Climat : les Franciliens prêts à des sacrifices à condition que les efforts soient partagés par tous

SONDAGE EXCLUSIF- A l'occasion du forum Paris Zéro Carbone qui se déroule ce jeudi 8 décembre, la Tribune a demandé à l'IFOP de mesurer notre degré d'acceptation pour adapter nos villes et nos vies aux changements climatiques. Bonne surprise, il est tout à fait possible de réconcilier la fin du monde et la fin du mois, pour reprendre une expression employée par Emmanuel Macron au moment de la crise des Gilets Jaunes. Mais il faudra que la transition soit socialement beaucoup plus juste et évite de tomber dans le travers de l'écologie punitive. L'urgence écologique, oui, la dictature verte, non... telle est la leçon et tel est l'avertissement adressés aux élus.
Philippe Mabille
83% des Franciliens se disent inquiets du réchauffement climatique et révèlent une conscience forte de la nécessité de s'y adapter.
83% des Franciliens se disent inquiets du réchauffement climatique et révèlent une conscience forte de la nécessité de s'y adapter. (Crédits : PHILIPPE WOJAZER)

Et vous, êtes-vous prêt à changer profondément de mode de vie, de déplacement, de consommation pour participer à l'adaptation aux conséquences du changement climatique ? A l'occasion de l'édition 2022 du Forum Zéro Carbone Paris organisé par notre journal à l'Hôtel de Ville de Paris, la Tribune a demandé à l'IFOP de mesurer l'état d'esprit des Franciliens dans une région capitale qui n'est épargnée, ni par les conséquences du réchauffement (2022 a été l'année la plus chaude jamais enregistrée avec 3 canicules), ni par les mesures coercitives pour changer nos modes de vie.

C'est que les changements sont incessants et pas toujours faciles à faire accepter. Fermeture non concertée avec les villes de banlieue des voies sur berge dans la capitale; développement encore anarchique de l'usage du vélo malgré la construction de pistes cyclables et de coronapistes; présence tout aussi anarchique des mobilités douces et autres trottinettes aujourd'hui menacées d'interdiction en raison de l'usage dangereux qui en est fait par des irresponsables; mais aussi urbanisation accélérée dans une ville dense qui reste une passoire thermique en raison du retard des travaux de rénovation; arrivée de nouvelles réglementations avec le paiement du stationnement des deux roues motorisées; mise en place prochaine de la ZFE (Zone à faible émission qui interdira les véhicules les plus polluants dès l'an prochain); préparation de la fin des véhicules thermiques à Paris qui met en lumière le retard pris dans l'installation de bornes de recharge (chantier confié à TotalEnergies dans la capitale); nouvelle réglementation énergétique des logements avec une interdiction de louer des biens classés en G, puis F, puis E, qui soumet les propriétaires à une obligation de travaux en pleine explosion du prix des matières premières. La liste des bouleversements est inédite et change à la fois le paysage et les modes de vie comme aucune génération de Parisiens ni de Franciliens ne l'avait connu auparavant.

Une région sous tension

Toutes ces transformations ont leur logique et leur légitimité mais l'accumulation met sous tension une région qui concentre plus de 12 millions d'habitants et qui reste un carrefour de transports, avec deux aéroports majeurs, et un poumon économique essentiel. Une région duale aussi, la plus riche en PIB par habitant, mais qui concentre aussi des poches de pauvreté et qui malgré un réseau dense de transports en commun, métro, bus, Tram et surtout RER, oblige les habitants de la région à se déplacer en voiture faute d'alternative.

Le mouvement des Gilets Jaunes est d'ailleurs né en Île-de-France avec plusieurs figures emblématiques en particulier en Seine-et-Marne. Le débat sur la hausse du pass Navigo avec un vif bras de fer entre la présidente de Région, Valérie Pécresse et le gouvernement, a montré que la crise sociale et écologique ne permet pas de faire passer des hausses de tarifs trop élevées pour les transports publics, d'autant que ce service public a été abimé par la crise Covid. A 84,50 euros contre 75, la flambée de l'ex Carte Orange est limitée par rapport aux 100 euros qui menaçaient.

