
En 2022, en Île-de-France, la pollution de l'air a tué près de 8.000 personnes, selon le dernier bilan de l'organisme public Airparif. La région la plus peuplée d'Europe affiche un lourd bilan, sur les 47.000 décès annuels évitables en France causés par la pollution de l'air, que recense Santé Publique France. Essentiellement dues aux émissions de polluants des véhicules, au chauffage au bois et gaz, et à l'agriculture, la pollution est même responsable « d'un décès sur dix dans la région », rappelle Antoine Trouche, ingénieur et responsable de la médiation scientifique à Airparif.
Alors que la France se prépare à de nouvelles périodes de canicules, la mesure de la pollution, accentuée en cas de chaleur, va donc être scrutée. Le point sur ces informations cruciales pour les 12 millions de citadins de la région, en cinq questions.
Comment est calculée la pollution de l'air ?
En France, la qualité de l'air est définie par l'indice ATMO (ou indice multipolluant de la qualité de l'air). Quotidiennement, celui-ci donne une graduation de la qualité de l'air en calculant la concentration des cinq polluants réglementés présents dans l'air : l'ozone O3 (d'origine photochimique), le dioxyde d'azote (NO2), le dioxyde de soufre (SO2) et les particules en suspension (les poussières d'origine industrielle et automobile), explique Atmo France et le dictionnaire de l'environnement. Il agit comme un thermomètre, et donne une représentation de la qualité de l'air selon des seuils différents allant de « bon » à « extrêmement mauvais ». Toutefois, ajoute Atmo France, cette représentation reste simplifiée, et ne prend pas en compte les effets « cocktails », c'est-à-dire les effets synergiques entre les polluants, ainsi que l'ensemble des polluants non réglementés mais présents également dans l'air ambiant comme les particules ultra-fines, les pesticides ou le pollen. Les concentrations sont déterminées selon les mesures effectuées sur les 54 stations de mesure de la région, les données d'inventaire des émissions de polluants (trafic par exemple), et les prévisions météorologiques, et ce, pour chaque commune ou inter-commune.
Qui est responsable de ces données ?
En France, la mesure de la qualité de l'air est à la charge des Associations agréées de surveillance de la qualité de l'air (AASQA), réparties en région et regroupées sous la fédération Atmo France. On en compte 18 sur l'ensemble du territoire.
« Celles-ci sont des associations indépendantes et ne font donc pas de préconisations politiques », pointe Antoine Trouche. « Elles ont bien pour mission de surveiller la qualité de l'air sur le territoire, d'informer et sensibiliser sur cette dernière, ainsi que de transmettre ses connaissances aux citoyens, aux collectivités et aux entreprises pour agir en conséquence. ».
En Ile-de-France, Airparif est l'association chargée de la surveillance de la qualité de l'air. L'année dernière, le budget de cette association 10 millions d'euros était essentiellement financé par le Ministère de la Transition écologique, les collectivités territoriales d'Ile-de-France et les taxes sur les industriels, rappelle Airparif.
Pourquoi la qualité de l'air inquiète-t-elle de plus en plus ?
A l'approche des grandes chaleurs, les collectivités redoutent des épisodes de pollution inédits, notamment à Paris. Les conséquences directes sur la santé sont diverses : hospitalisations, crises d'asthme, AVC. En cause, un polluant dont la formation est favorisée par les périodes estivales ensoleillées : l'ozone.
« Ces épisodes ne sont pas les seuls à être lourds de conséquences. Une mauvaise qualité de l'air ambiant, même en l'absence d'épisodes de pollution - ce qu'on appelle la pollution chronique - a également des effets à moyen et long terme. C'est un danger environnemental qui ne s'attaque pas seulement aux poumons comme on l'imagine, mais à d'autres organes également. Cancers, risques d'infertilité, maladies neurodégénératives font partie des conséquences », énumère Antoine Trouche.
Dans son bilan 2022, Airparif souligne que la pollution au dioxyde de carbone, provoquée par le trafic autoroutier, reste largement supérieur au seuil de l'Organisation mondiale de la Santé (OMS). Aussi, beaucoup d'associations appellent à revoir les seuils appliqués en France, pour les aligner aux normes, plus strictes, émises par l'OMS et ainsi avoir une perception plus précise de ces niveaux.
Pourquoi les mesures données sur certains smartphones diffèrent-elles de celles d'Airparif ?
