L'Allemagne n'est rien sans l'Europe

Au lendemain de la victoire d'Angela Merkel aux élections allemandes, son ministre des Finances, Wolfang Schäuble voit l'Europe se redresser grâce à l'austérité. L'économiste Michel Santi ne partage pas cet avis.
Michel Santi. DR

"En dépit de ce que l'on veut faire croire à propos de notre gestion de la crise européenne, nous vivons dans le monde réel et non dans un univers parallèle où les principes de l'économie ne s'appliquent plus." C'est en ces termes que s'est exprimé la semaine passée le ministre des Finances allemand, Wolfgang Schäuble, dans une tribune rédigée pour le Financial Times  dont le titre laisse pantois : "Ignorez les mauvaises augures, l'Europe est en train d'être réparée !"

Passant outre la dégradation des déficits publics dans l'ensemble des pays européens périphériques, feignant d'oublier l'explosion du chômage (dont celui, dramatique, des jeunes) dans l'ensemble de l'Union, Schäuble se félicite de l' "austérité européenne réussie". Et cite, pour illustrer son propos, les exemples de la Grande-Bretagne des années 1980, de la Suède du début des années 1990, de l'Asie du Sud-Est de la fin des années 1990, et, bien sûr, de son propre pays, l'Allemagne des années 2003 à 2005. Autant de pays et de régions qui ont, en leur temps, adopté avec succès des mesures de rigueur extrêmes et qui ont ainsi pu faire redémarrer leurs économies respectives.

L'austérité au mauvais moment
 
Recettes qui ne peuvent évidemment pas s'appliquer au contexte européen actuel qui souffre tout d'abord de ne pas pouvoir (ou vouloir) dévaluer l'euro, alors même que c'est la dépréciation substantielle de leur monnaie qui a principalement autorisé le redressement de ces nations en crise, grâce au levier des exportations. Par ailleurs, Monsieur Schäuble passe sous silence la belle croissance moyenne des pays de l'OCDE entre 1985 et 2007 qui se situait entre 2,25% et 3,75%, comme il omet bien sûr de mentionner que ce n'est pas le 0,4 % de croissance moyenne de cette même OCDE qui parviendra, aujourd'hui, à avoir un quelconque effet d'entraînement sur une Union européenne décimée.

Dans une telle conjoncture, il est aisé de comprendre pourquoi Schäuble et ses collègues du gouvernement allemand ont imposé les "dévaluations intérieures" européennes : faute de pouvoir bénéficier d'un contexte général de croissance solide, et en l'absence de toute volonté politique de soulager un peu les pays européens sinistrés en exerçant une pression baissière sur l'euro.
 
De fait, l'austérité actuelle ne pouvait être mise en place à un plus mauvais moment car, pour se redresser, les nations périphériques ne pourront compter que sur elles-mêmes (et sur la souffrance de leur population), tandis que l'Allemagne réformatrice du milieu des années 2000 s'en était sortie grâce à un climat global très favorable à ses exportations.

La productivité allemande n'est qu'un mythe

S'enfonçant davantage dans son déni, Schäuble s'applique scrupuleusement dans cet article à porter aux nues le modèle allemand, allant même affirmer que "la demande intérieure est le moteur principal de la croissance allemande". Et il importe peu, après tout, s'il est pris en flagrant délit de mensonge car toutes les statistiques et analyses de l'Eurosat le contredisent. La réalité étant nettement moins flatteuse pour les dirigeants allemands - et autrement plus rude pour les travailleurs de ce pays - puisque les excédents allemands sont bien plus redevables à une consommation intérieure anémique et à des salaires misérables qu'à des gains en productivité.

De fait, selon une étude du très sérieux  European council on foreign relations, la croissance de la productivité de l'Allemagne - tant admirée ces dix dernières années - n'est qu'un mythe, car elle est dépassée par la France, par l'Irlande et par le Portugal ! En outre, et contrairement aux allégations de M. Schäuble dans le FT, les réformes de 2003-2005 ont sérieusement entamé les budgets consacrés à l'investissement (public et privé), aux dépenses en recherche et développement et à l'éducation.

