vols réguliers ont repris en juin 2021, cela n'a été qu'à un niveau extrêmement faible avec la mise en place d'un régime dérogatoire à l'accord bilatéral sur les droits de trafic entre les deux pays. Olivier Piette, directeur du programme d'Air France, signale ainsi que sa compagnie n'opérait que 12 fréquences hebdomadaires entre janvier et mars 2022, parfois avec des Boeing 777 en version densifiée de 472 sièges à la place des traditionnels Airbus A320 pour répondre à la demande. Alger n'a commencé à relever la jauge qu'à partir du printemps 2022, avec plusieurs paliers progressifs souvent sans préavis.

Si l'activité a pu reprendre de façon conséquente cet été, le retour à la situation nominale telle que prévu dans l'accord bilatéral n'est toujours pas acté. Les négociations sont néanmoins en cours entre la Direction générale de l'aviation civile (DGAC) côté français et la Direction de l'aviation civile et de la météorologie (DACM, bientôt remplacée par l'Agence nationale de l'aviation civile) côté algérien. Un dénouement est espéré début octobre, mais les acteurs restent prudents.

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Air Algérie, premier acteur du marché

Air Algérie a été la première à bénéficier de cette ouverture, avec 90 % des droits de trafic côté algérien (soit 45 % du total), contre 10 % pour Tassili Airlines. Zohir Houaoui, représentant général France-Nord d'Air Algérie, indique que la compagnie nationale a pu opérer à hauteur de 60 % de son programme habituel cet été, soit 171 vols par semaine. Il revendique ainsi un taux de remplissage de 82 % entre juin et août, avec des pointes à 99 % en début d'été dans le sens France-Algérie et à partir du 15 août dans le sens Algérie-France. Ce sont environ 280.000 passagers qui ont transité dans un sens puis dans l'autre sur la période.

Côté français, le réseau est davantage distribué entre les différentes compagnies en fonction des droits de trafic de chacun. Air France et Transavia possèdent chacun un tiers environ des droits français, ASL Airlines France 22 % tandis que le reste se répartit entre Vueling et Volotea. Selon les données d'Official Aviation Guide (OAG), la répartition de l'offre cet été est quelque peu sortie de ce cadre au profit d'Air Algérie et d'Air France, probablement grâce à la mise en ligne de gros porteurs.

Traditionnellement, Air France est positionnée entre les deux capitales, mais la récupération d'une partie des droits de trafic d'Aigle Azur, suite à la faillite de cette dernière, lui a permis d'ouvrir des lignes depuis la province. Avec la levée progressive des restrictions, elle a ainsi retrouvé son niveau historique, hors pointe été, avec 48 fréquences hebdomadaires et a même pu bénéficier de trois semaines à 58 vols, retrouvant ainsi la flexibilité traditionnellement accordée en juillet et août pour faire face aux pointes très fortes de trafic. Celle-ci est néanmoins moins importante qu'avant la crise, et la compagnie a saisi toutes les opportunités d'aligner des Boeing 777 pour faire face à l'importance de la demande. Olivier Piette espère la retrouver pleinement à l'été 2023 pour ajouter des vols supplémentaires.

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Transavia et ASL Airlines France démarrent enfin

Pour Transavia et ASL Airlines France, cet été avait presque l'aspect d'un baptême du feu. Très peu présentes sur l'Algérie avant la crise, elles ont toutes deux récupéré une partie des créneaux d'Aigle Azur avec pour objectif de se développer fortement sur le pays. Mais, avec la survenue de la crise sanitaire et les restrictions très importantes maintenues par les autorités algériennes, elles n'en ont jamais eu réellement l'occasion.

Si Roissy est occupé par Air France, Transavia se déploie depuis Orly et ses bases de province, à commencer par Nantes et Lyon. C'est une répartition qui s'est faite assez naturellement selon Olivier Piette, en fonction de la faisabilité opérationnelle des vols par chaque compagnie. « Nous sentions vraiment cette pression de la demande au moment où les vols étaient contraints. Elle a pu s'exprimer cet été avec un programme redevenu quasiment l'offre nominale », se réjouit Nicolas Hénin.

Transavia France a ainsi pu déployer 57 vols par semaine cet été sur 11 lignes, sur les 68 permis par l'accord bilatéral en temps normal. La compagnie annonce avoir ainsi transporté plus de 100.000 passagers sur deux mois, dont les deux tiers en août avec la montée en puissance progressive de l'offre. Au vu de la composition des flux, le remplissage moyen est relativement faible entre 70 et 75 % mais, comme Air Algérie, Transavia a connu des pointes au-delà des 95 % dans le sens aller en juillet.

Pour ASL Airlines France, la récupération de ses créneaux fait figure d'aubaine : la compagnie, dont une grande partie de l'activité repose sur le cargo, a décidé de baser l'essentiel de son offre régulière pour les passagers sur l'Algérie avec un fort investissement. « Avec le Covid, nous avons revu notre stratégie de développement et nous nous orientons maintenant davantage sur ce genre de marché », détaille son PDG, Jean-François Dominiak. Et les premiers résultats sont encourageants, depuis Paris et la province.

