La France doit être au rendez-vous du nouvel âge spatial

OPINIONS. Alors que les Américains semblent les grands gagnants de la révolution à l'accès à l'espace, observée depuis une dizaine d'années, les politiques spatiales française et européenne sont enlisées dans une gouvernance et une complexité néfastes. Jean-Baptiste Djebbari, ancien ministre des transports et administrateur d'e-space et Michel Friedling, ancien général et premier Commandant de l'Espace de 2019 à 2022, cofondateur et dirigeant de la spacetech Look Up Space, expliquent pourquoi la création d'un Conseil National de l'Espace permettrait d'élaborer une politique nationale ambitieuse.
Jean-Baptiste Djebbari, ancien ministre des transports (2019-2022), administrateur d'e-space, et Michel Friedling, ancien général et premier Commandant de l'Espace de 2019 à 2022, cofondateur et dirigeant de la spacetech Look Up Space.
Jean-Baptiste Djebbari, ancien ministre des transports (2019-2022), administrateur d'e-space, et Michel Friedling, ancien général et premier Commandant de l'Espace de 2019 à 2022, cofondateur et dirigeant de la spacetech Look Up Space. (Crédits : DR)

Thomas Pesquet est une des personnalités préférées des Français mais les enjeux de l'espace sont peu connus des Français alors que son rôle essentiel ne cesse de croître, dans leur vie quotidienne, pour leur sécurité, pour l'économie ou pour l'exercice de notre souveraineté. L'espace permet non seulement de créer des emplois hautement qualifiés dans l'industrie spatiale, mais fournit de très nombreux services dans le transport, la logistique, l'agriculture, la finance, la santé et les communications. Plus d'un million d'emplois dépendent des services de positionnement par satellite au sein de l'UE et plus de 10% de son PIB dépendent de services spatiaux. Grâce à l'espace, nous comprenons mieux la Terre et l'univers, et nous disposons des outils de mesure pour répondre aux grands enjeux climatiques. L'accès à l'espace et son utilisation constituent en conséquence pour la France et l'Europe un intérêt stratégique et un enjeu de souveraineté, à l'heure où la compétition pour la domination spatiale entre Etats n'a jamais été aussi vive.

L'accès à l'espace connaît une révolution

Or, depuis une dizaine d'années, nous assistons à un bouleversement radical : les activités spatiales sont plus nombreuses, les acteurs plus variés, plus audacieux, plus agiles. Les méga-constellations en orbite basse se développent à l'instar de Starlink d'Elon Musk. Elles concurrencent les opérateurs traditionnels et deviennent un instrument politique comme l'a démontré le rôle joué par Starlink dans le conflit en Ukraine. L'accès à l'espace connaît une révolution : SpaceX utilise des lanceurs réutilisables depuis 2015 et a lancé 20 fois plus qu'Ariane Espace en 2022, tandis que plus de 300 startups dans le monde ambitionnent de développer des lanceurs et que la compétition intra-européenne est devenue la norme, là où la concentration des efforts devrait prévaloir.

Nous sommes en situation de disparition gravitaire

Les Américains semblent aujourd'hui être les grands gagnants de cette révolution qu'ils ont initiée, articulant volontarisme politique et soutien d'un secteur privé innovant devenu incontournable, tandis que la Chine promeut son industrie spatiale à l'aide de technologies désormais proches des standards occidentaux, de prix agressifs et de dispositifs financiers attractifs pour les pays émergents. Et à l'heure où l'Europe s'interroge sur le vol habité, aux Etats-Unis, au moins trois sociétés privées développent des stations spatiales orbitales avec le soutien de fonds publics et de la NASA, et les lanceurs super lourds, destinés à établir des infrastructures en orbite terrestre ou lunaire, commencent leurs essais. Malgré nos atouts incontestables et une réelle volonté politique, malgré la naissance du New Space en France en France, malgré l'émergence timide de nouveaux acteurs, nous sommes en situation de disparition gravitaire.

Le CNES est sous la tutelle de trois ministères

Or la France a toujours été une nation à l'avant-garde dans le domaine spatial et leader en Europe. Elle peut le rester si elle réagit vigoureusement. La volonté politique est là, avec la création du Commandement de l'Espace en 2019, la réforme du CNES en 2020 et le volet Espace du plan France 2030. Mais les politiques spatiales française et européenne sont enlisées une gouvernance et une complexité néfastes. A titre d'exemple, le principe du retour géographique en Europe accorde à État contributeur au programme d'Ariane - si modeste soit-il - de se voir confier la réalisation d'une partie de la fusée, ce qui alourdit les coûts et génère de la complexité, là où, à l'inverse, l'intégration verticale a fait le succès de SpaceX. En France, le CNES est sous la tutelle de trois ministères et il n'existe pas d'instance interministérielle permanente dédiée à l'espace, capable de proposer une politique spatiale nationale et de s'assurer de sa mise en œuvre.

Les Etats-Unis ont pourtant démontré l'intérêt d'élaborer et de piloter une politique spatiale de manière globale. Le National Space Council, sous l'autorité du Vice-Président, est l'organe permanent qui veille à ce que les Américains tirent le meilleur parti des opportunités du secteur et restent leaders en la matière. Cet organe a émis sept directives de politique spatiale depuis 2017 et donné une impulsion vigoureuse à la politique spatiale américaine en replaçant le gouvernement fédéral au centre du jeu, pas seulement pour réguler mais pour libérer les énergies. Au Royaume-Uni comme au Japon, des organismes équivalents, sous le contrôle du Premier Ministre, exercent des responsabilités similaires.

Viser la Lune

La France a l'ardente obligation d'être un acteur majeur de la troisième ère spatiale. La création d'un Conseil National de l'Espace nous permettrait d'élaborer collectivement, et au plus haut niveau, une politique nationale ambitieuse couvrant tous les volets (recherche scientifique, talents, défense, industrie et innovation, vol habité, exploration lointaine, infrastructures spatiales, etc.) et d'être plus radicalement efficaces. Il en va de la maitrise des technologies - gage de prospérité - et donc de notre puissance. Culturellement, notre mue doit s'opérer : voir loin et agir fort, accepter la rupture plutôt que la continuation d'idées anciennes. « Visez la lune, même si vous échouez vous serez parmi les étoiles » disait Churchill. La nouvelle ère spatiale peut être celle de la France dans l'Europe, et de l'Europe dans le monde. Mais il faut viser la Lune !

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Jean-Baptiste Djebbari, ancien ministre des transports (2019-2022), administrateur d'e-space.

 Michel Friedling, ancien général et premier Commandant de l'Espace de 2019 à 2022, cofondateur et dirigeant de la spacetech Look Up Space.

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Commentaires 2
à écrit le 03/06/2023 à 21:53
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Bonjour, ils y a 20 ans , la france et l'Europe avez de grande ambitions dans le domaine spatiales... mais apres l'abandon du programme Hernes (petite navette) . Nous nous somme lancé dans la coopération avec les américains, nous sommes toujours ...

à écrit le 23/05/2023 à 23:58
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Légèrement en retard de 10 ans cette tribune. Ça fait de la peine à lire, mais effectivement c’est à l’image de la bonne franchouillerie habituelle qui règne ici dans tous les domaines d’innovation. La France préfère fabriquer des sacs à main de luxe...

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