Derrière le « Great Reset » complotiste, la question démocratique

La thèse d'une conspiration des élites contre les peuples n'est pas vraiment nouvelle. Avec son projet de "Great Reset", le fondateur du World Economic Forum alimente les fantasmes complotistes. Alors même qu'à bien lire Klaus Schwab, il s'inspire des théoriciens de la décroissance ! Et annonce la fin du néolibéralisme... Non sans arrière-pensées et sans soulever d'autres débats politiques.
(Crédits : Reuters)

« Great Reset ». L'expression a parcouru les réseaux sociaux comme une trainée de poudre. Si l'on en croit le documentaire complotiste Hold Up, ce projet serait bien la preuve d'une conspiration en cours organisée par les élites mondiales contre les peuples du monde entier à la faveur du Covid-19. La preuve ? On doit ce projet de « grande réinitialisation » (en français) à Klaus Schwab, fondateur du World Economic Forum, qui se tient chaque année à Davos depuis maintenant cinquante ans...

Cet ingénieur et économiste allemand en a ainsi fait le titre de son dernier ouvrage, Covid-19. The Great Reset (co-écrit avec le consultant français Thierry Malleret). Lors du récent « Forum des 100 », organisée récemment par le quotidien suisse Le Temps, Schwab était d'ailleurs invité à se pencher sur cette difficile question : « Post-covid: la technologie peut-elle nous sauver ? ». Bref, tous les ingrédients sont réunis pour que la mayonnaise prenne chez les tenants du grand complot mondial. Finalement, le « great reset » ne serait que le énième symbole d'une « gouvernance mondiale », tant rêvée par les uns, tant haïe et fantasmée par les autres, qui n'a pourtant guère montré son efficacité (et son effectivité) depuis une cinquantaine d'années.

Quand Davos se prend pour ATTAC

C'est justement cet « échec de la gouvernance mondiale » que souhaite questionner Schwab à travers son ouvrage. Après des années de célébration du marché, de la finance, de l'hyper profit et de l'hyper concurrence, le père de Davos prend manifestement un tournant radical, que ne renieraient pas les militants altermondialistes de la première heure, telle l'association ATTAC (Association pour la taxation des transactions financières pour l'aide aux citoyens). Dans ce véritable exercice de prospective (et donc de contrition), Schwab s'inspire littéralement du rapport décroissant du Club de Rome de 1972, ou des travaux de l'ONU sur l'IDH (Indice de Développement Humain), censés répondre aux limites d'une vision économique uniquement fondée sur le PIB : « Dans l'ère post-pandémique, selon les projections actuelles, la nouvelle "normalité" économique pourrait être caractérisée par une croissance beaucoup faible que dans les décennies passées [...] », prévoit les auteurs.

Dans de telles conditions, alors qu'une croissance économique plus faible semble presque certaine, beaucoup de gens peuvent se demander si cette "obsession" de la croissance est utile, en concluant qu'il n'est pas logique de poursuivre un objectif de croissance du PIB toujours plus élevé ». Et de constater que « la dépendance excessive des décideurs politiques à l'égard du PIB comme indicateur de la prospérité économique a conduit à l'épuisement actuel des ressources naturelles et sociales » et que « l'augmentation du PIB ne garantit pas l'amélioration du niveau de vie et du bien-être social ». Conclusion des auteurs suite à cette démonstration ? Il s'agit désormais de « soutenir l'activité économique future à un niveau correspondant à la satisfaction de nos besoins matériels tout en respectant les limites de notre planète ». Davos, EELV, même combat ?

Redistribuer le capital et atteindre le zéro carbone

Mais ce n'est pas tout. Les auteurs annoncent que « l'ère post-pandémique inaugurera une période de redistribution massive des richesses, des riches vers les pauvres, et du du capital vers le travail » et que « la Covid-19 sonnera probablement le glas du néolibéralisme, un corpus d'idées et de politiques que l'on peut librement définir comme privilégiant la concurrence à la solidarité, la destruction créative à l'intervention gouvernementale et la croissance économique au bien être social. Depuis quelques années, la doctrine néolibérale tend à perdre en puissance, de nombreux commentateurs, chefs d'entreprise et décideurs politiques dénonçant de plus en plus son "fétichisme" du marché, mais la covid-19 lui a porté le coup de grâce ». D'où la diffusion de plus en plus importante aux Etats-Unis des idées d'un Bernie Sanders qui propose tout bonnement aux Américains, toujours durement touchés par la crise financière de 2008, de s'inspirer du modèle européen de redistribution et d'intervention étatique, comme l'avait fait en son temps un certain Franklin Delano Roosevelt avec son New Deal.

