Le président de la République française, Emmanuel Macron, a avec courage réitéré, lors de sa récente rencontre avec Angela Merkel à Brégançon, l'engagement de la France aux côtés des forces de la paix et de la stabilité dans la Méditerrané orientale. La Grèce et Chypre comme aussi la Libye sont des victimes du révisionnisme de l'Histoire que le président de la Turquie Recep Tayyip Erdogan essaie d'imposer par le chantage, la force ou la "négociation forcée". La doctrine de M. Erdogan se base sur la révision du traité de Lausanne de 1923, proposition publiquement avancée déjà par lui-même en décembre 2017.
Paris et Athènes protègent les intérêts de l'Europe
La France et la Grèce sont des alliées historiques dont les intérêts en termes de sécurité régionale convergent tout autant plus dans la conjoncture actuelle. Le nouveau "pivot asiatique" des Etats-Unis a créé un vide géopolitique dans la région du Proche-Orient. Un vide que des forces comme la Turquie essayent de combler. Néanmoins, la Méditerranée est un espace stratégique pour l'Europe et M. Erdogan est bien au courant de cela. Des forces comme la France et la Grèce avec leurs actions protègent les intérêts de toute l'Europe dans la région.
De son côté, la Turquie d'Erdogan vise à devenir un pôle géopolitique régional, qui interviendra de manière directe ou indirecte dans toute la région. L'incident du 10 Juin 2020, dont la frégate Courbet a été victime, est bien l'expression du comportement agressif, illégal et dangereux de la Turquie d'Erdogan. La Grèce est aussi victime depuis des nombreuses années d'incidents similaires dans son espace maritime et/ou aérien.
"Dysfonctionnements cérébraux" de l'OTAN
Le positionnement de l'OTAN face à l'incident du 10 Juin montre bien les "dysfonctionnements cérébraux" de l'Alliance. Similairement, les positions des États membres de l'Union européenne (UE), malgré l'existence de l'Article 42, paragraphe 7 du traité sur l'Union européenne (traité UE), n'ont pas été à la hauteur de la menace, dont un État membre de l'Union, la France en l'occurrence, a été victime. Cet article n'est pas perçu par des pays tiers comme une clause de défense collective. L'Europe de la défense, malgré les tentatives des certains pays comme la France et la Grèce, ne semble pas être parmi les priorités des autres États membres de l'UE.
L'Histoire démontre qu'une Union comme l'UE, si elle a des ambitions à accomplir, un rôle au niveau mondial pour la paix et la stabilité, ne doit pas négliger le volet de la défense et de la sécurité. L'UE dispose indiscutablement le "soft power" mais pour faire face à des forces, comme la Turquie, dont la seule attitude, qui compte à ses yeux est le "hard power", elle a besoin de construire son propre "hard power" également.
Les provocations récurrentes de la Turquie
Que faire en attendant l'accomplissement de l'Europe de la défense ? La question se pose assez naturellement d'autant plus pour des pays comme la Grèce. En ce sens, j'ai eu l'occasion en tant que député au Parlement Européen d'interpeler le président Macron à ce sujet lors de la session plénière du 17 avril 2018 à Strasbourg. J'ai proposé la conclusion d'un Accord de coopération en matière de défense et de sécurité avec une clause d'assistance militaire mutuelle entre la France et la Grèce. Suite aux interventions des députés, le président Macron a déclaré, lors de la séance au Parlement européen, que "la France se tiendra à chaque instant aux côtés de tout État membre lorsque sa souveraineté sera attaquée" et il a rajouté : "c'est également la position que nous tenons constamment aux côtés de la Grèce lorsqu'elle est menacée en Méditerranée orientale".
Après avoir à plusieurs reprises foré dans la zone économique exclusive de Chypre, la Turquie a illégalement effectué, ces dernières semaines, des recherches sismiques d'exploration d'hydrocarbures dans une zone située sur le plateau continental grec. Cela constitue une provocation de plus après la modification du statut de Sainte-Sophie mais surtout elle constitue une violation directe des droits souverains grecs et par conséquence des droits souverains de l'UE. Les peuples français et grec ont toujours été solidaires en temps des crises respectives. Les mots d'ordre "nous sommes tous des Européens grecs" et "France-Grèce-Alliance" semblent être partagés au sein des sociétés française et grecque respectivement.
Resserrement nécessaire des liens franco-grecs
Face au comportement de M. Erdogan, il est temps que la Grèce et la France passent aux actes. La présence des forces armées françaises aux côtés des celles de la Grèce, ces dernières semaines lors des exercices militaires, est une première étape. La conclusion d'un Accord de coopération en matière de défense et de sécurité avec une clause d'assistance militaire mutuelle entre la France et la Grèce serait un acte fort que M. Erdogan ne pourra pas ignorer. Un tel Accord pourrait s'accompagner d'accords d'approvisionnement d'équipements militaires français par l'armée grecque comme aussi d'accords de coopération en matière de recherche et innovation dans ces domaines. Des projets à forts contenu local est un paramètre clé pour la Grèce. Selon, les informations de La Tribune les entreprises françaises semblent avoir une démarche qui permettrait aux universités comme aux entreprises grecque d'être parties prenantes des projets industriels.
Néanmoins, l'achat des frégates française par la marine grecque rencontre, selon La Tribune, certaines difficultés. Certes, il s'agit d'une affaire commerciale mais le juste prix doit être conclu. Les deux parties ne doivent pas perdre de vue les enjeux stratégiques et le contexte général comme aussi les contraintes du budget de l'État grec. Le facteur déterminant, à mon avis, pour la Grèce dans cette négociation doit être la conclusion de l'Accord de coopération en matière de défense et de sécurité avec une clause d'assistance militaire mutuelle entre les deux pays. En même temps, une puissance mondiale comme la France, qui a l'ambition de représenter l'Europe géopolitique et qui revient de manière très active sur la scène de la Méditerranée orientale, doit choisir ses alliés locaux et accepter d'assumer un certain "prime de leadership" (premium of leadership) financier vis-à-vis ses alliés locaux. En gardant ces principes en vue, je pense qu'un Accord équilibré et mutuellement bénéfique doit pouvoir être conclu le plus vite possible.
De son côté, M. Erdogan essaierait d'utiliser le moindre retard ou fissure de cette alliance franco-hellénique afin d'essayer un rapprochement potentiel avec la France dans l'objectif d'isoler, si possible, la Grèce de ses alliés. Pour ces raisons la France et la Grèce doivent maintenir le cap actuel, fermer leurs oreilles aux "sirènes géopolitiques" et accélérer leurs démarches de rapprochement.
Sujets les + commentés