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Consommer français, la tendance responsable qui s’affirme

Bon pour les emplois et les territoires, pour l’environnement et la santé, sans oublier la préservation des savoir-faire : l’achat de produits français séduit les profils les plus divers. Reste à généraliser le mouvement, y compris de la part des entreprises elles-mêmes. (Cet article issu de « T » La Revue de La Tribune – N°2 Décembre 2020)
De plus en plus de consommateurs revendiquent le made in France, faisant preuve d'achats responsables qui eux-même encouragent, voire obligent, les entreprises à revoir leur plan.
De plus en plus de consommateurs revendiquent le made in France, faisant preuve d'achats responsables qui eux-même encouragent, voire obligent, les entreprises à revoir leur plan. (Crédits : Mathieu Persan)

« Le temps où Arnaud Montebourg posait en marinière Armor Lux pour encourager les consommateurs à acheter français est loin. Mais Benjamin Carle s'en souvient. « On ne me l'avait jamais dit avant ! », s'exclame l'auteur de Mon année made in France, publié en 2015 chez Plon, à propos de « l'injonction » du ministre du Redressement productif, en 2012. Le journaliste et réalisateur a pris l'appel au sérieux et décidé de se débarrasser de tout ce qui était « made in ailleurs » chez lui, pour n'acheter que français, pendant un an. Pas toujours évident, tant les informations sur l'origine des produits - meubles, vêtements, nourriture, appareils électriques, etc. - étaient succinctes à l'époque. Aujourd'hui, c'est le contraire ! Pas une publicité qui ne vante, surtout depuis le déconfinement, le made in France. Pas un produit qui ne porte un label, sérieux ou fantaisiste, garantissant que l'achat est bien un acte citoyen. Si certaines marques surfent sur ce nouvel engouement à coup de marketing, la fréquentation du MIF Expo (le Salon des produits & innovations made in France), qui n'a cessé de croître depuis son lancement, en 2012, montre qu'il s'agit bien d'une tendance de fond, même si elle demande encore à être généralisée. « La première année, nous avons accueilli 15 000 visiteurs et 70 exposants. L'an dernier, 80 000 visiteurs et 570 exposants », souligne Fabienne Delahaye, l'initiatrice du Salon. Une tendance qui prend sa source, selon elle, dans la désindustrialisation qu'a connue la France dès les années 1980, avec pour corollaire un chômage de masse et une désertification toujours plus grande de certains territoires. Avant ce phénomène, en effet, les consommateurs pouvaient acheter français sans problème. Et pour cause, ils fabriquaient eux-mêmes ces produits. C'est alors que le concept « Nos emplettes sont nos emplois », lancé en 1993 par les chambres de commerce et d'industrie, avec une campagne du même nom, a pris tout son sens. Mais pour être ensuite quelque peu oublié... Pas étonnant qu'il resurgisse actuellement, puisque le chômage menace de nouveau.

« À la préservation de l'emploi s'ajoute, pour certains au moins, les plus âgés, la préservation des savoir-faire, poursuit Fabienne Delahaye. Un pays qui perd ses savoir-faire s'appauvrit. »

D'autres, plutôt des jeunes, mais plus seulement, sont soucieux de l'environnement et veulent consommer français pour réduire les émissions de carbone liées au transport aérien ou maritime des produits importés. D'aucuns s'inquiètent aussi, surtout après la crise sanitaire, de la qualité des produits, que ce soit des masques fabriqués en Chine dont certains auraient provoqué des allergies, de celle des denrées alimentaires, qu'il vaut mieux consommer en circuits courts, ou de celle d'objets tels les jouets de Noël, qui ne sont pas toujours aux normes européennes et peuvent être, en conséquence, dangereux. « Sans oublier la possibilité d'un service après-vente si l'on a acheté à proximité plutôt que sur Internet », ajoute Fabienne Delahaye. Enfin, certains veulent consommer français pour s'assurer que les produits seront également fabriqués dans des conditions de travail décentes, selon des règles éthiques.