Si la Covid-19 constitue un défi pour la société, Klaus Schwab rappelle également celui du changement climatique. «On doit appliquer la durabilité, par des solutions globales et locales. Tout ce que l'on peut faire au niveau local, il faut le faire. Il faut également plus de collaboration entre les gouvernements.» Le forum de Davos travaille ainsi avec des compagnies qui visent la neutralité carbone d'ici à 2050, tandis que ses équipes développent des plans d'action pour l'Arctique.

La normalité est "brisée"

Là où le bât blesse dans cette démonstration, c'est que la question politique, et pour ainsi dire démocratique, n'est jamais posée. Les auteurs assènent leurs solutions (tout aussi généreuses soient elles) comme autant de nécessités imposées par l'adversité : « Beaucoup d'entre nous se demandent quand les choses reviendront à la normale. Pour faire court, la réponse est : jamais. La normalité d'avant la crise est « brisée » et rien ne nous y ramènera, car la pandémie de coronavirus marque un point d'inflexion fondamental  dans notre trajectoire mondiale ».

Bref, comme avec le néolibéralisme que Schwab et ses amis portaient aux nues il n'y a pas si longtemps, les peuples sont comme absents de la réflexion. Le slogan écolo « penser global, agir local » a déjà maintes fois montré ses insuffisances politiques. La crise des Gilets jaunes a souligné à quel point il était urgent que nos sociétés démocratiques retisse un lien démocratique. Et ce n'est pas en utilisant les outils du néolibéralisme (c'est à dire l'autorité et l'injonction) que le « Great Reset » pourra voir le jour... À moins de braquer encore un peu plus les peuples face à leurs élites. Autant dire qu'il est urgent de proposer un New deal démocratique à tous les échelons.

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Commentaires 10
à écrit le 04/01/2021 à 10:24
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"théories conspirationnistes"? "fantasme"? à vous d'en juger (extraits de COVID-19: Le Grand Reset - de Klaus Schwab et Thierry Mailleret): « La gouvernance mondiale est au cœur de toutes les autres questions. » « Beaucoup d’entre nous...

à écrit le 30/11/2020 à 10:12
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Le "Great Reset" sera-t-il un retour aux heures les plus noirs de notre passé ? Ce qui est frappant est la similitude du contexte d'émergence du nouveau président français avec celle d'un célèbre dictateur. Après une grave crise, jeune et politiqueme...

le 01/12/2020 à 17:36
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C'est bien vrai: à votre place je m'inquiéterai...

le 03/12/2020 à 8:34
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Ouf apparemment le droit de crétinerie est préservé! Vous avez le bonjour de Kim, Vlad et Xi qui se marrent bien en lisant votre commentaire.

le 04/12/2020 à 11:20
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Le droit de crétinerie risque de bientôt disparaître car d'après notre bon président, la parole de chaque citoyen ne se vaut pas (seule celle des "élites" compterait)... ce qui est contraire à la démocratie ou chaque voix compte de manière égale. Il ...

à écrit le 30/11/2020 à 1:34
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Allez demander aux chinois, ce qu'ils en pensent .

le 01/12/2020 à 12:45
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Les chinois, c'est comme nous, il y a des paysans, des ouvriers, des fonctionnaires... et des super riches. On demande auxquels ?

à écrit le 28/11/2020 à 19:01
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mort au neoliberalisme! tout le monde en camp, ca au moins c'est pas liberal et vive le communisme, ya pas du tout eu de pollution regardez, le lac baikal,, il etait tres bien, pas pollue pour deux sous il n'y avait que des nazis capitalistes com...

à écrit le 28/11/2020 à 10:03
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Complotisme et anti complotisme sont les deux faces d'une même pièce, ne perdez pas de temps avec ça non plus, c'est fait pour. Il n'y a pas de complot il n'y a qu'une convergence d'intérêts des propriétaires de capitaux et d'outils de production...

à écrit le 28/11/2020 à 2:45
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il est évident que toutes nos "élites" ont tout fait pour nous faire croire à ce grand reset : leur changement permanent de position : leur décision concernant les vaccins etc..... et maintenant certains disent que les chinois voudraient faire une go...

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