L'idée n'est pas neuve, mais elle fait toujours débat : fixer un prix plancher pour les billets d'avion. Remise sur la table par Clément Beaune, ministre délégué chargé des Transports dans une interview parue ce jeudi dans L'Obs, elle n'a pas manqué de faire réagir les acteurs et connaisseurs du secteur. A commencer par la Fédération nationale de l'aviation et ses métiers (Fnam) ou encore Emmanuel Combe, économiste et ancien vice-président de l'Autorité de la concurrence. Ils ont ainsi exprimé plusieurs doutes quant à la faisabilité et la pertinence d'une telle mesure. D'autant que cette proposition s'inscrit dans une séquence où le ministre a multiplié les annonces autour de la taxation du transport aérien.
Clément Beaune a donc annoncé qu'il allait présenter aux autres ministres des transports de l'Union européenne « l'instauration d'un tarif minimum du billet d'avion ». Cette proposition sera formulée à l'occasion de la prochaine réunion informelle qui se tiendra les 21 et 22 septembre, à Barcelone. Selon le ministre, cette « mesure simple doit permettre de lutter contre le dumping social et environnemental en protégeant les compagnies les plus sérieuses comme Air France ». Sachant néanmoins qu'à l'image d'Air France avec Transavia, les compagnies classiques disposent pour la plupart de filiales low cost elles aussi adeptes de propositions tarifaires alléchantes.
Incompatibilité réglementaire
Sans prendre parti sur la pertinence ou non du projet, Laurent Timsit, délégué général de la Fnam, se montre sceptique quant à la possibilité d'implémenter une telle mesure, du moins à court terme : « Compte tenu des règles européennes existantes sur le sujet, c'est un travail de longue haleine. Le règlement n° 1008/2008 (texte européen qui fixe les règles communes pour l'exploitation de services aériens, NDLR) qui prévoit la liberté tarifaire. Aller vers un dispositif, quel qu'il soit, d'encadrement des tarifs demandera de réviser cette réglementation, ce qui prendra des années. » Un sentiment partagé par Emmanuel Combe, qui y voit aussi une incompatibilité avec les principes de l'économie de marché.
Pour illustrer la difficulté de mettre en place une telle mesure, les deux hommes citent l'exemple de l'Autriche. Face à sa volonté, en juin 2020, d'interdire que les prix des billets d'avion puissent être inférieurs aux taxes et aux frais réels, soit 40 euros en moyenne par vol dans le pays, elle s'est fait opposer le principe communautaire de libre fixation des prix. Un principe en vigueur en Europe depuis les années 1990, suivant un mouvement entamé à la fin des années 1970 aux Etats-Unis.
Malgré ces obstacles, on se montre confiant du côté du ministère des Transports, arguant le rôle moteur de la France en faveur de l'écologie à l'échelle européenne, avec notamment une accélération depuis un an dans le secteur des transports. L'hôtel de Roquelaure compte ainsi capitaliser sur les résultats déjà obtenus pour la fin des ventes des véhicules thermiques d'ici à 2035 - malgré le couac avec l'Allemagne - les obligations d'incorporation de carburants d'aviation durable (SAF), ou le déploiement de bornes électriques sur les axes routiers d'ici 2025.
Transition écologique : le coût social des transports, une bombe à retardement
Un impact incertain
Sur le fond, Laurent Timsit se montre plus prudent en attendant de connaître les contours d'une telle mesure, comme les règles pour fixer un tel prix plancher et bien sûr le niveau de ce plancher. « Nous n'avons pas de vision de ce que cela pourrait être », regrette-t-il ainsi. Au contraire de ce qui a été fait pour le renforcement de l'éco-contribution, également porté par Clément Beaune, aucune concertation n'a ainsi eu lieu pour le moment entre les compagnies et le ministère sur ce sujet.