Des Franciliens inquiets mais conscients des enjeux

Dans cette région capitale, 83% des Franciliens se disent, selon notre sondage, inquiets du réchauffement climatique et révèlent une conscience forte de la nécessité de s'y adapter. Ce chiffre qui correspond à la moyenne nationale est plus particulièrement élevé chez les moins de 25 ans, la génération Climat dont 43% sont affectés par le phénomène de l'éco-anxiété. Par comparaison, seuls 16% des plus de 65 ans se disent très inquiets, marquant une fracture entre les Boomers insouciants roulant en SUV diesel et les jeunes adeptes du vélo, électrique ou non.

Les mesures prises jusqu'ici pour réduire la pollution de l'air n'ont pas vraiment convaincu de leur efficacité. 77% des Franciliens considèrent en novembre 2022 que ces pollutions augmentent (40% beaucoup, en particulier dans Paris intra muros, signe d'une inefficacité, au moins dans les quartiers périphériques et de délestage, du plan de circulation de la Mairie de Paris). Seuls 3% des Franciliens considèrent que la pollution a diminué : le signal est violent pour les élus à l'heure de la mise en place de la ZFE et alors que la voiture électrique reste encore marginale faute, en particulier, de stations de recharge. En pinçant l'entrée de Paris, la multiplication des bouchons, accélérés par le retour des cars de tourisme après le Covid, fait de Paris une des villes les plus polluées de France, en tout cas c'est le sentiment de ceux qui y vivent.

Fatalité ou résignation

Selon l'IFOP, un sentiment de fatalisme règne chez les Franciliens selon qui le réchauffement climatique est un phénomène qui s'accélère (91%), selon qui les élus locaux devraient agir davantage et avec plus d'efficacité (86%). Un sentiment d'injustice sociale domine aussi, souligne François Legrand qui a conduit l'étude de l'IFOP : 73% des Franciliens considèrent que l'Etat demande trop d'effort aux plus pauvres et pas assez aux plus riches. Les deux tiers sont résignés à un changement climatique jugé inéluctable pour lequel il n'y a pas de solution (58%). Assez inquiétant, on trouve 36% des Franciliens climato-sceptiques selon qui le phénomène est exagéré par les médias.

Fracture sociale et fracture écologique vont de pair : 51% des Franciliens ont aussi le sentiment de « faire plus d'efforts que les autres » : un sentiment majoritaire chez les Parisiens, les écologistes, les jeunes et... les plus modestes et les pauvres, ainsi que chez les convertis, de gré ou de force, à la petite reine...

Concilier fin du monde et fin du mois

Côté solutions, l'IFOP mesure un degré d'acceptation plus fort de l'idée que fin du monde et fin du mois sont compatibles, pour 60% des sondés, seuls 23% jugeant que la priorité doit être donnée au pouvoir d'achat sur la transition écologique. Reste à voir si cela demeurera vrai en début d'année avec la probable poussée des prix de l'alimentation et de l'énergie.

Les mesures prioritaires à mettre en place sont en numéro 1 la rénovation thermique des bâtiments, une urgence alors que 39% des émissions proviennent de cette source et que les règles de diagnostic énergétique vont mettre la pression sur les travaux, encore très en retard. En 2, l'accélération de la transition écologique de l'industrie, en 3 le développement accru des espaces verts, la végétalisation pour lutter contre les îlots de chaleur en ville. La réduction de l'usage des véhicules thermiques et le passage à la motorisation électrique n'est cité qu'en numéro 4 tout comme la limitation de l'usage de l'avion. Le bio, sans doute un effet de la baisse du pouvoir d'achat, ne vient qu'en 6ème position alors que les ventes s'effondrent.

