Réforme des retraites  : de l'illusion à la désillusion

OPINION. Promise lors de sa campagne, la réforme des retraites voulue par Emmanuel Macron aura bien lieu, malgré la contestation du mouvement des Gilets jaunes. Mais la philosophie et les mesures annoncées dans ce nouveau projet posent un certain nombre de problèmes. Par Nicolas Cuzacq, maître de conférences HDR en droit privé, agrégé d'économie et gestion, Université Paris XII (UPEC).
(Crédits : Reuters)

Il était possible de penser que la révolte des gilets jaunes sonnerait le glas de la réforme des retraites mais l'exécutif fait le choix de persévérer en reprenant son slogan publicitaire : « pour une retraite plus simple, plus juste pour tous » (Dossier de presse 10 octobre 2018). Comme le disait Shakespeare dans Macbeth, un serpent peut se dissimuler sous l'aspect de la fleur innocente. La volonté du gouvernement de favoriser une meilleure équité et une simplification du système des retraites est évidemment louable mais elle n'implique pas de passer d'un régime en annuités (système actuel) à un régime en points.

Durée de cotisation et espérance de vie

Il suffit d'améliorer le système actuel dont la pérennité n'est pas condamnée contrairement aux discours alarmistes de ses contempteurs. Le rapport du Conseil d'orientation des retraites (COR) 2018 (p. 79) préconise simplement de faire passer l'âge de départ à la retraite de 63,9 à 64,6 ans en 2070 afin d'assurer l'équilibre financier du système chaque année avec une hypothèse de croissance des revenus d'activité de 1,3% en moyenne par an. Les politiques de rigueur ne favorisent pas une telle croissance. En conséquence, le débat sur les retraites ne peut être isolé de celui relatif à la politique économique de notre pays et de l'Europe.

Le président de la République est prisonnier de sa promesse de campagne selon laquelle il n'allait pas augmenter l'âge légal de départ à la retraite. Avec un système en points, il peut se renier en préservant la posture car l'actif aura le choix entre travailler plus longtemps ou obtenir une retraite minorée. « Savoir dissimuler est le savoir des rois », comme l'affirmait Richelieu. Pourquoi ne pas dire clairement que la hausse de l'espérance de vie implique une durée de cotisation plus longue ? Le système actuel permet déjà à l'actif d'avoir une minoration ou une majoration de sa pension selon sa durée de cotisation (système de la décote ou de la surcote). Nul besoin de passer à un régime en points. Le serpent est ailleurs.

Le niveau de vie des retraités

Le passage à une retraite en points engendre un calcul de la pension de retraite selon les cotisations versées sur l'ensemble de la carrière alors que le système actuel prend en considération les revenus des 25 meilleures années (salariés du privé) ou les 6 derniers mois (fonctionnaires). La réforme engendrera une baisse du taux de remplacement de la majorité des retraités car généralement on est mieux payé en fin de carrière qu'au début. Il s'agit de l'objectif inavoué de cette réforme qui souhaite maintenir le poids actuel des retraites dans le PIB alors que le nombre de retraités augmentera. Elle est conforme aux vœux de l'Union européenne qui incite la France à « prendre des mesures supplémentaires pour ramener le système de retraite à l'équilibre » (Recommandation du Conseil du 14 juillet 2015 (2015/C 272/14), p. 54). Jean-Paul Delevoye, haut commissaire à la réforme des retraites, n'a de cesse de mentionner que la réforme n'est pas réalisée sous la contrainte budgétaire mais cette assertion constitue la fleur sous laquelle se cache le serpent.

La question de l'équité intergénérationnelle a trop longtemps été négligée au détriment des actifs. Aujourd'hui, les retraités ont un niveau de vie légèrement supérieur à celui de l'ensemble de la population. En raison de l'application des réformes passées, le rapport entre les pensions de retraite et les revenus d'activité baissera dans les années à venir (rapport COR 2018, p. 58). En d'autres termes, la réforme du gouvernement intervient à contre temps car à l'avenir l'iniquité intergénérationnelle concernera les retraités. D'ailleurs, la Commission européenne envisage une baisse de 12 points des pensions par rapport aux salaires entre 2013 et 2060 en France afin de limiter les dépenses de retraite (The 2015 ageing report, European Economy 2015, n°3, p. 326). Le COR à juste titre doute de l'acceptabilité sociale de ce choix.