Emmanuel Combe pour sa part juge même la proposition « étonnante » au vu de l'impact qu'elle pourrait avoir. Il cite ainsi la remise en cause du principe de yield management, c'est-à-dire la technique d'optimisation du rendement avec des tarifs variant dans le temps en fonction du taux de réservation du vol. Il explique ainsi que si les prix démarrent parfois à 10 ou 15 euros, il ne s'agit là que de tarifs d'appel, « une pratique vieille comme le commerce » qui ne concerne que quelques sièges par vol et qui ne présage pas du prix moyen des billets.
« S'il s'agissait d'une pratique généralisée à l'ensemble des billets, avec des marges négatives, les compagnies low cost devraient faire des pertes. Or, les deux compagnies les plus rentables en Europe ne sont pas Air France et Lufthansa, mais Wizz Air et Ryanair », analyse-t-il.
De même, s'il juge la cause climatique noble, il craint que ce type de mesure s'avère « anti-redistributif » et ne pénalise avant tout les passagers les plus modestes, qui ne pourront plus accéder à l'avion. Il se montre ainsi davantage favorable à des évolutions sur les tarifs les plus élevés, notamment par la taxe carbone pour atteindre le juste prix écologique voulu par Clément Beaune.
« Si Clément Beaune veut que le transport aérien redevienne ce qu'il était au départ, c'est-à-dire un moyen de transport pour une élite, pour avoir moins de passagers et donc moins de pollution, il faut le dire. Celui qui achète le billet à 10 euros plusieurs mois à l'avance, ce n'est a priori pas l'homme d'affaires. Si c'est pour faire monter le prix du billet afin que les compagnies dégagent plus de marge pour financer leur transition environnementale, il existe déjà des taxes comme l'éco-contribution. »
L'existant plutôt que l'incertitude
Sur l'argument du « dumping social » avancé par le ministre, l'économiste s'interroge également sur l'impact que pourrait avoir ce prix plancher pour la rémunération des personnels d'une compagnie. De son côté, Laurent Timsit juge surtout que des dispositifs existent déjà au niveau européen, que ce soit au niveau du droit du travail ou sur l'encadrement des subventions accordées par les collectivités locales aux compagnies aériennes, en particulier les low cost. Ainsi, il appelle davantage à un renforcement des contrôles à partir de la réglementation existante plutôt que la mise en place de nouvelles mesures dont le périmètre reste flou à l'heure actuelle.
« Il y a déjà pas mal aujourd'hui des outils qui existent et qui permettraient de répondre aux problématiques qui ont été identifiées, à savoir des tarifs excessivement bas de la part de compagnies qui reçoivent par ailleurs des aides des collectivités locales. »
Une dernière option pour justifier cette mesure serait une volonté protectionniste. Selon un connaisseur du secteur, il pourrait s'agir de protéger Air France - dont les tarifs d'appel sont relativement élevés - face à la concurrence des compagnies à bas coût capables de proposer des prix bien plus bas. Ce type de raisonnement a d'ailleurs déjà été évoqué par le passé. En 2021, L'Union nationale des compagnies aériennes françaises (Uncaf), qui regroupe une vingtaine de petits acteurs du secteur dont Amelia et Twinjet, demandait ainsi au gouvernement d'imposer des tarifs minimums sans exception face à « l'appétit féroce des low cost ». Des prix plancher situés pour un aller-retour entre 350 euros pour le domestique et 550 euros pour l'international.
Si une mesure de prix minimum couvrant les taxes et les redevances, comme dans le projet autrichien chiffré à hauteur de 40 euros pour un billet, pourrait éventuellement intéresser des compagnies comme Air France et Lufthansa pour réduire l'écart avec la concurrence à bas coût, elles seraient assurément vent debout face à un plancher au-delà de la centaine d'euros qui étoufferait une partie de la demande.
Ironie du calendrier, Ryanair vient d'annoncer ce jeudi même une vente flash pour 950.000 sièges à partir de 19,90 euros.
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