Autant dire que les planètes seraient alignées pour faire du consommer français la norme. D'ailleurs, selon un sondage Ifop pour le Crédit Agricole et le MIF Expo de 2016, lorsque les Français ont été interrogés sur le made in France, 79 % ont déclaré s'y intéresser de plus en plus. Mieux, 90 % considéraient la thématique comme importante pour l'avenir. Par ailleurs, si on les questionne sur leur préférence entre une marque connue et un produit fabriqué en France, 72 % veulent privilégier un produit made in France dont ils ne connaissent pas la marque plutôt qu'une marque connue qui ne fabrique pas en France. Enfin, à prix équivalent, ils sont 89 % à privilégier un produit made in France. Les raisons sont celles qu'évoque Fabienne Delahaye. Ainsi, 94 % des sondés considèrent qu'acheter un produit made in France est une façon de soutenir les entreprises françaises, et 93 % estiment qu'il s'agit, avec cet acte d'achat, de préserver l'emploi et les savoir-faire. Bref, pour 89 % des personnes interrogées, acheter français est un « acte utile » et pour 86 %, « un acte citoyen ». Cette perception explique également qu'à la question posée sur l'importance accordée au pays de fabrication des produits, seuls 12 % des Français interrogés déclarent ne pas du tout se préoccuper du pays de fabrication (alors qu'ils étaient 17 % en 2011) et plus de 7 Français sur 10 déclarent être désormais plus vigilants quant à la dimension made in France dans leurs actes d'achat.

Le casse-tête du pouvoir d'achat

À condition, sans doute, que leur pouvoir d'achat le leur permette... Trop faible pour certains, compte tenu des prix, légèrement supérieurs, des produits made in France. Selon le sondage Ifop, le prix, qui n'est évoqué que dans un second temps, « constitue toutefois un critère de choix important pour près des deux tiers des personnes interrogées ». À cet égard, une enquête du Centre d'études prospectives et d'informations internationales (CEPII) de 2013 estimait qu'un quart de la consommation de biens en France portait à l'époque sur des produits en provenance des pays de délocalisation. De quoi, selon les calculs de cet institut, permettre au consommateur final de réaliser des gains de pouvoir d'achat substantiels, par rapport à l'achat de produits équivalents made in France. « Nous évaluons ces gains potentiels de 100 à 300 euros par ménage et par mois », indiquait ainsi le CEPII. Les ménages les moins bien lotis, encore plus aujourd'hui qu'hier avec la crise économique, sont-ils aptes à dépenser entre 100 et 300 euros supplémentaires par mois pour acheter français ? Pas sûr... En effet, déjà prégnante, la question du pouvoir d'achat des ménages en bas de l'échelle sociale se pose avec toujours plus d'acuité aujourd'hui. Et de l'aveu même des économistes, les solutions pour l'accroître, à part une fiscalité plus redistributive, ne sont pas évidentes.

Mais « la question est mal posée, s'insurge Fabienne Delahaye. Aucun consommateur ne va dire qu'il est d'accord pour payer 10 ou 15 % de plus sur un produit ! » Sans oublier qu'il faudrait comparer ce qui est comparable. De fait, si, en plus du prix et de la provenance, les étiquettes sur les produits de grande consommation précisaient les autres « coûts » - notamment sur l'environnement et l'emploi en France - qu'impliquent une fabrication dans les pays où les salaires sont nettement plus bas qu'en France, les consommateurs pourraient choisir en connaissance de cause. Sauteraient-ils le pas ? Faut-il aller jusqu'à culpabiliser ceux qui ne peuvent pas se permettre ces dépenses supplémentaires ? Mieux vaudrait, comme le dit Benjamin Carle, « faire un peu de pédagogie auprès de ces ménages et des autres pour ne pas acheter des fraises en décembre, par exemple ». Le tout afin de démontrer non seulement l'intérêt d'une consommation raisonnée, mais aussi celui d'acheter français... Nécessité d'une plus grande pédagogie ou simplement de plus d'informations, puisque le sondage Ifop remarque « la relative méconnaissance des Français quant à l'existence de produits made in France vendus au même prix que des produits importés ». Notamment pour les produits du quotidien. Ainsi, indique l'Ifop, « 57 % des Français ne le savent pas ».

Tenir la comparaison

Pourtant, on peut acheter un jean 101 de la marque 1083, lancée en 2013 par Thomas Huriez à Romans-sur-Isère, pour 119 euros sur le site. Un jean confectionné dans cette ville, à Bobigny ou à Roubaix, et, en tout cas, à moins de 1083 kilomètres du consommateur (1083 kilomètres étant la distance entre les deux localités les plus éloignées de France : Menton, à la frontière italienne, et Porspoder, un village du Finistère). Et ce jean français, en coton issu d'une filière bio et teint sans produits chimiques nocifs pour la santé, selon le label Oeko-Tex dont bénéficie 1083, tient relativement bien la comparaison avec les 89 euros d'un Levi's 501, tel qu'indiqué sur le site français de la marque américaine. « En fait, le seul casse-tête, c'est le tee-shirt », précise Benjamin Carle. À 35 euros le tee-shirt femme pour la marque 1083 et 12,95 euros pour Zara - mais pour ce dernier, fabriqué notamment au Bangladesh, là où l'effondrement du Rana Plaza a tué, en 2013, plus de 1 000 ouvriers, dont des jeunes filles mineures... Le sondage Ifop met d'ailleurs également en lumière le fait que 81 % des personnes interrogées déclarent être sensibles aux comportements des entreprises (fabrication, conditions de travail...). En outre, près de 3 Français sur 5 assurent avoir déjà boycotté les produits d'une marque ou d'une entreprise. Et parmi ceux qui n'ont encore jamais mis à l'index une marque ou une entreprise, 75 % se déclarent prêts à le faire.

