Santé, retraite, chômage, dette : la fin d'un malentendu

CHRONIQUE. Un monde meilleur n'a peut-être pas de prix, mais il a un coût. Une évidence que l'usage de la dette sans complexe a pu nous faire oublier, mais que la remontée des taux d'intérêt vient rappeler aux autorités. Et qui tombe bien mal. Par Karl Eychenne, chercheur chez Oblomov & Bartleby
(Crédits : DR)

Depuis quelques années, le gouvernant invite le gouverné à rétropédaler en termes d'acquis sociaux. Une démarche qui ne doit pas être interprétée comme une régression, mais comme une forme d'involution, afin de nous protéger contre un horizon devenu hostile. Généralement, l'invitation du gouvernant est déclinée par le gouverné, qui invoque un recul fort malvenu en termes de bien-être. Et le plus souvent, tout cela se règle par un échange de bons procédés, les uns acceptant de céder sur certains points à condition que les autres révisent leur copie.

Mais cette fois-ci, il semblerait qu'il y ait comme qui dirait un blocage. Un clivage récusant toute forme de compromis possible entre les parties. Si les gouvernés sont accusés d'obstruction, les gouvernants sont eux accusés d'obstination. En clair, les gouvernés ne comprennent pas pourquoi les gouvernants ne cèdent pas, ou si peu. L'explication dans la petite fable ci-dessous.

La « dette georgette »

Il était une fois, un monde où la dette poussait à volonté, et cela ne gênait personne. Un genre d'espèce invasive, qui avait moult défauts, mais un avantage qui l'emportait sur tout le reste. Cet avantage était que la dette pouvait financer tout ce qui passe, l'utile ou l'agréable, le nécessaire ou du vent. Un genre de quoi qu'il en coûte en continu. La dette est un don .

Le politique n'étant pas le dernier des abrutis, il comprit très vite ce qu'il pouvait faire d'un tel outil. Replâtrer le modèle social, des années durant, en évitant les réformes qui fâchent de trop. On arriva même à faire croire aux gouvernés que les droits créances étaient des droits liberté. La dette, véritable georgette de la puissance publique, assurait alors le bon fonctionnement de la boutique comme celui des sauvetages exceptionnels de la nation (Covid). Inévitablement, la dette à tout faire allait bien finir par être source de malentendus...

La belle époque de la finance unijambiste

Pourtant, au départ, les choses avaient été pensées. Afin de garantir son équilibre, il fut ainsi proposé que la finance marche sur deux pattes : la valeur et le réel. La valeur, c'est le prix des choses, le réel, ce sont les choses. Mais au cours des 20 dernières années, la finance est devenue unijambiste. Elle n'a marché que sur une seule patte : le réel. En effet, la patte valeur s'était atrophiée. Et pour cause, l'inflation refusait de réagir aux cycles économiques. La croissance avait beau accélérer, les prix restaient aveugles ou sourds.

À ce jour, il n'existe toujours pas de cause anaphrodisiaque officielle expliquant ce déficit de libido inflationniste malgré des stimulations monétaires « XXL ».

Mais ce n'est pas ce qui nous intéresse. Ce qui est essentiel dans cette affaire, c'est qu'alors les taux d'intérêt furent vidés de leur substance. Sans queue ni tête, l'histoire des taux devenait absurde. Plus aucun risque inflationniste à combattre, le Banquier central se trouvait tel Don Quichotte luttant contre des moulins à vent. Les taux d'intérêt furent alors mis à disposition des gouvernants : le plus bas possible, afin de doper la valeur de la dette promise à l'heureux prêteur, et gonfler les montants disponibles pour l'heureux emprunteur.

Le malentendu entre gouvernants et gouvernés

Il faut bien réaliser que grâce à la politique monétaire ultra - accommodante de ces 10 dernières années, le ratio de dette sur PIB « n'a cru que de » 20% en France, pour atteindre près de 140% aujourd'hui. Et encore, ce surcroit de dette a été quasi - intégralement souscrit par la Banque centrale dans le cadre de son programme d'achat d'actifs. Si la politique monétaire avait été seulement normale, alors les taux d'intérêt se seraient retrouvés presque 3% plus haut, propulsant le ratio de dette sur PIB non pas 20% plus haut, mais près de 50% plus haut pour atteindre 170%. On s'en sort donc plutôt bien.

Mais aujourd'hui, la fête/dette est finie. En effet, depuis que l'inflation est ressuscitée, la Banque centrale est revenue à son premier métier, et les taux d'intérêt ont retrouvé des niveaux proches de la croissance du PIB en valeur. Cette dernière égalité est très populaire chez les économistes de marché, et doit ses lettres de noblesse à une règle d'or au label académique :

« Dans un monde où le planificateur bienveillant chercherait à maximiser la part de gâteau de tout le monde, alors le taux d'intérêt finirait par converger vers la croissance potentielle... »

Nous y sommes !

Désormais, chaque dépense de trop de la part du gouvernement se traduit par une dette en plus. Très concrètement, la hausse de la dette est désormais entièrement déterminée par l'accumulation de déficit de la balance primaire (recette - dépenses hors intérêt). Si ce déficit est de -3% une année alors le ratio de dette sur PIB augmente de 3% cette même année ; ce qui est bien le cas aujourd'hui. On comprend mieux alors l'attitude rétive du gouvernant qui refuse de céder sur les réformes proposées, craignant que l'usage de la dette pour financer quelque recul soit alors pire que le mal.

« Vous m'avez mal compris, je n'ai jamais dit que c'était gratuit. Juste que ce n'était pas cher. »

Saisir la nuance éclaire le débat. Aujourd'hui, si l'autorité semble donc aussi obtuse face à la foule furibonde, c'est parce que la dette, qui n'était pas chère, l'est devenue. Une dette chère suggère un usage limité. Or sans dette, comment arrondir les angles ? Comment financer les petits arrangements entre gouvernés et gouvernants concernant les réformes discutées ?

« Dans un malentendu, souvent, l'un des deux ment, et l'autre fait semblant de ne pas comprendre. »

Amer aigri.

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