Licornes : la French Tech cherche la bonne formule

Pour espérer transformer ses startups en leaders, la France doit combler son retard de financement et tabler sur les domaines où des positions mondiales restent à prendre.
Sylvain Rolland
Les technologies de pointe, comme la blockchain, l'informatique quantique, les biotechnologies... devraient faire émerger de nouveaux champions mondiaux dans les années à venir.
Les technologies de pointe, comme la blockchain, l'informatique quantique, les biotechnologies... devraient faire émerger de nouveaux champions mondiaux dans les années à venir. (Crédits : iStock)

« Scaler », oui, mais comment et pourquoi ? Telle est la question à laquelle se frotte l'écosystème d'innovation français en 2019. Pour le gouvernement, la priorité est le passage à l'échelle des startups, c'est-à-dire leur capacité à lever plusieurs dizaines de millions d'euros pour s'internationaliser et devenir des leaders mondiaux dans leur domaine, voire des licornes comme BlaBlaCar, Deezer, OVH, vente-privee.com et tout récemment Doctolib. Réussir ce pivot d'une startup nation à une scale-up nation, tout en poussant les entrepreneur(e)s vers la « tech for good », c'est-à-dire l'innovation à impact positif sur la société, est même devenu l'objectif principal de la Mission French Tech, remaniée il y a un an par le secrétaire d'État au Numérique, Mounir Mahjoubi.

Mais « il ne faut pas se voiler la face », nuance un membre d'un cabinet ministériel à Bercy. « Dans l'intelligence artificielle par exemple, la France et même l'Europe ramasseront les miettes des États-Unis et de la Chine », anticipe-il.

Malgré de grandes ambitions, difficile de rivaliser avec les 3 milliards de dollars par an que les États-Unis versent à leur agence fédérale d'innovation, la Darpa, ou encore avec les milliards investis par les géants du Net américains et chinois, qui disposent en outre de volumes de données inaccessibles aux acteurs européens. Pas question pour autant de céder au fatalisme. « Il existe une troisième voie pour la France et l'Europe, en tirant parti de nos forces et en prenant des positions partout où c'est possible », affirme Mounir Mahjoubi.

Montée en puissance à l'amorçage

Pour y parvenir, la France peut compter sur un écosystème devenu mature. Avec 3,624 milliards d'euros récoltés en 2018 - un record -, les startups tricolores ont levé 1,1 milliard d'euros de plus qu'en 2017 (2,563 milliards). Encore mieux, cette performance s'établit avec un nombre d'opérations stable : 645 tours de table, contre 605 un an plus tôt, soit une progression de seulement 7%, contre 40% pour les montants levés. Ainsi, il y a eu en 2018 presque deux fois plus de levées de plus de 20 millions d'euros qu'en 2017 (39 contre 24), un signe de la capacité de nombreuses startups à « scaler ».

Cette montée en puissance semble se confirmer en 2019. Du côté de l'amorçage, la relève est au rendez-vous. « Le deal flow est fantastique en ce moment, à la fois en quantité et en qualité », se réjouit Jean de La Rochebrochard, le directeur général du fonds d'amorçage de Xavier Niel, Kima Ventures. Surtout, au 18 mars, les startups françaises avaient déjà levé plus de 900 millions d'euros, avec un top 10 bien plus impressionnant que l'an dernier à la même époque.

« Cela révèle une maturité qui ne signifie pas qu'on a atteint un pic, car il reste une grosse marge de manœuvre dans le growth », estime Paul-François Fournier, le directeur exécutif Innovation de Bpifrance.

Effectivement, les fonds français spécialisés dans le late-stage (après la Série B) se comptent sur les doigts de la main : Large Ventures de Bpifrance, Sofinova Partners, Idinvest Partners, Keensight Capital ou encore Eurazeo font partie des seuls capables de financer un très gros tour de table. Cela n'empêche pas les scale-up françaises de trouver des investisseurs, mais 80% des levées supérieures à 20 millions d'euros en 2018 ont été menées par un fonds américain...

Des places à conquérir dans les deep tech

Après dix ans d'innovations tirées par les outils numériques pour digitaliser les usages, un nouveau cycle s'ouvre dans les deep tech, c'est-à-dire les technologies de rupture. Nouveaux matériaux, informatique quantique, blockchain, biotechnologies, nanotechnologies... Ces technologies de pointe devraient faire émerger de nouveaux champions mondiaux dans les années à venir, qui pourraient venir de partout dans le monde.

