La vente de l'usine Smart, dernier choc d'une histoire mouvementée

Trois jours après la mise en vente du site de production de la Smart par son propriétaire Daimler, les Lorrains sont sous le choc. L'usine, dont l'organisation révolutionnaire était vantée par ses concepteurs, s'interroge sur son avenir.
Trois générations de Smart ont été produites à Hambach (Moselle) depuis 1997. (Photo : le 27 octobre 1997, le président français Jacques Chirac et le chancelier allemand Helmut Kohl saluent un ouvrier lors de leur visite de l'usine automobile MCC (Micro Compact Car AG) et de la chaîne de fabrication de la nouvelle Smart, à Hambach (Lorraine).
Trois générations de Smart ont été produites à Hambach (Moselle) depuis 1997. (Photo : le 27 octobre 1997, le président français Jacques Chirac et le chancelier allemand Helmut Kohl saluent un ouvrier lors de leur visite de l'usine automobile MCC (Micro Compact Car AG) et de la chaîne de fabrication de la nouvelle "Smart", à Hambach (Lorraine). (Crédits : Reuters)

À Hambach, les plus anciens se souviennent des débuts difficiles de la Smart. "Quand Mercedes et Smart sont arrivés en Moselle, il y avait du chômage, mais les gens d'ici ne voulaient pas y travailler. Ils n'aimaient pas la gueule de la voiture", se souvient Mario Mutzette, l'un des employés présents depuis 1997. "L'histoire avait mal commencé. Il y a eu des problèmes de tenue de route en phase d'essais. La voiture se renversait. Pendant six mois, on n'a rien fait. Tout le monde a pris peur", poursuit celui qui est devenu l'un des chefs de file des syndicalistes locaux, représentant de la CFE-CGC.

Trois ans plus tôt, en décembre 1994, l'annonce de l'implantation de la "Swatchmobile" dans l'Est mosellan était pourtant accueillie comme un bol d'air dans cette région touchée par la désindustrialisation, et où les mines de charbon avaient abandonné leur rôle de locomotive économique. La joint-venture MCC (Micro Compact Car) associant Mercedes et Swatch arrivait avec 983 postes à pourvoir, et autant chez les co-traitants ou "partenaires système" de l'époque : le canadien Magna (cellules de carrosserie, 215 emplois), le suédois Dynamit Nobel (matériaux plastiques, 285 emplois), le belge Ymos (portes, 80 emplois), les allemands Eisenmann (peinture, 217 emplois), VDO (tableaux de bord, 215 emplois) et Krupp Hoesch (groupes de propulsion, 83 emplois). La promesse a (presque) été tenue. En 2020, le site compte 1.600 salariés, tous employeurs confondus.

Nicolas Hayek, à contre-coeur

Pour Swatch, le groupe horloger à l'origine du concept, l'histoire a tourné court. Éconduit par Volkswagen, avec qui il avait pourtant conclu un partenariat financier à parts égales, l'entrepreneur suisse Nicolas Hayek a dû renoncer à contre-coeur à son projet de voiture à quatre moteurs électriques, un pour chaque roue: la Swatchmobile. La co-entreprise MCC avait été créée en 1994, avec une participation de Mercedes à 51%. "Personne ne savait que le pire était devant nous", raconte le patron horloger dans ses mémoires(*) parus en 2006:

"Quelques semaines seulement après la fête officielle d'inauguration, nous avons constaté que la voiture présentait encore une série d'insuffisances dont certaines étaient déterminantes. Vous vous souvenez ? La voiture s'est retournée et est tombée lors du test de l'élan. Il y avait plein d'autres petits manquements et maladies de jeunesse."

Mercedes aurait demandé des investissements supplémentaires, refusés par Hayek. Les Allemands se sont retrouvés seuls aux commandes.

Des ouvriers avec le statut d'intermittents du spectacle?

Sur le plan politique aussi, le projet a été semé d'embûches. "Nous étions 180 sites en concurrence à travers le monde pour accueillir cette usine révolutionnaire", témoigne Vincent Froehlicher, directeur de l'Adira, l'agence de développement économique d'Alsace.

"Nous avons proposé un site de 50 hectares pour l'implantation à Molsheim, près de Strasbourg, et nous avions presque touché au but lorsque la Lorraine a été retenue. Les émissaires de Nicolas Hayek étaient novateurs. Ils voulaient vraiment trouver un modèle flexible de travail. On nous a même demandé de voir si le statut d'intermittents du spectacle pouvait être approprié pour les ouvriers au montage", se souvient Vincent Froehlicher.

