Nucléaire : comment réussir économiquement les SMR

OPINION. Construire et opérer un réacteur nucléaire, c'est entrer en concurrence avec les autres technologies décarbonées comme le renouvelable. L'Académie américaine des Sciences et Technologies se penche sur la question dans le cadre de son rapport : « Laying the Foundation for New and Advanced Nuclear Reactors in the United States » car l'inclusion du nucléaire dans l'Inflation Reduction Act montre le côté volontariste américain sur la question. Par Charles Cuvelliez, Ecole Polytechnique de Bruxelles, Université de Bruxelles.
(Crédits : TechnicAtome)

Le nucléaire requiert énormément de capital. Son coût représente jusqu'à 80 % des coûts de production de l'énergie pendant la durée de vie de l'installation. Le coût du combustible, c'est à peine 5% et les coûts d'exploitation, 15 %. Dans le cas des EPR, la construction de l'ilot nucléaire, c'est 10 à 20 % de tous les coûts, la turbine 5 à 10 %. Les coûts d'ingénierie et les achats montent jusqu'à 10 à 20 %. Ce sont les coûts de génie civil qui prennent le reste : 40 à 50 %.

Les nouveaux concepts de réacteur qui fleurissent peuvent vaincre cet écueil. Si on promeut le concept de petit réacteur, avec les SMR (pour small modular reactor), c'est que la course au gigantisme n'a pas amené d'économies d'échelle. La complexité du passage à une taille supérieure, dans un tel pari industriel, a fini par l'emporter. Par contre, des réacteurs de petite taille pourraient être construits dans une usine, en chaine, suivi d'un déploiement échelonné ordonné sur site, bien plus gérable que la monstruosité d'un chantier ad hoc. C'est ainsi que SpaceX, dans une autre industrie de haute fiabilité, a réussi à renverser la table.  La petite taille des réacteurs facilite aussi leur intégration dans les réseaux, ou même les destinent à d'autres usages que la production d'électricité (production de chaleur industrielle, de combustibles de synthèse, d'hydrogène qu'on ne devra pas aller chercher aux antipodes ou dessalement) lorsqu'on n'a pas besoin d'électricité nucléaire, un jour de grand vent)

Ceci dit, il y a encore beaucoup de concepts encore en lice (l'AIEA en répertoriait 80 en 2022). Cela empêche, explique l'Académie américaine, le développement d'une filière combustible unique an amont et en aval. La promesse d'avoir des cycles combustibles plus longs (le temps entre deux recharges du réacteur) n'arrange pas les choses. La multitude des concepts SMR impacte aussi le développement des composants critiques (pompes, vannes, caloducs). Il y a aussi les coûts de réseau si on veut connecter massivement des nouveaux réacteurs pour résoudre le problème climatique.

Partenariat Public-Privé

Tout comme le renouvelable en a bénéficié, des partenariats publics-privé seront la clé du succès : il ne peut plus être question, pour les États de tergiverser comme aujourd'hui en Europe. Chaque pays qui y croit doit commencer par maintenir une capacité de R&D importante, permettre aux équipes de développer des nouveaux concepts de réacteur. Il faudra ensuite fabriquer des démonstrateurs avec l'industrie, en démontrer l'efficacité pour commercialiser les meilleurs. Tout cela se fera à l'échelle européenne, d'où l'intérêt de faire partie du club nucléaire lancé par la France. C'est au moment d'attirer l'investissement, que tout se jouera, avec la perception du risque pris par les investisseurs. La crédibilité d'une option technologique (nucléaire) dépend d'une évaluation rigoureuse des coûts et des marchés, de l'historique des déploiements, de la maturité technologique. Evidemment, les réacteurs avancés sont, par définition, des paris plus risqués que les technologies établies.

Pour concurrencer les autres options de production d'électricité sur le plan technique, les réacteurs avancés doivent alors démontrer qu'ils peuvent fournir des produits plus petits, moins intensifs en capital, moins risqués et surtout plus attrayants sur le plan socio-politique (en cours, avec l'opinion publique à qui on ne peut plus mentir).