Les Franciliens, qui vivent à la fois des embouteillages et des retards du RER, plébiscitent évidemment le développement du rail en alternative à la route autant que possible. 90% jugent que c'est la priorité des années à venir. En deuxième position, 85% privilégient le recul du recours aux pesticides d'ici à 2030, 83% le doublement du parc d'énergies renouvelables. Pour rendre juste et efficace la transition écologique, les Franciliens attendent aussi plus d'aides de l'Etat pour que les ménages les plus précaires rénovent leur logement (78%), 62% que les propriétaires soient contraints de le faire avant une vente et 61% sont pour la limitation de l'accès des véhicules les plus polluants en ville. Seuls 55%, une courte majorité, veulent que les trajets en avion soient plus taxés. Moins de la moitié, 47% sont favorables à l'interdiction de la vente des véhicules diesel, essence et hybrides neufs en 2035, comme le propose l'Union européenne. Il y a donc du travail de conviction à faire, relève François Legrand de l'IFOP, en particulier sur les aides pour le passage aux motorisations électriques.

Les Franciliens font confiance aux entreprises notamment aux plus grandes pour faire avancer les choses en matière de lutte contre le réchauffement, à 86%, presque à égalité avec l'Etat et l'UE (85% et 83%). Les citoyens eux même, la métropole du Grand Paris sont mis en avant alors que la Ville de Paris n'intervient qu'en dernière position à 74%.

Des solutions peu convaincantes

Que sommes-nous prêts à faire pour lutter contre le réchauffement climatique ? Trier nos déchets à 91%, utiliser plus les transports en commun, la marche ou le vélo à 85%, baisser de quelques degrés le chauffage à 82%, manger moins de viande en revanche ne convainc que 72% des sondés et le covoiturage 57%.

Interrogés justement sur les pratiques en matière d'avenir des mobilités, les Franciliens sont persuadés aux trois quarts qu'il y aura en 2030 moins de voitures individuelles et plus de vélos. 65% pensent même qu'il y aura plus de gens se déplaçant à vélo. Mais 61% pensent que malgré tout, on se déplacera davantage et que l'on ne se cantonnera pas à rester dans la ville du quart d'heure... 59% ont bien compris que les moteurs thermiques ne pourront plus entrer en ville en 2030, ce qui reste encore incertain sauf à changer tout le parc automobile ou à mettre des parkings à l'entrée de villes. Une courte majorité de 57% croit à l'arrivée de la voiture autonome en ville, avec des taxis autonomes peut-être, en attendant la voiture volante...

L'autosolisme, le fait d'être seul dans sa voiture, ne sera plus toléré : 74% des Franciliens pensent que l'utilisation moindre de la voiture individuelle en Île-de-France est une bonne chose mais attention au retour des Gilets Jaunes, car un quart, les plus modestes, sont opposés avec un rejet très fort chez les catégories modestes, les seniors et les électeurs de Marine Le Pen, ainsi que les habitants de l'Essonne et de la Seine-et-Marne, les départements exclus du Grand Paris des transports. De même, signal d'alarme pris en compte par le gouvernement, l'adhésion à court terme à l'interdiction des véhicules diesel de l'aire urbaine francilienne via la mise en œuvre des amendes dans la ZFE divise les Franciliens. Seuls 17% sont très favorables, 38% favorables et 45% sont opposés, dont 18% sont irréductiblement contre. Là encore, les irréductibles de la voiture des départements les plus ruraux sont très opposés ainsi que les seniors et les retraités. Le travail de persuasion reste à faire pour atteindre le fameux point de bascule de la société francilienne et la convaincre de renoncer à la voiture thermique. Une leçon à méditer par tous les décideurs instruits par la crise des Gilets Jaunes qui pourraient bien voir rouge plus que vert si on ne les aide pas à avoir un véhicule électrique bon marché et facile à recharger dans des bornes électriques abondantes et bon marché. Au prix actuel desdites voitures et de l'électricité qui flambe, ce n'est pas gagné.

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Notre sondage IFOP : « les Franciliens et l'environnement »

Enquête menée auprès d'un échantillon de 1000 personnes représentatives de la population francilienne âgée de 18 ans et plus. Questionnaire auto-administré en ligne du 22 au 25 nombre réalisé par l'IFOP.

Philippe Mabille

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Commentaires 16
à écrit le 09/12/2022 à 11:00
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L'adaptation se fera sous contraintes, les franciliens ne s'adapteront pas ils subiront comme toujours. Par nature le francilien est un gros égoïste monté à Paris pour gagner sa croûte. Le francilien ne connaît pas ses voisins, ne connaît et ne maîtr...

