Ce qui s'appelle de l'optimisme de volonté. Bien que l'année 2021 s'annonce pire que la précédente en termes de trafic, la Brittany Ferries croit toujours dur comme fer dans la résilience de son modèle pourtant mis à rude épreuve par la double crise du Brexit et de la pandémie. En atteste sa décision annoncée aujourd'hui (19 juillet) de passer commande de deux navires hybrides de nouvelle génération, livrables dans trois ans.
Le projet s'inscrit dans le cadre du plan de relance post-Covid élaboré par les dirigeants de la compagnie détenue par la coopérative légumière qui porte la marque Prince de Bretagne. « L'avenir n'est envisageable que par l'investissement dans de nouveaux bateaux, en raison du vieillissement de la flotte et également des contraintes environnementales », justifie Christophe Mathieu, Président du Directoire.
Par mesure de prudence, il a néanmoins été choisi d'affrèter ces bateaux auprès de l'armateur Stena à qui il seront loués pendant quatre ans, délai au terme duquel il est envisagé de les acheter. Le choix de la raison pour Jean-Marc Roué, président du conseil de surveillance. « Ce montage ramène le montant de l'investissement de 400 à 220 millions d'euros et repousse le besoin d'endettement de quatre ans. Il est très sécurisant pour nos prêteurs privés », détaille t-il.
Bateaux décarbonés
Comme les précédents, les bateaux devraient acquis par l'intermédiaire des sociétés Somanor et la Somabret, co-détenues majoritairement par la Brittany Ferries et les Régions Normandie et Bretagne. Lesquelles renouvellent donc leur soutien à la compagnie après lui avoir accordé 65 millions d'euros d'avances remboursables en complément du Prêt Garanti par l'Etat (PGE). « Ces investissements sont les meilleures réponses à la crise », veut croire le président breton Loïg Chesnais-Girard. « Ces deux navires innovants sur le volet environnemental et énergétique s'inscrivent dans la volonté de la Région de voir circuler des transports plus propres », ajoute en écho son homologue normand Hervé Morin.
Construits en Chine (aucun chantier européen ne pouvant répondre dans ce délai), les navires en question seront plus capacitaires que ceux qu'ils remplaceront. Ils sont destinés à opérer sur les lignes qui relient Portsmouth aux ports d'Ouistreham et de Saint-Malo. Signe particulier ? Ils seront propulsé par une motorisation hybride (GNL + batteries) qui doit permettre de réduire leurs émissions de GES de 10 à 20% jusqu'à les ramener à zéro lors des manœuvres d'approche et des escales. Une première sur le transmanche, affirme la compagnie. « Avec nos partenaires portuaires, nous répondons à des attentes sociétales fortes », insiste Christophe Mathieu.
Navigation dans le brouillard
Il n'en reste pas moins que la décision de la Brittany Ferries de commander ces deux bateaux apparaît sinon comme une fuite en avant, au moins comme un acte de foi dans un contexte qui reste très incertain. Côté trafic, le brouillard demeure épais. L'opérateur admet d'ailleurs « un niveau de réservation très dégradé ». Aussi ses dirigeants tablent-ils sur une nouvelle diminution par deux du nombre de passagers lors de la saison estivale et une perte sèche de « plusieurs dizaines de millions d'euros ». En cause notamment, la quatorzaine de nouveau imposée aux vacanciers britanniques à leur retour sur l'île.
Sur le plan politique, la compagnie n'est guère plus avancée. Bien que Bruno Le Maire ait promis devant les députés que le gouvernement « ne laissera(it) pas tomber la Brittany Ferries », la réponse de l'Etat se fait attendre. « Pourquoi n'y a t-il toujours pas de plan de relance pour le transport maritime ? ça suffit ! Nous proposer des mesures de dettes continues n'est pas de nature à perpétuer notre modèle » s'agace Jean-Marc Roué qui en appelle au président de la république.
Comme ses homologues français, l'intéressé attend aussi impatiemment les conclusions de la concertation lancée, voilà sept mois sous le nom de « Fontenoy du maritime », par la ministre de la mer. Au centre des discussions, le déploiement comme en Italie ou au Danemark du "net wedge" (filet dans la langue de Molière) : une mesure qui autoriserait l'Etat à rembourser aux compagnies embauchant des marins français l'entièreté des charges patronales. « C'est un vrai sujet de souveraineté » tonne le président de la Brittany Ferries qui, pour l'instant, semble prêcher dans le désert.
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