Les risques pour l'investisseur

Un investisseur devra peser tous les risques. Le rapport de l'académie les passe en revue, dans le cas du nucléaire. Il y a le risque de commercialisation : dérapage des coûts ou du calendrier de gestion de projet (des écueils qu'ont connu les États-Unis et l'Europe dans les projets nucléaires récents), établir des chaînes d'approvisionnement en combustible, en pièces et composants de haute fiabilité, obtenir un carnet de commandes suffisant pour justifier la mise en place d'une usine de fabrication, et garantir la main-d'œuvre qualifiée nécessaire à la construction et à l'exploitation.

Il y a le risque lié aux revenus : comment bien évaluer, sur la durée d'exploitation (40 à 50 ans), les recettes surtout avec l'arrivée inéluctable sur une telle période de technologies concurrentes sans parler des changements réglementaires ou politiques.

Le risque réglementaire passe par l'obtention d'une licence. Le concept de réacteur qu'on construit peut déjà avoir été certifié mais au cours du projet, des risques spécifiques liés aux inspections, tests, analyses et critères d'acceptation peuvent entrainer des adaptations. Il y a les risques liés à l'infrastructure, telles que la disponibilité des lignes de transport d'électricité.

La réussite du projet dépendra de l'accès aux marchés des actions et de la dette.  L'investisseur doit évaluer si la participation à un projet nucléaire pose un risque de réputation auprès des investisseurs, des actionnaires, ce qui n'est pas à négliger vu la pression sur les groupes pétroliers. Heureusement, comme le nucléaire est vu comme une solution, on peut parler d'opportunité de réputation (les producteurs qui veulent sortir du nucléaire s'en mordront les doigts). Il y a enfin et surtout les risques liés aux contrats. Il est essentiel de savoir qui supportera le risque si un projet ne peut être mené à bien pour une raison ou une autre, pour quelque raison que ce soit. Et avec de tels chantiers, cela peut arriver.

Le rôle de l'Etat

L'Etat aura, comme pour le renouvelable, insiste le rapport, un rôle sociétal, avec des incitants comme les contrats d'achat à long terme, à prix fixe, des crédits d'impôt à l'investissement non remboursables et qui peuvent être reportés en arrière d'un an ou en avant de 20 ans. On peut alors l'appliquer aux années au cours desquelles l'exploitant doit payer des impôts sur le revenu.

Il y a le crédit d'impôt à la production en fonction de la quantité d'électricité produite (avec une limite supérieure). Il récompense la performance : l'exploitant supporte le risque de construire et d'exploiter la technologie du réacteur avancé. S'il est achevé avec des retards ou à un coût supérieur, le montant du crédit n'est pas ajusté ce qui donne un bénéfice moindre ou une perte. Les investisseurs privés sont incités à orienter le processus d'innovation dans la direction la plus rentable et fiable.

Là où le nucléaire est réglementé, le recouvrement des coûts d'une centrale nucléaire commence dès que la centrale entre en service. Ils sont donc récupérés dans les tarifs payés par les contribuables pendant la période d'exploitation. Ceux-ci auront à payer les intérêts substantiels qui ont été accumulés pendant les nombreuses années de construction. Une piste serait d'autoriser le recouvrement des frais d'intérêt pendant la période précédant la mise en service d'une centrale pour éliminer une partie du risque d'inflation.

Les pays qui disposent déjà de nucléaire ont un avantage de taille : ils ont l'expertise, les filières et les exploitants pour qui s'engager dans cette voie est plus aisé que des pays qui n'ont rien, pour autant qu'on n'y mette pas un point d'arrêt.

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Pour en savoir plus : Laying the Foundation for New and Advanced Nuclear Reactors in the United States National Academies of Sciences, Engineering, and Medicine. 2023. Washington, DC: The National Academies Press.

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Commentaires 2
à écrit le 20/05/2023 à 19:15
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Le problème principal qui va se poser avec plein de petits réacteurs éparpillés, cela va être la sécurité des sites face aux risques, terroriste notamment. Quand on voit la difficulté pour assurer la sécurité de quelques grands sites, je vous laisse ...

à écrit le 19/05/2023 à 22:58
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Quand on parle d'économie avec le nucléaire c'est qu'il y a des soucies a se faire !

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