Autre constat, les données d'Airparif diffèrent de celles consultables à toute heure sur les smartphones de type iPhone. C'est en fait logique puisque les deux ne reprennent pas les mêmes données. De fait, les iPhones relayent les données Breezometer, une startup israélienne créée en 2014 par trois ex-diplômés du Technion, l'institut technologique israélien de Haïfa. Misant sur le Big et l'Open Data, l'entreprise se veut leader mondial dans l'analyse de données atmosphériques. Rachetée par Google en 2022, BreezoMeter a levé un tour de financement de 30 millions de dollars en juin 2021, portant son financement total à 45 millions de dollars, annonçait-elle dans un communiqué de presse. Reste que celle-ci n'effectue pas le calcul de la qualité de l'air de la même manière. A qui donc faire confiance ?
« Si Breezometer a l'avantage de fournir des données pour le monde entier, le calcul se fait cependant à une plus grande échelle ; il possède peu de données sur ce qu'il se passe localement, modélise la qualité de l'air sur des zones assez grandes et est donc moins précis » défend Antoine Trouche d'Airparif.
Cela se remarque notamment avec l'inventaire des émissions d'azote et de particules fines liées au trafic, que Breezometer semble relever différemment : quand les grands axes de circulation parisiens, qui émettent donc beaucoup de polluants, sont visibles sur la carte d'Airparif, ils n'apparaissent que très peu sur les cartes fournies par Breezometer, analyse Antoine Trouche.
Quels sont les scénarios attendus à moyen et long terme, notamment avec l'électrification des véhicules ?
Si la qualité de l'air s'est dernièrement améliorée en Ile-de-France, notamment avec la hausse des réglementations sur les polluants, selon les chiffres du Centre interprofessionnel technique d'études de la pollution atmosphérique (Citepa), la France peine à répondre entièrement aux réglementations sur la qualité de l'air, ce qui lui a valu une condamnation par le Conseil d'Etat en 2022.
A noter aussi que sur le front de l'ozone, l'air a tendance à s'aggraver : « les niveaux d'ozone de basse altitude continuent d'augmenter en Île-de-France. L'ozone étant un polluant de l'air et gaz à effet de serre dont la formation est facilitée par les périodes de fortes chaleurs et de fort ensoleillement, cette augmentation souligne la nécessité d'une approche conjointe de ces enjeux air et climat », note Airparif dans son bilan 2022.
Contre l'Etat français, une peine d'astreinte prononcée jusqu'à réparation du préjudice, lui infligeant une amende à la hauteur de 10 millions d'euros par semestres. Sur la période juillet 2021-juillet 2022, 20 millions d'euros en tout, dont les associations de surveillance de la qualité de l'air ont pu en bénéficier. L'occasion pour Airparif de financer de nouvelles campagnes de mesures, de nouveaux appareils et une meilleure communication, affirme l'association.
« En 2022, les 12 millions d'habitants de la région Île-de-France ont été exposés à un air dont les concentrations en particules fines et en ozone de basse altitude dépassent les seuils recommandés par l'OMS et 11,5 millions de Franciliens pour le dioxyde d'azote », rappelle Airparif.
Si l'association ne prévoit pas de scénarios sur la durée, elle peut cependant noter l'impact positif des nouvelles technologies et des politiques publiques récemment mises en place sur la qualité de l'air. La dynamique se maintiendrait, a priori, dans les prochaines années, notamment grâce à l'électrification des voitures et l'usage des transports en commun. Un risque d'effets contradictoires cependant : en 2016, une étude de la Commission européenne reprise par l'ONG Transport & Environnement études affirmait qu'une poignée de bio-carburants semblaient plus polluants que certains diesels. Si trop peu d'études se sont penchées sur la question, l'affaire reste à surveiller.
Les recommandations de santé en cas de pic de pollution En période de pic de pollution, les agences régionales de santé publient de nombreuses recommandations, comme limiter les activités sportives intenses en intérieur et en extérieur, rester vigilants quant à la fatigue, aux essoufflements, maux de tête et palpitations. Ne pas hésiter à contacter son médecin si nécessaire, rappelle l'ARS. « Cela peut sembler contre intuitif, mais aérer et ventiler son logement pour en évacuer les polluants est très important. Le confinement n'est utile qu'en épisodes de pollution liés à des catastrophes (incendies). » conseille également Antoine Trouche. Reste toutefois selon l'association, le problème de fond et une nécessaire réduction des polluants.
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