La France, qui n'a pas à rougir de sa recherche fondamentale, l'a bien compris. Bpifrance a ainsi annoncé fin janvier un vaste plan de 1,3 milliard d'euros sur cinq ans, dont 800 millions d'euros d'aides nouvelles, pour stimuler l'innovation de rupture en France, qui consomme énormément de capitaux à cause de la R&D. « C'est un plan très bien pensé, qui couvre tous les maillons de la chaîne, mais qui me semble manquer de quelques objectifs ciblés et de moyens financiers plus ambitieux pour faire la différence », souligne Michel de Lempdes, partner du fonds deep tech Omnes Capital. Une étude publiée mi-mars par l'ONG Hello Tomorrow et le Boston Consulting Group confirme ce sentiment.

« La France représente plus d'un quart des startups deep tech en Europe mais souffre d'un manque de financements privés », affirme le rapport. Ainsi, 21% des startups biotech et 18% des startups blockchain en Europe sont françaises, mais celles-ci ne représentent respectivement que 2% et 1% des investissements dans leur secteur...

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La France à la traîne sur les méga-levées

(Malgré ses énormes progrès, le Royaume-Uni et l'Allemagne ont tenu la France à distance en 2018 au niveau des montants levés : 3,62 milliards d'euros pour l'Hexagone, 4,38 milliards outre-Rhin et 7,385 milliards d'euros outre-Manche, soit le double de la France. Et pourtant, les trois pays sont proches pour ce qui touche du nombre d'opérations : 703 pour le Royaume-Uni, 645 pour la France et 598 pour l'Allemagne. Infographie La Tribune)

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Au-delà du financement, la question des talents s'impose également au cœur de la bataille. Grâce à son Visa French Tech et au French Tech Ticket pour les entrepreneurs étrangers, la France déploie le tapis rouge pour rester attractive dans cette compétition mondiale. Il n'en demeure pas moins que les startups « galèrent » : qu'il s'agisse d'ingénieurs ou de postes commerciaux et marketing, les meilleurs profils s'arrachent comme des petits pains, sur le sol français ou ailleurs quand il s'agit de s'internationaliser, d'autant plus que les géants du Net font grimper les enchères partout. « Trouver des profils qualifiés devient de plus en plus difficile, surtout pour une startup peu connue dans un secteur peu "sexy" comme les télécoms en marque blanche », regrette Cédric Rittié, le directeur marketing de Sewan, pépite de 300 employés en France qui a recruté 100 personnes en 2018... et dispose toujours d'une cinquantaine de postes vacants.

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Des tours de table prometteurs en 2019

TOP 10 - 1er TRIMESTRE 2019 (au 18 mars 2019)

1. Doctolib (150 millions d'euros, e-santé)
2. Ynsect (110 millions d'euros, AgriTech)
3. Wynd (72 millions d'euros, e-commerce)
4. Mirakl (62 millions d'euros, marketing)
5. Shift Technology (53 millions d'euros, cybersécurité)
6. ContentSquare (52 millions d'euros, marketing)
7. Talentsoft (45 millions d'euros, RH)
8. Alan (40 millions d'euros, AssurTech)
9. Lunchr (30 millions d'euros, FoodTech)
10. Malt (25 millions d'euros, RH)

Total des levées du 1er trimestre : 1,055 milliards d'euros

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TOP 10 - 1er TRIMESTRE 2018 (au 31 mars 2018)

1. Ledger (61 millions d'euros, Fintech)
2. Rcommerce (50 millions d'euros, e-commerce)
3. Cityscoot (40 millions d'euros, mobilité)
4. ContentSquare (34 millions d'euros, marketing)
5. Aledia (30 millions d'euros, énergie)
6. HalioDx (18,5 millions d'euros, BioTech)
7. GoJob (17 millions d'euros, RH)
8. Heetch (16,5 millions d'euros, mobilité)
9. Artefact (15,5 millions d'euros, marketing)
10. Prophesee (15,4 millions d'euros, santé)

Total des levées du 1er trimestre 2018 : 796 millions d'euros

Sylvain Rolland

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Commentaires 2
à écrit le 25/03/2019 à 10:18
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l'affaire dailymotion est encore dans toutes les memoires; hollande aura reussi son coup, plus personne ne veut up scaler quoi que ce soit en france

à écrit le 25/03/2019 à 8:21
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Pour la millième fois, merci d'utiliser un vocable qui ressemble à la langue de Moliere. Sinon dans 10 ans la langue française sera balayée.... Bonne journée

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