Renault : comment survivre par inadvertance

Au gré de ses turpitudes (suppression de 7500 postes, retards répétés de la gamme électrique, effondrement des parts de marché, résultats en berne), Renault devient un modèle de ce qu'il est convenu d'appeler une stratégie émergente, ou stratégie involontaire : ce qui réussit n'est pas ce qui était prévu, et à l'inverse ce qui devait réussir est un échec. Une tribune de Frédéric Fréry, professeur de stratégie à ESCP Europe.
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Comme le montrent les chiffres 2012, une nouvelle fois la marque Renault est en recul et une nouvelle fois la marque Dacia est en progression. Faut-il pourtant rappeler que Dacia n'était absolument pas au coeur du projet stratégique officiel de Renault ? La Logan et ses descendantes ont connu le succès en marge de la stratégie affichée du groupe, qui privilégiait la montée en gamme, la qualité et l'accroissement des marges. Dix ans plus tard, Renault souffre et s'éclipse peu à peu derrière Dacia. Comment notre ex-Régie nationale est-elle devenue un constructeur low-cost roumain ? Involontairement.

Aucun des objectifs officiels annoncés par Carlos Ghosn n'a été atteint

Le succès de la Logan s'explique par la nature a priori insignifiante de l'origine du projet : une usine vétuste, une marque sans valeur, une "voiture Frankenstein" (composée avec des pièces empruntées à des modèles existants), conçue pour des pays pauvres, alors que dans le même temps tous les ambitieux du losange n'avaient d'yeux que pour l'alliance avec Nissan. Marginale, discrète, peu séduisante, la Logan a réussi à passer entre les mailles du filet des ingénieurs du technocentre et sous le radar des managers de la direction générale. Son succès a été une surprise pour les dirigeants, qui face aux importations parallèles n'ont eu d'autre choix que d'officialiser son lancement sur nos marchés. Si la Logan a été une réussite, c'est justement parce qu'elle n'était pas stratégique. Or, dans le même temps, aucun des objectifs officiels annoncés par Carlos Ghosn n'a été atteint. Bien sûr, l'industrie automobile tout entière a connu une des pires crises de son siècle d'histoire. Bien sûr, la promesse du tout électrique laisse tolérer quelques accidents de parcours.

Renault s'effondre et cet effondrement est masqué par la croissance de Dacia

Mais tout de même, entre le rocambolesque feuilleton des faux espions et le récent fiasco de la collaboration avec Better Place sur les Fluence électriques en Israël, la capacité de résistance à l'échec stratégique de Carlos Ghosn force le respect. Sa longévité à la tête du constructeur s'explique certainement par le fait qu'il sa su s'imposer aux yeux des actionnaires comme le seul garant de la pérennité de l'alliance avec Nissan, devenue essentielle à la survie du groupe. A cet égard, son engagement téméraire dans le véhicule électrique peut s'interpréter comme une démonstration de volonté stratégique, dans le but de rassurer ses troupes sur le fait qu'il y a bien un pilote clairvoyant dans l'avion et que les erreurs passées ne sont que le fruit de la conjoncture et de la malchance. L'avenir nous dira rapidement si ce pari, au moins, aura été gagnant.

Derrière la suppression des postes annoncés, c'est notre prospérité qui est en jeu

En attendant ce jour, on pourrait penser en première analyse que Renault est phagocyté par Dacia, que la Logan cannibalise la Mégane et que le Duster a eu la peau du Koleos. Or, la réalité est encore plus alarmante : Dacia ne remplace pas Renault (leurs gammes ne sont pas vraiment concurrentes). La vérité, c'est que Renault s'effondre, mais que cet effondrement est masqué par la croissance de Dacia. Renault n'a plus de haut de gamme (il rebadge un modèle Samsung), plusieurs de ses modèles récents ont été des fiascos (Wind, Lattitude), sa gamme est vieillissante (Espace, Laguna), et si l'actualité - et le gouvernement - ont été particulièrement impitoyables à l'égard de la stratégie de PSA, Renault pourrait faire l'objet de critiques autrement plus acerbes s'il n'avait la perfusion Nissan et la béquille Dacia.

