L'ESG va créer de l'inflation mais de la bonne !

CHRONIQUE DU "CONTRARIAN" OPTIMISTE. La hausse des prix actuelle n'inquiète pas à court terme les banques centrales. En revanche, l'implémentation des critères ESG pourrait faire grimper les coûts de production et les prix pour les consommateurs, mais aussi développer un potentiel de croissance pour les entreprises plus en adéquation avec la société.
Robert Jules
(Crédits : DR)

La reprise de l'inflation est devenue la préoccupation majeure des décideurs : gouvernants, banquiers centraux, investisseurs, sans oublier les ménages. Aux Etats-Unis, l'indice CPI s'est affiché à 5% en mai, sa plus forte progression depuis 13 ans. En Europe, pour la zone euro, il s'est établi à 2%, soit l'objectif fixé par la BCE. Va-t-elle durer ? Le débat divise les économistes, mais tant à la Fed qu'à la BCE, on considère que la hausse des prix est temporaire. Il n'est pas question - pour le moment - de remettre en cause les politiques monétaires accommodantes par une hausse des taux, en tous les cas pas avant la fin de l'année 2023, selon Jerome Powell, président de la Fed. Prudentes, les institutions monétaires avancent comme argument que le déséquilibre entre la forte demande de biens et de services entraînée par une vigoureuse reprise économique et une offre rendue anémique durant la pandémie, notamment pour les matières premières, va se résorber.

Une véritable révolution culturelle pour les entreprises

A moyen terme, cependant, l'inflation pourrait être également nourrie par l'adoption généralisée par les entreprises des critères ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance), une véritable révolution culturelle. Ainsi, les critères environnementaux mesurent l'impact, direct et indirect, de l'activité d'une entreprise sur l'environnement, notamment la pollution, les émissions de CO2, le niveau de recyclage des déchets, la dégradation de l'environnement... ; les critères sociaux, eux, évaluent l'impact de l'activité sur les salariés, mais aussi les clients, les fournisseurs, la population locale, à l'aune des droits humains, du droit du travail, de la sécurité, de la représentation... ; enfin, les critères de gouvernance, eux, se focalisent sur la transparence de la gestion de l'entreprise...

En effet, l'application de ces critères ESG va renchérir les coûts de production pour les entreprises, notamment les PME. En matière environnementale, Bill Gates a popularisé ce surcoût sous le terme de "Green Premium" dans son ouvrage "Climat : comment éviter le désastre". L'écart de coût entre une démarche classique, et celle intégrant l'ESG est loin d'être négligeable. Le milliardaire donne l'exemple de l'essence. Le prix moyen d'un litre aux Etats-Unis est de 0,63 dollar, celui d'un litre de biocarburant 1,31 dollar, soit plus du double. Dans ce cas, le "Green Premium" est de quelque 100%. A contrario, la "Green premium" peut-être dans certains cas négative.

Augmentation des salaires les plus bas

Un tel renchérissement va se répercuter sur les prix à la consommation. Mais est-ce un réel problème ? Dans une note de recherche, l'économiste Kohei Okazaki et son équipe d'experts chez Nomura, une société financière japonaise, voient dans l'ESG la création d"une bonne inflation", autrement dit cette hausse de prix aura un effet bénéfique à long terme sur l'activité économique et la société.

Ainsi, l'ESG peut favoriser au nom de critères sociaux une augmentation des salaires les plus bas. Même si c'est de nature à nourrir l'inflation, une telle démarche n'aura qu'un impact limité dans le contexte actuel de "démondialisation" de certaines chaînes de valeur. La relocalisation de certaines activités va coûter plus cher mais peut avoir un effet vertueux sur l'emploi. Car depuis les années 1980, la mondialisation a fait stagner le niveau des salaires dans les économies développées.

Ainsi, même si la tendance reste à confirmer, le Bureau des statistiques américain annonçait la semaine dernière que les salaires et revenus ont augmenté de 3%, au premier trimestre 2021 aux Etats-Unis, soit la plus forte progression depuis 2001.

L'ESG va aussi peser sur les prix de produits de base avec la nécessité de changer certains modèles industriels, à l'instar du basculement du parc automobile vers les modèles électriques. Ainsi, les cours des métaux, qui vont jouer un rôle vital dans la transition énergétique, ont augmenté plus rapidement que celui des hydrocarbures.

Le mouvement n'est pas uniforme

Mais le mouvement n'est pas uniforme. Les experts de Nomura, en prenant l'exemple du Japon, ont calculé que le développement des énergies renouvelables aura un effet inflationniste marginal. Selon eux, la part de ces énergies renouvelables pour produire de l'électricité, en passant de 22,24% aujourd'hui à 37,5% en 2030, ne nourrira l'inflation que marginalement car le coût de production des panneaux solaires et des éoliennes tend à baisser.

