Pourquoi l'intelligence artificielle ne peut pas devenir un monopole

OPINION. Il est urgent que dans la foulée du règlement européen sur les marchés numériques (DMA), l'Union européenne anticipe le risque de monopole de l'intelligence artificielle par un seul contributeur. Il faut que soit imposée la possibilité de faire tourner des algorithmes d'IA sur des clouds et des systèmes de calcul, de manière interopérable et ouverte, plaide le député (Modem) Philippe Latombe.
Le député (Modem) Philippe Latombe.
Le député (Modem) Philippe Latombe. (Crédits : DR)

En ce 6 mars 2024, n'en déplaise aux jeteurs de sort, aurait dit Georges Brassens, les géants de la tech ont dû se plier aux exigences européennes. Six « contrôleurs d'accès » identifiés (Alphabet, Amazon, Apple, ByteDance, Meta et Microsoft) doivent maintenant bon gré mal gré appliquer le règlement européen sur les marchés numériques, le Digital Markets Act (DMA). Ce n'est pas faute d'avoir tenté d'y échapper, en argumentant qu'il reflète une incompréhension des marchés numériques ou que les internautes du vieux continent vont se trouver défavorisés par rapport au reste du monde.

Il y aura des différences entre les utilisateurs européens et les autres, certes, mais c'est parce qu'ailleurs, on le veut bien, a-t-on envie de leur rétorquer. Il suffirait, rêvons un peu, que le DMA s'applique à toute la planète.

Une loi bénéfique

Ce règlement permet de s'attaquer aux pratiques anti-concurrentielles et, si ma mémoire est bonne, c'est aux États-Unis qu'a été prise en compte la nécessité de mettre en place des limites au risque monopolistique : il s'agissait du Sherman Antitrust Act et c'était en... 1890. Nos amis américains auraient-ils une mémoire et des principes sélectifs ?

Le DMA vise la transformation des applications de messagerie en les rendant interopérables, pour qu'elles puissent fonctionner entre elles, un vieux combat en ce qui me concerne. Ce règlement européen régule la publicité en ligne, en améliore la transparence. Il tend aussi à interdire l'installation d'applications par défaut, la préférence d'un service maison plutôt que celui d'un concurrent, l'installation d'applications depuis une source unique, les commissions de paiement dans les magasins d'applications et les services de paiement sans contact sans concurrents. Autant d'interdictions qui font grincer les dents des ténors du Web. En un mot, le DMA contribue à redonner leur liberté numérique à près de 450 millions d'Européens, jusque-là captifs, pour la plupart d'entre eux à leur insu, mais captifs tout de même.

Ne nous leurrons pas : le DMA vient à la suite d'autres réglementations, comme le RGPD ou le DSA, qui aspirent à réguler un monde numérique un peu fou. Et il ne sera pas le dernier. Il faut cependant noter que cette volonté de mettre de l'ordre, dans un domaine où les évolutions sont extrêmement rapides, gère souvent le fait accompli, ce qui ne contribue pas à mettre en place une régulation élaborée dans la sérénité. C'est la grande leçon que nous devons tirer : notre faible capacité à l'anticipation.

Microsoft pourrait créer un monopole dans l'intelligence artificielle

Nous ferions bien d'y réfléchir, notamment en ce qui concerne l'intelligence artificielle. En ce domaine, plus encore, le temps s'accélère. Microsoft caracole très loin en tête et, si l'on n'y prend garde, pourrait bien rafler la mise, après avoir vampirisé tout l'écosystème, selon la célèbre formule : « the winner takes it all ».

Qui dit monopole dit liberté totale de fixer les prix, ce qui veut dire que nous serions tributaires du bon vouloir de l'acteur dominant. Celui-ci étant américain, nous serions de plus à la merci des humeurs du gouvernement américain, qui pourrait assujettir l'accès à une convergence de vues avec sa politique étrangère, par exemple.

Il est vrai qu'en pareil cas, nous risquerions d'être d'autant plus dociles que l'intelligence artificielle ne faisant que restituer à la demande des informations dont on l'a abreuvée, nous aurions principalement accès à un corpus américano-centré, inévitablement orienté car unique, peu propice à restituer la diversité, la complexité de la connaissance. Un risque manifeste de formatage culturel et idéologique somme toute.

Il est donc urgent que, dans la foulée du DMA, l'Europe anticipe le risque de monopole de l'intelligence artificielle par un seul contributeur, sinon la liberté, le libre arbitre que les utilisateurs du Numérique viennent d'en partie recouvrer en Europe, grâce au DMA, pourraient être remis en cause. Il faut que soit imposée la possibilité de faire tourner des algorithmes d'IA sur des clouds et des systèmes de calcul, de manière interopérable et ouverte... Il faut un DMA AI. Et vite !

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Commentaires 6
à écrit le 09/03/2024 à 13:31
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On appelle les pompiers une fois la maison réduit en cendre et on paie les frais de déplacement. Si nous devons, nous européens être cantonnés à l'île aux enfants créé par Bruxelles, il est peut être temps de voir du côté de Starlink.

à écrit le 09/03/2024 à 10:01
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A croire que l'intelligence, qu'elle soit artificielle ou pas, a besoin de publicité pour être crédible ! ;-)

à écrit le 09/03/2024 à 8:50
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En effet qu'au moins on se protège de ça à défaut d’être capable d'en générer une.

à écrit le 09/03/2024 à 4:14
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Et dites-moi, comment l'Europe, qui n'a pas créé d'IA significative et réellement utilisée aujourd'hui, compte-t-elle faire les règles pour le monde ? Le narcissisme du "marché intérieur" n'a pas de limites ! L'Europe sera tout simplement abandonnée ...

à écrit le 08/03/2024 à 15:45
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Vous avez tout dit👍

à écrit le 08/03/2024 à 12:35
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on ne comprend pas trop ce qu'il veut, ce type......s'il veut faire tourner ses modeles d'ai, il lui suffit d'installer tensorflow ou torch, et de taper lui meme son code.....deuxio, des clouds pour l'ai, ca existe deja, et c'est pas forcement chez m...

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