Lors du rachat de Twitter en octobre 2022, Elon Musk avait l'ambition de transformer la plateforme en « application à tout faire ». Mais le réseau social, renommé X en cours d'année, a pris la trajectoire opposée, et flirte désormais avec la faillite. Le principal responsable de cet échec ? Musk lui-même. Avec sa méthode brutale et impulsive, le milliardaire fantasque a démoli les fondements de Twitter, ouvert la porte à la désinformation et fait fuir les annonceurs, dont l'entreprise dépend quasi exclusivement pour survivre. Placés en embuscade, les nouveaux concurrents Threads et Bluesky, lancés cette année, n'hésiteront pas à enfoncer le clou dans le cercueil de Twitter.
X, un Twitter dépouillé de ses fondements
Adieu, l'emblématique oiseau bleu, présent sur le logo de Twitter depuis sa création en 2006. Au revoir, les « blue checks », ces badges de vérification d'identité adossés aux noms des comptes d'utilité publique, qui a fait du réseau social l'outil de communication privilégié des politiques et des journalistes. Finie, la limite de caractères dans les tweets. A la poubelle, l'algorithme de recommandation sur lequel le réseau social a bâti son succès. Même le nom du réseau social n'a pas survécu à la tornade Elon Musk, remplacé par la lettre X, qui obsède l'homme d'affaires.
Entre janvier et avril, le milliardaire a démantelé un à un les atouts qui ont fait de Twitter le réseau social le plus influent au monde. Avant cette démolition technique, il avait déjà saigné le capital humain de l'entreprise avec le licenciement de plus de 80% des effectifs, sous prétexte d'une réduction des coûts. Certes, le réseau social ne parvenait pas à atteindre la rentabilité de façon pérenne depuis sa création. Mais Elon Musk l'a transformé en machine à brûler de l'argent.
Pour ne rien arranger, ces changements se sont opérés dans un chaos presque constant. Twitter a multiplié les pannes et les ralentissements. Il a aussi été contraint, à plusieurs reprises, de retirer des fonctionnalités tout juste déployées pour les relancer quelques jours plus tard, en raison de problèmes techniques. Plus bavard que jamais sur le réseau social, Musk a semblé naviguer à vue. Plusieurs témoins ont confirmé qu'il écoutait son instinct avant tout, et qu'il n'hésitait pas à imposer sa vision contre celles des experts de l'entreprise.
Réseau social recherche modèle économique
En conséquence des multiples changements à marche forcée, X est devenu un réseau social à deux vitesses. D'un côté ceux qui paient un abonnement mensuel, de l'autre les autres. Le problème ? L'énorme majorité des utilisateurs n'a pas payé, et subissent donc une expérience dégradée : perte de la double authentification par SMS, limitation de la messagerie, retrait des certifications... Et pour ceux qui paient, ce privilège n'offre en réalité qu'une meilleure visibilité et quelques avantages avant tout cosmétiques.
Elon Musk a misé sur ce modèle d'abonnement pour mettre fin à la dépendance du réseau social à la publicité. Mais cette stratégie se révèle être un échec cuisant. Alors qu'elle peine à vendre l'abonnement, l'entreprise a été contrainte de l'offrir aux plus gros comptes afin d'éviter un exode.
En parallèle, les problèmes techniques du site et les propos polémiques du dirigeant ont grandement endommagé ses revenus publicitaires, le socle de son activité. Elon Musk a commencé l'année en bradant la publicité sur Twitter. Il l'a terminé en insultant publiquement de grands annonceurs, après leur décision de se retirer de la plateforme. La nomination de Linda Yaccarino à la tête de l'entreprise n'a rien changé. Bien que considérée comme une pointure de la publicité, la dirigeante n'a fait que tenter de réparer les pots cassés par le turbulent propriétaire de Twitter.
Résultat : dès mars, Musk a déclaré que la valorisation du réseau social, pour lequel il a déboursé 44 milliards de dollars, avait fondu de moitié. Aujourd'hui, il avertit sur les risques bien réels de faillite si les annonceurs ne reviennent pas. En cette période de fêtes de fin d'année, pourtant propice, la qualité des publicités apparaît plus dégradée que jamais : promesses mensongères sur des cryptomonnaies, faux sites de rencontre, sites de dropshipping...
X, nouvel épicentre de la désinformation
Mais les problèmes de X ne se limitent pas aux considérations économiques, loin de là ! Au début du mois, l'Union européenne a annoncé l'ouverture d'une enquête contre l'entreprise, accusée d'avoir commis huit infractions au DSA, le grand texte de régulation des plateformes du Net, entré en vigueur fin août. D'après Bruxelles, X échouerait dans les grandes largeurs à se conformer à ses obligations, qu'il s'agisse de transparence, de modération des contenus illicites et de désinformation. Il est même accusé de tromper ses utilisateurs... Et s'il ne parvient pas à redresser la barre, il pourrait encourir de très lourdes sanctions.
L'éclatement du conflit entre Israël et le Hamas a révélé au grand jour les lacunes béantes de la modération du réseau social. La publication de son rapport de transparence n'a fait que confirmer la pauvreté des moyens humains mis en place. Quant à l'expérience d'utilisation, elle est de plus en plus affectée par le pullulement des « bots », ces comptes automatisés. Pourtant, Elon Musk avait fait de la suppression des bots une des grandes promesses de son rachat.
Comme si la situation n'était pas assez désastreuse, tout au long de l'année, le milliardaire a relayé et tenu sur son compte des propos complotistes (contre les vaccins, notamment) mais aussi antisémites et transphobes, entre autres. De quoi repousser toujours plus loin les annonceurs.
Threads ou Bluesky pour enfoncer le clou dans le cercueil ?
Avant 2023, Twitter n'avait comme concurrent direct que Mastodon, un réseau social aux ambitions modérées et au fonctionnement plus laborieux. Mais cette année, deux alternatives sérieuses ont émergé et montrent les crocs, prêtes à le remplacer : Bluesky, au fonctionnement et à l'esthétique très proche de l'ancien Twitter, et surtout Threads, le nouveau réseau social de Meta, adossé à la gigantesque base de plus de deux milliards d'utilisateurs d'Instagram.
Autrement dit, X n'a plus le monopole des plateformes de « micro-blogging », et ses concurrents ne sont qu'à quelques ajustements près de proposer une expérience proche de l'ancien Twitter. La potentielle faillite du réseau social ne fait qu'alimenter leurs ambitions. 2023 était l'année de l'effondrement de Twitter. 2024 sera-t-elle l'année de la disparition de X ?
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