Il n'empêche, « le fossé pour le tee-shirt, produit de masse sans grande sophistication dans sa fabrication, est plus difficile à passer, admet l'auteur de Mon année made in France, mais ce n'est pas le cas sur d'autres produits - des voitures aux casseroles ». D'ailleurs, dans le textile, certaines marques françaises, comme Le Slip français, lancé en 2011 par Guillaume Gibault, et dont la fabrication est externalisée auprès de diverses entreprises spécialisées un peu partout en France, font un tabac, auprès de certains consommateurs tout au moins. En parallèle de maisons familiales souvent centenaires, nombre de jeunes entrepreneurs engagés dans le made in France le conjuguent aujourd'hui avec bonheur. Dans les vêtements, les baskets - comme celle fabriquées à Bourg-Achard (Eure) par la famille Buquet sous la marque Caruus, et qui met en avant le fait que ses produits « ne prennent ni l'avion ni le bateau pour arriver chez vous » -, les meubles, comme ceux de Camif, fabriqués sur plusieurs sites en France, ou de la marque Roset, qui produit 100 % de ses fauteuils et canapés dans le petit village de Briord (Ain), et exporte dans plus de 70 pays. Enfin, note le sondage Ifop, la progression du critère du pays de fabrication se voit également dans le secteur de l'alimentaire. L'engouement pour les circuits courts, à la faveur de la pandémie, pourrait certes retomber quelque peu, mais il semble loin d'être marginal. Reste que si acheter français est un acte citoyen pour les consommateurs, cela devrait également valoir pour les entreprises...

Des entreprises citoyennes ?

Or les PME, qui constituent le tissu économique de l'Hexagone, se plaignent souvent des grands donneurs d'ordres, y compris l'État, plus enclins à chercher les prix les plus bas à l'étranger... Dans un domaine bien spécifique, l'imprimerie de haute qualité, l'association Imprim'Luxe, créée en 2011 et qui regroupe des entreprises, essentiellement des PME, de ce secteur, milite ainsi pour que les grands donneurs d'ordres français - LVMH, Kering et autres - s'approvisionnent auprès des fournisseurs d'Imprim'Luxe pour les sacs papiers, les cartonnages et autres produits de l'imprimerie haut de gamme. « Certains groupes le font. Ainsi, LVMH travaille beaucoup avec Sleever, une société française qui produit notamment des manchons dorés pour bouteilles de champagne. Mais pour d'autres produits de l'imprimerie, ils se tournent vers l'Asie », regrette Pierre Ballet, président de l'association. Or « c'est une question de cohérence pour des marques de luxe qui cultivent le made in France. Elles doivent l'être sur l'ensemble de leur offre, et cela jusqu'aux emballages, par exemple. Les consommateurs ne peuvent qu'y être sensibles », déclare Elisabeth Cuzin, gérante des Ateliers Duplan (20 salariés), en région parisienne, spécialisés dans le cartonnage à façon et le marquage à la main pour des marques telles Hermès ou Chanel. « Notre stratégie auprès des grands donneurs d'ordres pourrait être déclinée dans d'autres secteurs », conclut Pierre Ballet.

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Cet article est extrait de "T" La Revue de La Tribune - N°2 - Fabriquer (tout) français ? Le nouveau rêve de l'Hexagone - Décembre 2020 - Découvrez la version papier

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Commentaires 3
à écrit le 17/04/2021 à 10:21
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Pendant ce temps la Peugeot 208, et la Renault Clio ont quitté la France. C est du pipot le retour de l industrie.

à écrit le 16/04/2021 à 17:44
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Une télé ou un ordinateur c'est pas joué, le textile ce n'est qu'un rêve, quant aux médicaments l'actualité nous prouve qu'on est mal barrés. Reste le camembert.

à écrit le 16/04/2021 à 15:51
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"Un pays qui perd ses savoir-faire s'appauvrit" A mettre en perspective avec l'agroindustrie qui nous a totalement désapris à nous faire à manger.

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