Une demande de justice fiscale

Il sera difficile pour le gouvernement de demander de nouveaux efforts aux ménages s'ils ont le sentiment que le système est fort avec les faibles et faible avec les forts. Beaucoup de gilets jaunes ne condamnent pas les impôts mais défendent simplement une plus grande justice fiscale. On pense à l'article 13 de la déclaration de 1789 qui dispose avec à propos : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». La formule concerne le budget économique mais on peut l'étendre aussi au budget social de l'Etat. Le gouvernement souhaite enfermer le débat dans l'arbitrage cotisations/pensions de retraite afin d'éviter la légitime question de l'élargissement de l'assiette des cotisations. Par exemple, il serait séant que les revenus financiers participent davantage au financement des retraites. Il est paradoxal que les chantres de la modernité ne tirent pas les conséquences de la financiarisation de la société alors qu'ils exhortent en permanence à la réforme au nom des évolutions de notre environnement. Il y a manifestement un progressisme à géométrie variable.

Egalement, il sera difficile pour le gouvernement et, indirectement pour l'UE, de demander de nouveaux efforts aux ménages si le problème de l'optimisation fiscale n'est pas résolu. Il faudrait commencer par éviter le déni de réalité en la matière car officiellement il n'y a pas de paradis fiscaux au sein de l'Europe selon le conseil de l'UE (Doc. 15429/17 FISC 345 ECOFIN 1088 du 5 décembre 2017). En 1958, le Général de Gaulle avait demandé des efforts à tous les citoyens en les répartissant équitablement. Dans un discours du 1er août 1958, il assène : « C'est pourquoi j'ai demandé et je demande à toutes les catégories françaises de prendre part aux sacrifices qui nous ouvriront les portes de l'espérance ». Si une telle démarche existait aujourd'hui, il serait plus aisé de demander aux français d'allonger leur durée de cotisation. Les mesures prises par l'actuelle majorité relatives à l'ISF, la "flat tax", l'"exit tax" ou encore les privatisations ont instillé, dans une partie de l'opinion, un doute sur sa capacité à incarner l'intérêt général.

Aujourd'hui, de nombreux citoyens ont le sentiment d'être face à une noblesse du monde moderne qui se définit par les exigences qu'elle leur impose et qui oblitère les peuples. Cette noblesse propose une "révolte des élites", pour reprendre la formule de Christopher Lasch, dont l'objectif est de dissocier son sort de celui du reste de la population quitte à créer un système innervé par une infirmité morale. Les privilèges ont toujours existé mais une mondialisation non régulée permet à une minorité de mettre en concurrence les législations fiscales des Etats. Cette noblesse se considère comme citoyenne du monde sans accepter les contraintes de la citoyenneté. On aboutit parfois à des caricatures qui rappellent le roman pamphlétaire « Mémoires d'un seigneur de la mondialisation » de Cicéron Poincaré. Cette noblesse souhaite mettre la société au service de l'économie en s'exemptant parfois de la rationalité économique qu'elle impose aux autres. A titre d'exemple non exhaustif, l'Autorité des marchés financiers a observé la création de régimes de retraite alternatifs à ceux mentionnés dans la loi au profit de certains dirigeants de sociétés cotées sans liens avec des conditions de performance (Rapport 2017 sur le gouvernement d'entreprise, p. 72 et 73). Sans exemplarité et justice fiscale, la réforme des retraites divisera derechef les Français.

L'équité intergénérationnelle

Afin d'éviter que le projecteur soit braqué sur « la superclasse mondiale » pour reprendre la formule de Michel Geoffroy, le gouvernement évoquera l'équité intergénérationnelle et l'équité professionnelle comme soubassement de sa réforme. Il est exact que l'iniquité intergénérationnelle a trop longtemps été un débat interdit dans notre pays alors que de brillantes études la mettaient en exergue (Louis Chauvel, Le destin des générations, PUF 2011). Pourtant, le passage d'un régime en annuités à un régime en points engendrera une nouvelle iniquité intergénérationnelle car des actifs subiront le nouveau dispositif moins favorable alors qu'ils auront cotisé d'une manière substantielle au profit de la génération qui reste assujettie au régime actuel plus généreux avec les retraités. Il y aurait la possibilité d'appliquer le régime en points seulement aux nouveaux entrants sur le marché du travail mais une telle solution implique une longue période de transition alors que les partisans de  la « gouvernance par les nombres », pour reprendre la formule d'Alain Supiot, sont pressés de réaliser des économies.