Toutefois, ils alertent les autorités sur le fait que la facture d'énergie qui pèse sur les ménages les plus modestes doit rester sous contrôle car c'est un motif de contestation. Ils rappellent l'exemple du mouvement des Gilets jaunes en France, déclenché par le rejet d'une modeste taxe carbone voulue par le gouvernement.

Le respect des critères sociaux de l'ESG implique l'adoption de mesures compensatoires pour éviter que les inégalités sociales se creusent, notamment devant l'accès à l'énergie.

Car, pour les experts de Nomura, les entreprises ne doivent pas réduire l'ESG à sa seule dimension de renchérissement des coûts mais y voir davantage la possibilité de "clarifier leurs relations avec l'environnement et la société, y compris les externalités, de contribuer à l'amélioration des relations avec toutes les parties prenantes et de mettre en place des structures permettant d'atteindre ces objectifs".

Ne pas être uniquement sur le rendement financier

Si le changement présente des risques, il offre aussi des opportunités. Dans une telle démarche, l'objectif ne peut être uniquement focalisé sur le rendement financier. En révisant les chaînes d'approvisionnement et les chaînes de valeur, en clarifiant leurs interactions avec l'environnement et la société, les entreprises peuvent "approfondir leur connaissance d'elles-mêmes".

Quant à l'inévitable hausse des prix à la production qui sera répercutée sur les consommateurs, les experts de Nomura pensent que ces derniers peuvent accepter de payer plus cher au regard du respect des critères ESG.

C'est la raison pour laquelle les gouvernements ont un rôle majeur à jouer dans cette approche, non seulement en les justifiant auprès des consommateurs mais aussi en mettant en place un cadre réglementaire pour les entreprises. Or, au-delà des discours, on en est encore loin.

Comme le soulignait Janet Yellen, secrétaire au Trésor de Joe Biden, lors d'une réunion préparatoire au dernier sommet du G20 sur les investissements dans les infrastructures : "La mauvaise qualité ou disponibilité des données ESG et le manque de mesures ESG standardisées sont souvent cités comme des obstacles au déploiement ultérieur de la finance durable." Et l'ancienne présidente de la Fed ne manquait pas de mettre en garde sur le risque que les entreprises se contentent de "greenwashing".

Certification par un tiers

De leur côté, les experts de Nomura plaident en faveur d'une certification par un tiers. Elle permettrait de rendre plus transparentes les démarches des entreprises, et d'apporter un gage de confiance aux consommateurs.

Les gouvernements peuvent aussi adopter une réglementation commune internationale plus contraignante qui pourrait conduire en cas de non respect à une interdiction de vente, ou comme certains commencent à le faire en adoptant une tarification par exemple pour le carbone.

Pour les experts de Nomura, cette nouvelle culture des entreprises pourrait même favoriser la création de nouveaux emplois "verts" chargés de veiller aux critères ESG. Autrement dit, créer un cercle vertueux où le rôle des entreprises serait plus en phase avec celui de la société, leur potentiel de croissance plus élevé et la distribution des revenus plus homogène. C'est en quoi l'ESG pourrait créer une "bonne inflation".

Robert Jules

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Commentaires 4
à écrit le 28/06/2021 à 13:15
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faudra expliquer aux gilets jaunes le concept de ' bonne inflation'; on cherche des volontaires pour se faire etriper, toutes les candidatures sont bienvenues.... la seule inflation qui correspond a quelque chose c'est celle qui est liee a l'output e...

à écrit le 20/06/2021 à 10:29
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La bonne inflation, se serait de rajouter des normes environnementales chez nous qui vont augmenter nos coûts de fabrication alors que des pays avec lesquels nous avons signé des accords de libre échange ne le feront pas? La bonne inflation se serait...

à écrit le 19/06/2021 à 8:07
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Mouais, ça me fait penser a l'inflation dans le bouchonnois, il y a la bonne qui fait monter les prix et la mauvaise qui elle fait monter les prix. Vision nippone des choses qui eux ont une société solide,, l'augmentation des salaires les plus faible...

le 20/06/2021 à 13:28
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C'est vrai que le prix de l'essence monte à la pompe, mais ce n'est que le reflet du prix du baril de brut qui est passé de 26 dollars à 70 dollars en quelques mois et certains le prédisent même pour 100 dollars l'an prochain. Mais que peut le gouver...

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