Germanisation de l'Europe 

Et pour cause puisqu'elles ont eu pour effet de créer une classe à part entière de travailleurs pauvres, ou low-cost. En effet, Eurostat démontre que le taux de pauvreté a augmenté de 3,6% en Allemagne, soit quatre fois plus qu'en France ! Qu'à cela ne tienne : l'entreprise de germanisation de l'Europe se poursuit et, à cet égard, n'oublions pas sa philosophie qui veut que le travail ne soit qu'une variable au service du patronat. Une variable - voire une simple denrée -  dont le prix se doit de baisser en cas de ralentissement économique, c'est-à-dire en cas de moindre demande de cette denrée.

Dans ce continent européen germanisé, le travailleur et le salarié devront si nécessaire réduire leurs prétentions afin de ne pas compliquer la vie des entreprises, déjà suffisamment perturbées par les syndicats, par les lois sur le travail, par les prestations sociales et par les salaires minimum… Il conviendra donc au salaire d'être ajusté afin de ne pas entamer les profits des entreprises, ni affecter la balance commerciale. Si ce n'est que la transformation de l'Europe selon les préceptes allemands aura pour conséquence immédiate de briser cette dynamique allemande !

Les exportations ont sauvé l'Allemagne

C'est effectivement parce que la rigueur et les coupes salariales n'ont été mises en place que dans un seul pays qu'elles ont assuré le succès de l'économie allemande. C'est les exportations qui ont sauvé l'Allemagne de la spirale déflationniste qui aurait normalement dû être induite par la dégradation notoire de sa consommation suite aux réductions salariales. A cet égard, ne nous méprenons pas sur la signification des excédents allemands, qui sont tout bonnement le pendant des excès de dépenses des pays d'Europe périphérique. Le dumping salarial allemand s'est donc réalisé aux frais du reste de l'Europe. Les exportations allemandes n'ont pu prospérer que sur les "cadavres" espagnols ou portugais. C'est le manque de réaction de ces nations face à l'agressivité de l'Allemagne qui est la clé du succès de ce pays. C'est leur passivité qui a permis à l'Allemagne de contrer l'effet déflationniste potentiellement dévastateur de ses mini jobs et de ses autres travailleurs "Hartz" miséreux.

Un succès impossible sans Europe

Les succès allemands n'ont donc pu se réaliser qu'à la faveur de l'appétit de consommation de la périphérie européenne et, à la limite, pourrait-on aller jusqu'à dire : sans Grèce, pas d'Allemagne ! Comment ce pays peut-il prétendre aujourd'hui exporter son modèle vers le reste de l'Europe ? Une Union européenne "germanifiée" cesserait dès lors d'acheter des biens allemands… à moins que ce pays ne se décide dès lors à exporter vers la planète Mars ! Boutade de Paul Krugman qui revient à dire que l'Allemagne devra être moins allemande si son désir est que le continent européen, lui, devienne plus allemand. M. Schäuble doit impérativement émerger de son monde parallèle…

*Michel Santi, économiste franco-suisse, conseille des banques centrales de pays émergents. Il est membre du World Economic Forum, de l'IFRI et est membre de l'O.N.G. « Finance Watch ». Viennent de paraître : une édition étoffée et mise à jour des "Splendeurs et misères du libéralisme" avec une préface de Patrick Artus et, en anglais, "Capitalism without conscience".
 

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Commentaires 22
à écrit le 24/09/2013 à 2:44
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Putain Michel ! C'est quoi cette photo ? Tu viens de te lever ou quoi ?

à écrit le 23/09/2013 à 21:00
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John Galt a écrit : "En quoi la valeur d'échange d'une monnaie influence-t-elle la compétitivité d'un pays ? Si vous ne faites pas le lien entre valeur de la monnaie, la balance du commerce extérieur qui s'effondre à cause de cette valeur comparée et...

à écrit le 23/09/2013 à 19:04
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Incroyable cette analyse pleine de parti pris anti allemand et completement fausse.Les exportations allemandes ne doivent rien à leur moderation salariale ;Quand on achete des Mercedes ,des BMW ,du Bosch,Mielle du Gardena roi de la jardinerie de l'AE...

à écrit le 23/09/2013 à 17:19
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olus de 30 ans de présence en Allemagne, dans le Land le plus riche, j'apprécie fortement les commentaires des lecteurs qui, pour certains, n'ont jamais fait de séjour professionel dans le pays de Goethe. Oui il y une paupérisation de la société, oui...