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L'hiver s'annonce chargé

L'offre devrait encore monter en puissance pendant la saison hiver si l'ouverture des droits de trafic se confirme. Toutes les principales compagnies ont d'ores et déjà annoncé un renforcement de leurs programmes, à l'instar d'ASL Airlines France et Jean-François Dominiak : « Nous avons lancé cet hiver un programme beaucoup plus important que celui de l'an dernier. » La compagnie prévoit ainsi de monter à 38 vols par semaine et renforcer ses fréquences, en attendant l'ouverture complète des droits de trafic. Il reste néanmoins prudent en rappelant que la crise sanitaire est très récente et que le comportement des passagers reste encore incertain.

Nicolas Henin espère lui aussi le retour à l'accord bilatéral pour pouvoir passer à 68 vols hebdomadaires et 13 lignes dès cet automne. Mais il souhaite avant tout pouvoir stabiliser enfin son offre afin de faire remonter le taux de remplissage moyen. Il estime pouvoir ainsi gagner une dizaine de points pour atteindre les niveaux du reste du réseau, autour de 80 à 85 %.

De son côté, Zohir Houaoui indique qu'Air Algérie aspire à reprendre une activité similaire à celle de 2019 dès le mois d'octobre. Il assure en tout cas que sa compagnie est prête pour poursuivre cette montée en puissance pour aller vers 230 à 240 vols hebdomadaires cet hiver, grâce à l'ouverture de trois nouvelles destinations en France et à une politique tarifaire « assez agressive », tout en développant son hub sur Alger. Celui-ci a pour ambition de desservir le Moyen-Orient et surtout l'Afrique, d'abord de l'Ouest avant de se tourner vers l'Est.

Longtemps contrainte, la demande devrait poursuivre sa dynamique forte pendant toute la saison d'hiver jusqu'à l'été prochain. Le représentant général France-Nord d'Air Algérie parle ainsi d'un engouement et affiche ses ambitions : « Pour l'hiver 2022, nous pouvons aspirer à une amélioration de 20 à 30 % par rapport à ce que nous avons réalisé durant l'été 2022. Ce sera un développement assez important. Le marché français représente habituellement 50 à 60 % de notre activité internationale. »

Olivier Piette est enfin plus modéré, estimant que la demande en suspens, très forte cet été après deux ans de restriction, va s'atténuer progressivement et que l'offre va rester stable : « Nous devrions arriver à une normalisation de la situation cet hiver, avec le retour d'un équilibre entre notre offre et la demande. »

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Du trafic toute l'année

Les pointes sont naturellement attendues sur les périodes de vacances scolaires. C'est le cas l'été, mais c'est aussi vrai pour le reste de l'année. Pourtant, à en croire l'analyse de Nicolas Hénin, « comme le Maroc, la Tunisie ou Israël, ce sont des marchés moins saisonniers que les destinations seulement touristiques. Ce sont typiquement des lignes qui peuvent vivre sur l'ensemble de l'hiver ». Ce qui rend le marché encore plus intéressant pour une compagnie comme Transavia dont l'activité baisse sensiblement durant l'hiver.

En effet, le marché franco-algérien est essentiellement affinitaire, avec une dimension familiale très marquée et souvent plusieurs allers-retours par an. En dépit d'une volonté algérienne de développer son parc hôtelier, la part de loisirs reste très faible en comparaison de ce qui peut se faire au Maroc, marché également affinitaire mais où la libéralisation du trafic a facilité l'émergence du tourisme.

Les congés de la Toussaint s'annoncent déjà fastes, et les fêtes de fin d'année offrent également des perspectives bien que les décisions restent encore plus tardives qu'avant la crise. « Nous ne sommes pas encore à la normalité, explique Olivier Piette. Nous sommes encore dans un entre deux qui rend le pilotage compliqué : lorsque nous observons un retard dans les réservations, nous avons du mal à savoir si c'est parce que le comportement des voyageurs est toujours différent ou si nous avons vraiment moins de demande. »

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Le trafic affaires reste à reconstruire

L'inquiétude vient du trafic affaires, qui pouvait représenter par exemple 10 à 20 % du trafic avant la crise pour une compagnie comme Air Algérie. Malgré une reprise des échanges économiques entre l'Algérie et la France, Zohir Houaoui admet des incertitudes avec l'évolution des comportements des entreprises, moins enclines à faire voyager leurs cadres, et parle d'une tendance à la baisse pour l'ensemble des compagnies. Il n'est néanmoins pas en mesure de la quantifier pour le moment.

Le directeur du programme d'Air France, Olivier Piette, est également dans l'attente. Après avoir rappelé que l'Algérie est un grand pays gazier, ce qui génère une activité importante, il précise que le trafic corporate ne reprend qu'à partir de la mi-septembre : « Il n'y a pas d'alerte, mais les ventes sont encore à faire car elles sont tardives en général. »

Zohir Houaoui, le représentant général France-Nord d'Air Algérie, questionné sur la visite d'Emmanuel Macron en Algérie, juge qu'elle peut contribuer à accélérer le développement de la coopération entre les deux pays et donc favoriser les échanges aériens. Un moment politique également salué côté français par Jean-François Dominiak, le patron d'ASL Airlines France, convaincu que les relations peuvent encore se renforcer.

Léo Barnier

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