Éloge de l'hybridation : quand le monde du travail sera vraiment hybride…

CHRONIQUE - « Est hybride ce qui est mélangé, hétéroclite, contradictoire. Autrement dit, c’est le mariage improbable, c’est tout ce qui n’entre pas dans nos cases ! » Et si l’hybridation était la grande tendance à venir ? Pour T La Revue, Gabrielle Halpern* analyse les métamorphoses de notre société. (Cette chronique est issue de T La Revue de La Tribune - N°9 "Travailler, est-ce bien raisonnable?", actuellement en kiosque)
(Crédits : Frédérique Touitou)

Tout le monde a vécu cette expérience : participer à une réunion et en sortir en éprouvant la sensation que les participants ne se sont pas rencontrés ! En effet, chacun repart de la réunion comme il y était entré, il n'y a pas eu de métamorphose ; la rencontre n'a pas eu lieu. Cela arrive lorsque chacun reste dans sa temporalité, son langage, ses représentations et ses intérêts, sans véritable pas de côté hors de soi. C'est ce qui se joue dans une réunion entre le directeur marketing, le directeur juridique et le directeur de la recherche ou encore du startuper au PDG de grand groupe, en passant par le scientifique, l'administratif et le politique : c'est la tour de Babel à tous les étages ! Le problème est le même en présentiel et en distanciel, au bureau ou en télétravail... La question est donc : comment réussir l'hybridation dans le monde du travail ?

Il y a d'abord la question de la formation professionnelle. Elias Canetti disait que, puisque « la vie est un éternel rétrécissement », il n'y a qu'une seule manière d'y résister, en élargissant sans cesse la base, c'est-à-dire en « jetant son ancre le plus loin possible » vers ce qui est radicalement différent de soi... C'est cela, l'hybridation ! Plutôt que de se former systématiquement dans des champs correspondant à son métier, il faut aller vers d'autres disciplines pour acquérir des compétences différentes. C'est ainsi que les juristes se formeront au commerce ou que les data scientists apprendront la communication.

Puis, il y a la question du recrutement. Au nom de la sacro-sainte « culture d'entreprise », les entreprises sont souvent frileuses à l'idée de recruter des centaures aux formations, compétences et parcours hétéroclites, alors qu'ils sont des joyaux, puisqu'ils savent passer d'un monde à un autre et même avoir un pied dans plusieurs mondes, manient divers jargons et ne sont pas emprisonnés dans une identité professionnelle. Ce sont des traducteurs, des métisseurs, des chevilles ouvrières entre des métiers/directions différents, capables de construire des ponts entre ces mondes qui ont du mal à dialoguer. Il faut recruter des juristes-développeurs, des commerciaux-philosophes, des managers-designers, des ingénieurs-artistes !

Cette hybridation remet en question la théorie de la division du travail. Adam Smith disait qu'elle augmente la productivité. Platon, des siècles avant lui, disait que l'« on fait mieux une chose lorsque chacun ne fait qu'une seule chose ». Sauf que ce que l'on gagne en productivité, on le perd en partage d'informations, en facilité à se coordonner et surtout on perd le sens de son travail. Il va donc falloir repenser la division du travail en... hybridation du travail !

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*Docteure en philosophie, chercheuse associée à l'École normale supérieure, Gabrielle Halpern a travaillé au sein de différents cabinets ministériels, avant de participer au développement de start-ups et de conseiller des entreprises et des institutions publiques.  Elle est l'auteur de l'essai Tous centaures ! Éloge de l'hybridation (Le Pommier, 2020) et de la bande dessinée La fable du centaure (HumenSciences, 2022).

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Article issu de T La Revue n°9 "Travailler, est-ce bien raisonnable?" - Actuellement en kiosque et disponible sur kiosque.latribune.fr/t-la-revue

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Commentaires 3
à écrit le 23/05/2022 à 9:58
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Les salariés hybrides sont rejetés par leurs collègues et leur hiérarchie qui ne les comprennent pas. Ils sont perçu comme des personnes ayant trop de pouvoir par toutes les relations qu'ils entretiennent dans l'entreprise. Et comme les salariés sont...

à écrit le 23/05/2022 à 8:37
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La Corse* attend depuis deja longtemps des bateaux hybrids ... , ... les anciens navires puent une atmosphere deja bien chargee ... ! . ... Les expert$ gooolois le savent mais regardent ailleur$ ... . VERGOGNA !!!!! . AFF ISS...

à écrit le 22/05/2022 à 16:01
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Il y a du retard, nous sommes déjà des hybrides insoupçonables!

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