à écrit le 23/09/2013 à 17:04
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Vivre à crédit de façon perpétuelle n'a jamais eu un autre résultat que le surendettement et la faillite. A contrario avoir des finances à l'équilibre permet une croissance saine et durable : Ex Allemagne. Le passage de l'un à l'autre passe par une p...

à écrit le 23/09/2013 à 16:36
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Un paramètre essentiel a été oublié, ce qui est d'autant plus inquiétant sur les éternels errements des raisonnements français. L'Euro est l'autre nom du Deutschmark. Comment ne pas être frappé de cette évidence ? Les allemands ont réussi ce tour de...

à écrit le 23/09/2013 à 15:42
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A l'absurdité du raisonnement s'ajoute l'aigreur de la defaite, pas joli joli. Non M SANTI, la macroéconomie ne consiste pas a dire le contraire de l'evidence au nom d'idée soit disant sociales.

à écrit le 23/09/2013 à 15:24
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L'Allemagne n'est rien sans l'Europe, la Suisse n'est rien sans l'Europe, les US et la Russie, etc. C'est simplement dire que chacun n'est rien sans son avantage comparatif et ses principaux clients. Chacun peut vivre isolé, en consommant ce qu'il p...

à écrit le 23/09/2013 à 15:17
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effectivement quand on parle d'en bas, mieux vaut cultiver les paradoxes ...

à écrit le 23/09/2013 à 15:04
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Pour comprendre l'economie, c'est tres simple, pas besoin d'ecole de commerce : Pour une economie florissante, il faut que les revenus soit superieur aux depenses (logique). Que fait l'Allemagne ? Elle veut reduire les depenses pour que les profit...

à écrit le 23/09/2013 à 15:03
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Excellent article. Rien à ajouter, Schauble, Merkel, la Bundesbank, la BIS sont autant de d'ignares complets de la macro-économie, ou -pire- de cyniques qui s'évertuent à détruire l'économie de leurs voisins. Tous les économistes sérieux (ceux qui on...

à écrit le 23/09/2013 à 14:51
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L'analyse est juste mais j'ajouterais que si les produits allemands se vendent, c'est aussi parce qu'ils ont une forte valeur ajoutée et qu'ils sont le fruit d'un certain génie industriel. Baisser les salaires comme ils l'ont fait n'était nullement n...

à écrit le 23/09/2013 à 14:44
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Non c'est l'inverse ! c'est l'europe qui aurati explosé sans le soutien de l'Allemagne Trop fort ce Santi

à écrit le 23/09/2013 à 14:05
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Et la Chine, le Bengladesh, le Cambodge, etc ? Même principe : des pays avec des ouvriers payés moins cher. M Santi découvre les effets de la mondialisation de l'économie face à des marchés locaux et essaie de faire croire que ça se résume à de mécha...

à écrit le 23/09/2013 à 14:02
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Cet article reflète très bien le petit niveau des écoles de commerces en France ... Tragique ...

à écrit le 23/09/2013 à 13:53
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Un texte demandé par l'actuel gouvernement socialiste. Plein de mensonges et on voit que le mec argumente comme autrefois le bloque soviétique a argumenté sur l'Ouest .... avant de disparaître ....

à écrit le 23/09/2013 à 13:42
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C'est plutot l'Europe qui n'est rien sans l'allemagne.

à écrit le 23/09/2013 à 13:27
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Si la victoire de Merkel ne m'étonne pas, M. Santi a lui aussi manqué une bonne occasion de me surprendre.

à écrit le 23/09/2013 à 13:16
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Et la France???? elle fait peur à Poutine, Obama demande quotidiennement conseil à F. Hollande?

à écrit le 23/09/2013 à 12:41
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éléments de langage classiquement marxiste : vous n'êtes rien sans votre voisin, tout ce que vous avez, ce n'est pas grace à vos efforts, vous le devez toujours à quelqu'un d'autres, etc etc etc ... pour en arriver à la conclusion logique : le libre ...

à écrit le 23/09/2013 à 12:18
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... et l?Europe n'est rien sans l?Allemagne !

à écrit le 23/09/2013 à 12:06
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C'est faux l'Allemagne exportait plus sans l'Euro qu'elle ne le fait maintenant. C'est une légende car l'exemple des autres pays de la communauté qui n'ont pas l'Euro ont tous en générale une économie meilleurs avec moins de dettes tout en ayant gard...

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