« Great Reset ». L'expression a parcouru les réseaux sociaux comme une trainée de poudre. Si l'on en croit le documentaire complotiste Hold Up, ce projet serait bien la preuve d'une conspiration en cours organisée par les élites mondiales contre les peuples du monde entier à la faveur du Covid-19. La preuve ? On doit ce projet de « grande réinitialisation » (en français) à Klaus Schwab, fondateur du World Economic Forum, qui se tient chaque année à Davos depuis maintenant cinquante ans...
Cet ingénieur et économiste allemand en a ainsi fait le titre de son dernier ouvrage, Covid-19. The Great Reset (co-écrit avec le consultant français Thierry Malleret). Lors du récent « Forum des 100 », organisée récemment par le quotidien suisse Le Temps, Schwab était d'ailleurs invité à se pencher sur cette difficile question : « Post-covid: la technologie peut-elle nous sauver ? ». Bref, tous les ingrédients sont réunis pour que la mayonnaise prenne chez les tenants du grand complot mondial. Finalement, le « great reset » ne serait que le énième symbole d'une « gouvernance mondiale », tant rêvée par les uns, tant haïe et fantasmée par les autres, qui n'a pourtant guère montré son efficacité (et son effectivité) depuis une cinquantaine d'années.
Quand Davos se prend pour ATTAC
C'est justement cet « échec de la gouvernance mondiale » que souhaite questionner Schwab à travers son ouvrage. Après des années de célébration du marché, de la finance, de l'hyper profit et de l'hyper concurrence, le père de Davos prend manifestement un tournant radical, que ne renieraient pas les militants altermondialistes de la première heure, telle l'association ATTAC (Association pour la taxation des transactions financières pour l'aide aux citoyens). Dans ce véritable exercice de prospective (et donc de contrition), Schwab s'inspire littéralement du rapport décroissant du Club de Rome de 1972, ou des travaux de l'ONU sur l'IDH (Indice de Développement Humain), censés répondre aux limites d'une vision économique uniquement fondée sur le PIB : « Dans l'ère post-pandémique, selon les projections actuelles, la nouvelle "normalité" économique pourrait être caractérisée par une croissance beaucoup faible que dans les décennies passées [...] », prévoit les auteurs.
Dans de telles conditions, alors qu'une croissance économique plus faible semble presque certaine, beaucoup de gens peuvent se demander si cette "obsession" de la croissance est utile, en concluant qu'il n'est pas logique de poursuivre un objectif de croissance du PIB toujours plus élevé ». Et de constater que « la dépendance excessive des décideurs politiques à l'égard du PIB comme indicateur de la prospérité économique a conduit à l'épuisement actuel des ressources naturelles et sociales » et que « l'augmentation du PIB ne garantit pas l'amélioration du niveau de vie et du bien-être social ». Conclusion des auteurs suite à cette démonstration ? Il s'agit désormais de « soutenir l'activité économique future à un niveau correspondant à la satisfaction de nos besoins matériels tout en respectant les limites de notre planète ». Davos, EELV, même combat ?
Redistribuer le capital et atteindre le zéro carbone
Mais ce n'est pas tout. Les auteurs annoncent que « l'ère post-pandémique inaugurera une période de redistribution massive des richesses, des riches vers les pauvres, et du du capital vers le travail » et que « la Covid-19 sonnera probablement le glas du néolibéralisme, un corpus d'idées et de politiques que l'on peut librement définir comme privilégiant la concurrence à la solidarité, la destruction créative à l'intervention gouvernementale et la croissance économique au bien être social. Depuis quelques années, la doctrine néolibérale tend à perdre en puissance, de nombreux commentateurs, chefs d'entreprise et décideurs politiques dénonçant de plus en plus son "fétichisme" du marché, mais la covid-19 lui a porté le coup de grâce ». D'où la diffusion de plus en plus importante aux Etats-Unis des idées d'un Bernie Sanders qui propose tout bonnement aux Américains, toujours durement touchés par la crise financière de 2008, de s'inspirer du modèle européen de redistribution et d'intervention étatique, comme l'avait fait en son temps un certain Franklin Delano Roosevelt avec son New Deal.
Si la Covid-19 constitue un défi pour la société, Klaus Schwab rappelle également celui du changement climatique. «On doit appliquer la durabilité, par des solutions globales et locales. Tout ce que l'on peut faire au niveau local, il faut le faire. Il faut également plus de collaboration entre les gouvernements.» Le forum de Davos travaille ainsi avec des compagnies qui visent la neutralité carbone d'ici à 2050, tandis que ses équipes développent des plans d'action pour l'Arctique.
La normalité est "brisée"
Là où le bât blesse dans cette démonstration, c'est que la question politique, et pour ainsi dire démocratique, n'est jamais posée. Les auteurs assènent leurs solutions (tout aussi généreuses soient elles) comme autant de nécessités imposées par l'adversité : « Beaucoup d'entre nous se demandent quand les choses reviendront à la normale. Pour faire court, la réponse est : jamais. La normalité d'avant la crise est « brisée » et rien ne nous y ramènera, car la pandémie de coronavirus marque un point d'inflexion fondamental dans notre trajectoire mondiale ».
Bref, comme avec le néolibéralisme que Schwab et ses amis portaient aux nues il n'y a pas si longtemps, les peuples sont comme absents de la réflexion. Le slogan écolo « penser global, agir local » a déjà maintes fois montré ses insuffisances politiques. La crise des Gilets jaunes a souligné à quel point il était urgent que nos sociétés démocratiques retisse un lien démocratique. Et ce n'est pas en utilisant les outils du néolibéralisme (c'est à dire l'autorité et l'injonction) que le « Great Reset » pourra voir le jour... À moins de braquer encore un peu plus les peuples face à leurs élites. Autant dire qu'il est urgent de proposer un New deal démocratique à tous les échelons.
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