Les finances locales très sollicitées par les Allemands

Pour Gérard Longuet, ministre de l'Industrie et président du conseil régional de Lorraine à l'époque des négociations, l'arrivée de la Smart a été célébrée comme une victoire. "Mercedes ne tenait pas à fabriquer la Smart dans son pays. Il fallait expliquer aux syndicats qu'on pouvait produire la "Deutsche Qualität" en-dehors de l'Allemagne. Edzard Reuter, Pdg de Mercedes, a demandé une centaine d'hectares viabilisés et disponibles immédiatement. Les Allemands ont sollicité abondamment les finances locales. On a été obligés de cracher une centaine de millions de francs (15 millions d'euros) pour aider Smart à venir", poursuit l'élu, désormais sénateur.

La ville de La Rochelle, aussi, était candidate. En Alsace, on a murmuré que Gérard Longuet aurait emporté la mise en promettant une licence de téléphonie mobile à Daimler (jamais accordée), en contrepartie de son investissement en Lorraine.

"C'est faux. J'ai joué un rôle dans la dérégulation des télécoms, mais Daimler n'a jamais demandé de licence", tranche l'intéressé.

Des Smart chinoises

Après deux millions de voitures produites, l'usine mosellane est désormais à vendre. Chez les élus locaux, l'incompréhension est d'autant plus grande que Mercedes était en train d'investir, depuis un an, dans une extension à 500 millions d'euros destinée à reconvertir Hambach dans la production de SUV à motorisation électrique. La Smart continuera d'être produite, dans sa nouvelle version, dans une usine chinoise en partenariat avec le constructeur automobile local Geely, co-actionnaire de Daimler.

Roland Roth, président de la communauté d'agglomération Sarreguemines Confluence, s'interroge quand à l'avenir du site lorrain. "On ne sait même pas s'il y aura un repreneur", se désole l'élu qui rêvait encore, il y a un an, d'installer dans sa zone industrielle voisine de Smart la nouvelle usine européenne de Tesla, finalement partie à Berlin. "La mise en vente de l'usine Smart est incompréhensible par sa brutalité, sans aucune information préalable des élus et des partenaires sociaux. C'est insupportable", tonne Patrick Weiten, président (Mouvement Radical) du conseil départemental de Moselle.

Chez les salariés, l'impression qui domine est celle d'une promesse non tenue. En 2015, dans le cadre des négociations salariales obligatoires, les ouvriers avaient accepté d'être payés 37 heures pour 39 heures travaillées, et les cadres avaient renoncé à leurs RTT. En contrepartie, la direction s'engageait à maintenir l'usine en charge.

"Aujourd'hui, on nous lâche, on nous sacrifie pour maintenir les emplois allemands", déplore Mario Mutzette.

Quant au député de Moselle Christophe Arend (LREM), co-président de l'assemblée parlementaire franco-allemande, il prévient:

"C'est tout l'écosystème local qui est menacé. Si on ne trouve aucun repreneur, ce sera une catastrophe pour notre territoire franco-allemand. Tous les sous-traitants, jusqu'en Sarre, sont concernés par cet événement."

Pour l'Est mosellan, quinze ans après la fermeture des mines de charbon, une nouvelle crise se prépare. En attendant, les dernières Smart sortiront de l'usine de Hambach en version électrique. Cette ultime version française est encore produite au rythme de 110 unités par jour.

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(*) "Au-delà de la saga Swatch - Entretiens d'un authentique entrepreneur avec Friedemann Bartu", par Nicolas G. Hayek, aux Éditions Albin Michel (2006, dernière édition 2014), 240 pages.

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Commentaires 3
à écrit le 06/07/2020 à 15:01
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Vendre cette usine? C'est une périphrase qui en réalité veut dire la fermer à terme.

à écrit le 06/07/2020 à 14:15
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Qui veut encore de ce joujou pour citadin branché au prix démesuré et à la diffusion planétaire homéopathique ( 117 000 en 2019) ??

à écrit le 06/07/2020 à 11:44
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Super photo exposant au final notre déclin, d'un côté un seul actif enrichissant notre société et qui a l'air dubitatif en serrant la main de 20 inactifs qui ne font que l'anéantir notre société mais eux souriant abondamment par contre, on les compre...

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