Au-delà de la question épineuse de la transition, le passage à un régime en points est contestable en raison de la régression qu'il induit au détriment des retraités. Le haut commissaire à la réforme des retraites a évoqué avec à propos l'idée d'indexer les pensions de retraite sur les salaires et non plus sur les prix mais comment donner crédit à ce projet alors que le gouvernement pour des raisons comptables a fait le choix d'une désindexation au détriment des retraités actuels ? Comme le disait Péguy, il faut juger les gens à la lumière de ce qu'ils font et non pas à ce qu'ils disent qu'ils font.

Une réforme favorable à la haute fonction publique

Le Gouvernement invoquera l'équité professionnelle pour justifier son régime universel qui concernera les fonctionnaires comme les salariés de droit privé. A ce jour, les fonctionnaires ont un taux de remplacement correspondant à 75% des 6 derniers mois de leur rémunération mais leurs primes ne sont pas prises en considération à l'inverse de ce qui existe dans le privé. Le nouveau régime permettra aux fonctionnaires de bénéficier de l'intégration de leurs primes lors du calcul de leur pension. Cela engendrera une redistribution des cartes qui sera par exemple favorable à la haute fonction publique et défavorable aux enseignants (en fin de carrière, les primes représentent 41,8% de la rémunération pour les fonctionnaires A+ et 12,1% pour les enseignants). Le gant de la réforme épouse les intérêts de la main qui l'a rédigée. Est-ce un choix légitime à l'heure où une partie de la population française a une défiance à l'égard de certains membres de la haute fonction publique dont elle doute de l'impartialité en raison de leurs allers-retours entre le secteur public et le secteur privé ? Il ne faut d'ailleurs pas faire de généralités car des hauts fonctionnaires ont dénoncé les dangers de la réforme des retraites (Les interrogations essentielles sont habilement écartées du débat, Le Monde du 26 octobre 2018). Quant aux enseignants français, qui sont parmi les plus mal rémunérés au sein de l'échantillon OCDE (Regards sur l'éducation 2018, p. 345), ils seront incités à amplifier leur mouvement des stylos rouges.

Les expériences d'autres pays

Il est loisible de relever que les âmes serviles de la ploutocratie ne nous abreuvent pas de comparaisons internationales agrémentées de la formule lapidaire : « les autres le font ». Il est vrai que l'exercice serait périlleux. En Allemagne, la paupérisation relative des retraités est contestée d'une manière croissante. Ce pays applique un régime à points, avec des retraites indexées sur les salaires, similaire à celui envisagé par la réforme sous commentaire. L'Allemagne est mal classée dans les comparaisons internationales en termes de niveau de vie des retraités (COR, Panorama des systèmes de retraite en France et à l'étranger, 2016, p. 30).

En Pologne, une réforme sévère du système des retraites avait favorisé l'accession au pouvoir du PiS qui l'a partiellement remise en cause. A l'aune de cet exemple, les partisans de la logique TINA (there is no alternative) et les mouvements dits populistes semblent être les deux cotés d'une même pièce car ils se nourrissent chacun des excès de l'autre.

Un arbitrage par référendum

Une troisième voie mérite d'être explorée. En l'espèce, il nous semble que le recours à un référendum, dans le cadre de l'article 11 de la Constitution, serait légitime alors que l'exécutif se contente d'une simple consultation. Certains aimeraient circonscrire le débat dans des aspects uniquement techniques alors que la réforme des retraites est politique au sens d'Aristote. A ce titre, un référendum serait pleinement légitime mais la proposition risque de messeoir à ceux qui entérinent une dépossession du politique par l'économique. Pourtant, le calcul doit s'intégrer dans la société plutôt que de vouloir encastrer la société dans un calcul fondé sur un paradigme innervé par une infirmité morale.