Rupture du contrat fordiste en place depuis un siècle dans l'industrie automobile

Rappelons à cet égard que par nature, la gamme Dacia (d'ailleurs désormais vendue sous la marque Renault dans plusieurs pays dont la Russie et le Brésil) ne peut pas être fabriquée en France. Elle requiert en effet un niveau de coûts bien trop faible pour satisfaire aux exigences de notre droit du travail. On voit ici poindre une rupture du contrat fordiste en place depuis un siècle dans l'industrie automobile. Jusqu'ici, il s'agissait de  payer suffisamment les ouvriers pour qu'ils puissent acheter les voitures qu'ils produisaient, ce qui assurait une base de clientèle et un juste partage de la valeur. Avec sa dilution dans Dacia, Renault nous plonge dans une autre logique : fabriquée par des Roumains ou des Marocains, elle est vendue à des Français qui bientôt ne toucheront même plus les salaires leur permettant de se la payer. Derrière la suppression des postes annoncés, c'est donc notre prospérité qui est en jeu, et nous n'aurons pas toujours le truchement d?une stratégie involontaire pour en réchapper.

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Commentaires 26
à écrit le 19/01/2013 à 19:48
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Ce manque de créativité de Renault et de tant d'autres grandes entreprises françaises est d'autant plus alarmant que ces mêmes entreprises ont massivement transféré leurs usines de production en Chine et ailleurs et entament désormais le transfert de...

à écrit le 19/01/2013 à 18:59
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Je me méfie des profs en stratégie .......

le 22/01/2013 à 9:01
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Bof ! Il doit avoir un conflit avec Renault... Ils n'ont pas dû le prendre pour consultant et il se venge en bavant dans la soupe !

à écrit le 19/01/2013 à 1:55
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Il n'y a aucune dilution dans dacia, renault a visé juste avec cette stratégie, si juste qu'aujourd'hui les constructeur et non des moindres (VW !) lorgne avec envie cet eldorado. C'est un choix supplémentaire que bien des conducteurs sont heureux de...

le 19/01/2013 à 7:21
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+1

le 19/01/2013 à 9:27
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Renault n'a pas "visé juste" avec Dacia, puisque ce n'était pas sa stratégie. Ce ne l'est devenu qu'après. C'est donc par "inadvertance" qu'ils ont maintenant cette bouée de sauvetage que d'autres constructeurs, vous avez raison, envisagent d'imiter ...

le 19/01/2013 à 14:03
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Oui, les grands patrons super intelligents et super diplômés de super écoles veulent vendre mais ne redistribuent pas (assez) la masse monétaire vers les consommateurs potentiels, leurs employés. Ben qu'ils vendent ailleurs et continuons à ne pas ach...

le 19/01/2013 à 17:34
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car il leur permet de rouler avec fiabilité dans un produit peu cher... c'est une blague notre sercrétaire en a acheter une au bout de 3 mois toute les garniture se casse la gueule, un feu s'est décolé et les pannes a répétition... perso je crois qu'...

à écrit le 19/01/2013 à 0:00
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couper dans les depenses et vous aurez de la rentabilité. ici encore, une meme strategie se met en oeuvre. les bouches sonts les ouvriés. Quel génie du management. Cost cost cost...kill kill kill

à écrit le 18/01/2013 à 23:20
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Cher Monsieur, il vaut mieux survivre par inadvertance que mourir, comme PSA, de sa Stratégie...