à écrit le 09/12/2022 à 8:40
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Comme on fait dire "tout et n'importe quoi" à un sondage avec un peu d'imagination intéressé ! Et que l'on brode par la suite ! C'est plutôt fait pour uniformiser les pensées ! ;-)

à écrit le 08/12/2022 à 19:03
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Isoler le logement et changer de voitures , un cout exorbitant , 20 000 e pour la voiture et 30 000 en moyenne pour le logement. Bref, mission impossible pour la majorité des franciliens. Surtout que les loyers sont bloqués, que la TF explose , qu'...

à écrit le 08/12/2022 à 18:59
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Le problème...c"est la ville!

à écrit le 08/12/2022 à 17:58
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Bonjour manger moins de viande, ben vu le prix on mange de moins en moins de viande rouge, c'est plutôt cochon, volaille et lapin, bien plus efficace comme rendement donc moins polluants, sinon ben pour les franciliens vont 'ils abandonner définiti...

le 08/12/2022 à 22:59
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Parlez en aux vieux ce sont eux qui roulent en suv diesel , qui polluent encore plus que les autres car refusant de s’adapter au changement les mêmes qui nous ont laissés les dettes nous obligeant nous générations post 1960 à travailler jusqu à 65 an...

à écrit le 08/12/2022 à 14:42
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"utiliser plus les transports en commun, la marche ou le vélo" : niet, j’ai déjà donné. Après 56 années de transport en commun (2 heures par jour en moyenne, depuis l’âge de 11 ans jusqu’à celui de la retraite (67 ans), sauf 4 années d’expatriation),...

à écrit le 08/12/2022 à 11:38
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Votre chambre en ephad est remplie de produits bon marché fabriqués en Chine. Aussi je trouve votre commentaire mal venu !

à écrit le 08/12/2022 à 11:36
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je resume ( on apprend ca quand on fait des etudes de marche)........' je suis pour la transition ecolo, tant qu'elle est juste, c'est a dire que ca ne me coute rien et c'est les autres qui font des efforts'...........et donc l'argument imparable ser...

à écrit le 08/12/2022 à 10:49
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Encore un sondage fait après un travail de conditionnement de la population par les médias. Et malgré cela, on arrive quand même à 36% de franciliens climato-sceptiques.... Heureusement qu'il y a les jeunes. Eux, ils cumulent la pression des médias e...

à écrit le 08/12/2022 à 10:15
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Les médias de masse sont ce qu'ils sont. Ils pourraient effectivement être différents mais alors ce ne serait pas pareils. Quant à l'énergie qui pourrait être économisée, cela n'est pas évident car nombreux ont des capteurs solaires dans leur rédacti...

à écrit le 08/12/2022 à 9:31
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Nous pouvons revenir plus ou moins brutalement à la vie dans les années 70 c'était rude mais plutôt chaleureux comme descendre à Marseille dans le confort feutré du Mistral (je parle d'un train).. Attention ça risque de piquer.. Bon, à cette époque i...

à écrit le 08/12/2022 à 9:14
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Plusieurs faits: 1- les variations climatiques et de températures ont toujours existé au cours des millénaires. Elles sont tout au plus un peu influencées par l'Homme. Le GIEC n'a pas de réelle base scientifique et ne prend que les "études" qui vont...

à écrit le 08/12/2022 à 8:03
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Pourtant ça ne les dérange pas que ce soit les régions qui sont pourtant largement moins riches et moins dotées qui financent l’augmentation de coût des transports franciliens.

à écrit le 08/12/2022 à 7:32
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La sobriété est forcément « punitive » car elle demande de dépasser ses mauvaises habitudes. Arrêter de fumer n’est pas une partie de plaisir, arrêter les hydrocarbures non plus. Mais au bout du compte à long terme c’est nécessaire.

à écrit le 08/12/2022 à 7:06
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- Non, pas la peine de faire des "sacrifices", on n'est pas masochistes - Non, il n'y a pas d'"urgence écologique" - Si, l'écologie est forcément punitive - Ne faites pas l'amalgame entre crise énergétique et réchauffement climatique, ce sont de...

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