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Commentaires 17
à écrit le 21/03/2019 à 10:55
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On a oublié qu'en 1980 la retraite était à 65 ans. C'est le socialiste Mitterrand qui l'a baissée à 60 ans en 1981. Ce n'est pas scandaleux de revenir à une retraire à 65 ans d'autant plus que l’espérance de vie aujourd'hui est plus élevée qu'elle ne...

à écrit le 25/02/2019 à 10:51
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Il faut appliquer la note n°6 du CAE. Il n'y a pas d'autres solutions. Qui le comprendra??

à écrit le 22/02/2019 à 18:08
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Ce n’est pas la première fois que des voix de médecins libéraux s’élèvent pour critiquer la réforme des retraites actuellement en cours de discussion. Après les craintes de la caisse de retraite (CARMF) sur l’utilisation possible des réserves, c’est ...

à écrit le 22/02/2019 à 8:02
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Si les générations précédentes avaient accepté de faire un mixte répartition / capitalisation pour les retraites, nous n'en serions pas là. De plus le mode de calcul et les règles doivent être exactement les mêmes pour tout le monde avec des points o...

à écrit le 21/02/2019 à 19:03
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On peut rappeler que depuis 2009, les relevés annuels papier ont été supprimé ,il faut maintenant consulter directement en ligne les relevés actualisé de points. Ce relevé recense le nombre de points acquis depuis le début de la carrière dans les rég...

à écrit le 21/02/2019 à 18:36
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Un exemple à suivre vu à la télé récemment : aux us, ils bossent jusqu'à 99 ans, eux. Cela démontre qu'il est nécessaire de supprimer la retraite pour éviter l'ennui que cela entraine.

le 22/02/2019 à 8:35
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Vous verrez dans quel état vous serrez déjà à 65 ans avant de dire des bêtises.

à écrit le 21/02/2019 à 18:14
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un euro cotisé = un euro de droit me parait juste à condition qu'elle s'applique à tous , à commencer par ceux qui votent et décident de ces réformes

à écrit le 21/02/2019 à 14:20
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de nombreux citoyens ont le sentiment d'être face à une noblesse du monde moderne qui se définit par les exigences qu'elle leur impose et qui oblitère les peuples" on taxe le diesel des pauvres mais on ne touche pas au kérozene bien plus polluant des...

le 21/02/2019 à 15:58
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Il faudrait revenir à l'état de quand j'étais jeune et où prendre l'avion était très cher donc très rare, seuls les riches le prenaient. Les autres voyagent en bateau ou train, voire vélo. Sûr que c'est un effet pervers de développer les voyages pas ...

le 21/02/2019 à 18:39
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Vous avez raison de réserver la pollution aux plus riches. Sinon, comment montrer sa supériorité...??

à écrit le 21/02/2019 à 13:54
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Aaah, c'est le retour du printemps, la saison où fleurissent les pâquerettes ... et les Gilets Jaunes !!

à écrit le 21/02/2019 à 12:48
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seuls les régimes spéciaux dont fonctionnaires et le régime agricole sont en déficit chronique et demandent des milliards d'euro de subventions chaque année , payées par la contribution de solidarité (imposée par l'Etat ) des régimes du secteur privé...

à écrit le 21/02/2019 à 12:14
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Quand prendra t'on conscience que les réformes ne sont pas voulue par Macron, simple fusible de l'UE, mais ordonné par les GOPE de Bruxelles!

le 21/02/2019 à 14:06
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Imposé ou pas, la règle élémentaire est la bonne gestion, c.à.d. faire en sorte de ne pas dépenser plus que l'on rentre comme cotisations et s'assurer que dans un moyen et long terme, le modèle économique soit toujours viable. Remettre à demain toute...

à écrit le 21/02/2019 à 11:57
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ET les mégas riches gagneront encore plus d'argent, c'est la feuille de route de nos LREM qui y travaillent tous les jours dans ce sens ne comprenant pas qu'on les qualifie d'incompétents, alors qu'ils se saignent pour que leurs patrons ne payent jam...

à écrit le 21/02/2019 à 11:30
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Macron veux détruire une des plus grandes avancées sociales LeS retraites part répartition ? Les industriels ils donne du travail Ala Chine toutes industriels confondus pour gagné plus d argent ils mais LeS retraites en danger macron un libérale pour...

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