à écrit le 18/01/2013 à 19:39
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Le succès de Renault serait Nissan et donc les qualités de Super comptable de Ghosn. Pour ce qui est de la stratégie, c'est effectivement à pleurer si on relit les annonces successives de la dernière décennie: toujours à coté de la plaque , à tel poi...

le 19/01/2013 à 1:38
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renault bas de gamme par rapport à nissan ??? Pas du tout vous etes à côté de la plaque, le rapport qualité prix est bon, le confort est bon, la finiition vaut largement toyota et nissan et la fiabilité s'est considérablement améliorée depuis 10 ans ...

le 22/01/2013 à 9:05
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Tant mieux ! Il est plus que temps !

à écrit le 18/01/2013 à 17:20
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Un joli article, bien écrit, agréable à lire, mais superficiel, et qui ne débouche sur rien... Dommage. On pourrait attendre un peu plus d'un professeur de stratégie...

le 18/01/2013 à 18:46
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la bonne stratégie, si on a confiance dans le monde, est de développer l?électrique aujourd'hui pour les petits trajets comme pour aller au travail, et de lui associer un moteur thermique le moment venu, afin qu'on puisse rouler plus longtemps et par...

le 18/01/2013 à 23:41
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Très bonne tribune qui explique enfin le succès "involontaire" de Dacia, le fiasco du tout électrique et du partenariat Better Place (batterie quick drop) et attention à la conclusion "anti fordiste" qui montre que le Français de base ne pourra même ...

à écrit le 18/01/2013 à 17:07
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Rien compris, l'électrique tel qu'il est développé n'est pas viable : nous NE produisons pas assez d'électricité pour électrifier tout un parc automobile ne serait ce qu'à l'échelle d'une région ! (je ne raconte même pas si on prend l'IDF comme exemp...

le 18/01/2013 à 18:07
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Tout à fait exact, la voiture électrique semble être le Graal de gens totalement ignare en technologie.

le 18/01/2013 à 18:43
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comment voulez vous faire autrement alors que aujourd'hui si vous achetez une voiture essence type laguna ou espace vous allez payer 3500 de malus. Etez vous prêts a payer 3500 euros de malus pour rouler convenablement avec un essence et sans diesel....

le 18/01/2013 à 20:17
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Pour alimenter l'intégralité du parc automobile français reconvertie à l'éléctrique (38millions de voiture faisant 14000km par an chacune) il faudrait remplacer les 22 plus vieux réacteur par des EPR (ce qui sera fait, c'est pour ça qu'on en à dévelo...

le 18/01/2013 à 20:33
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RENAULT ne compte pas imposer l'électrique face au thermique...! ce n'est qu'une alternative...! et je trouve vraiment étrange que certaines personnes soient contre une alternative de plus au pétrole...! plus il y a d'alternative à une technologie, m...

le 18/01/2013 à 23:31
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@ Patriot: Le concessionnaire Renault est de sortie !

le 19/01/2013 à 1:43
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Les VE ont leur place à prendre et renault fut souvent visionnaire dans son histoire. Pour l'heure si je devais acheter un deuxième voitutre j'achèterais une VE car elle pourrait assurer plus de 70% de mes déplacement quotidiens sans bruit sans pollu...

le 21/01/2013 à 13:43
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Fluence VE a été développé non pas pour des Français mais pour les Israéliens, à leur demande, qui ne souhaitent pas être dépendants des producteurs de pétroles... Renault a simplement proposé ce véhicule à ceux qui le souhaitent mais il savait très...

à écrit le 18/01/2013 à 13:46
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J'ai du mal à comprendre comment on peut dire que Dacia n'était pas dans la stratégie Renault ! Leur succès en Europe de l'ouest n'était pas prévu à l'origine. Si à l'époque, Renault avait présenté un projet de voiture low cost pour l'Europe de l'oue...

le 18/01/2013 à 16:50
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..et Renault est coutumier du fait : lors du lancement de la Twingo, une des grandes interrogations des clients était de savoir si à ce prix là, on pouvait vraiment avoir une vraie voiture ..ça s'appelle l'effet Lemon. plus tard, on a même appris q...

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