Elon Musk va-t-il tenir parole et quitter la direction de Twitter ? Ce serait dans l'ordre des choses : l'imprévisible milliardaire s'est engagé, dimanche soir, à respecter le verdict d'un sondage en ligne, qu'il a lancé sur son propre compte, demandant à ses 122 millions de followers de trancher sur son avenir à la tête du réseau social. « Dois-je quitter la direction de Twitter ? J'obéirai au résultat de ce sondage », a-t-il indiqué. Plus de 17,5 millions de comptes ont participé au vote, et 57,5% d'entre eux ont cliqué sur « oui ».
C'est une petite surprise : le controversé nouveau patron de l'oiseau bleu avait été largement soutenu par ses fans pour ses autres sondages, incarnation du populisme muskien, parodie de démocratie sans aucune méthodologie. Mais cette fois le système s'est imposé contre lui. « Faites attention à ce que vous souhaitez, vous pourriez bien l'obtenir », a-t-il même mis en garde quelques heures avant la fin des votes, à 56-44 en sa défaveur. Avant de tweeter, deux heures plus tard : « Ceux qui veulent le pouvoir sont ceux qui le méritent le moins ». Que va-t-il faire ? Depuis que les résultats finaux sont tombés, ce lundi matin, Elon Musk s'emmure dans le silence.
Le spectacle désastreux d'Elon Musk à la tête de Twitter
Au-delà du coup à l'ego de perdre ce sondage, le maintien d'Elon Musk à la tête de Twitter se pose de plus en plus sérieusement ces derniers jours, tant le milliardaire semble mener le réseau social dans le mur en enchaînant les décisions irrationnelles, dangereuses pour la démocratie (bannissement de journalistes, réintégration de milliers de comptes précédemment exclus pour appel à la haine, interdiction de parler sur la plateforme de réseaux sociaux concurrents...) et dévastatrices en terme d'image, notamment pour les annonceurs qui ont déserté en masse la plateforme alors que 90% de son chiffre d'affaires en dépend.
Mais la vraie menace pour lui pourrait venir non pas de ce vote facilement contestable, mais des investisseurs de son autre entreprise, Tesla. Depuis le 28 octobre, date de sa prise de fonction chez Twitter, Elon Musk a tant abîmé le réseau social -plus de 10.000 licenciements sur un effectif de 12.500, échec spectaculaire du lancement de l'abonnement Twitter Blue début novembre - que sa propre réputation d'entrepreneur visionnaire en a sérieusement pris un coup. Avec ses sorties contre les démocrates, ses soutiens à la complosphère/fachosphère, son affichage à la droite de la droite -notamment avec le neveu de Donald Trump au Qatar lors de la finale de la Coupe du Monde- et le manque de clarté de sa vision économique pour Twitter, Elon Musk a dégradé la perception des milieux économiques sur sa capacité à gérer des entreprises en général.
Inévitablement, le spectacle désastreux d'un Elon Musk en roue libre à la tête de Twitter met le feu aux poudres chez Tesla, dont il est aussi le patron. Un patron fantôme tant il semble obsédé par le réseau social, au point d'y dormir et de passer des heures tous les jours à lire et répondre à ce qu'il s'y dit.
L'image et la valorisation de Tesla en chute libre depuis novembre
Par ses actions chez Twitter, Elon Musk a politisé l'image de Tesla, au point où globalement, celle-ci est désormais négative auprès de toutes les catégories d'adultes américains. D'après l'institut Morning Consult, les démocrates, qui avaient une excellente perception de Tesla en janvier, en ont désormais majoritairement une perception négative. A l'inverse, une majorité de Républicains n'appréciait pas Tesla en janvier -c'est une marque de véhicules électriques perçue comme chère et urbaine. Mais si l'entreprise a gagné de nombreux soutiens dans ce camp depuis le rachat de Twitter, ils ne suffisent pas à inverser la tendance du côté de l'ensemble des Républicains. Autrement dit, Tesla n'est désormais majoritairement appréciée par personne. Un vrai préjudice réputationnel imputable à Elon Musk, qui devient concrètement un poids pour Tesla, même si l'entreprise a les reins solides.
Les actionnaires du constructeur automobile tempêtent, car les déboires d'Elon Musk aggravent aussi sa chute boursière. La valeur de l'action Tesla a perdu 60% depuis avril, soit beaucoup plus que le Nasdaq (-11%). Et plus de la moitié de cette baisse a eu lieu depuis début novembre, ce qui confirme l'impact personnel d'Elon Musk. L'entreprise vaut toujours environ 500 milliards de dollars, mais elle est très loin des plus de 1.200 milliards de dollars du début de l'année... Surtout, Musk a lui-même contribué à la chute en vendant pour 3,5 milliards de dollars d'actions Tesla la semaine dernière, qui s'ajoutent aux 3,9 milliards de dollars d'actions qu'il avait vendues début novembre pour le rachat de Twitter. Musk lui-même a perdu la moitié de sa fortune personnelle en 2022 (de 160 à 80 milliards de dollars) et est passé derrière le Français Bernard Arnault, patron de l'empire LVMH.
Certains investisseurs de Tesla demandent désormais ouvertement à Elon Musk de céder la gestion de Twitter pour se reconcentrer sur son véritable joyau industriel. « Réveillez-vous, le conseil d'administration de Tesla ! Quel est le plan ? Qui dirige Tesla et quand est-ce qu'Elon revient ? » a tweeté l'investisseur Ross Gerber, tout en déplorant qu'Elon Musk « a détruit plus de 600 milliards de dollars de valorisation » sans provoquer de réaction du conseil d'administration, ce qu'il juge « inacceptable ».
Plus grave, le troisième investisseur de Tesla, KoGuan Leo, a accusé ce week-end Elon Musk d'avoir déserté le navire et réclame un nouveau directeur général. « Elon a abandonné Tesla et Tesla n'a plus de patron en place. Tesla a besoin et mérite d'avoir un CEO qui y travaille à temps plein », a-t-il déclaré.
Elon Musk en recherche d'investisseurs et d'un nouveau CEO pour Twitter ?
Face au début de fronde chez Tesla, Elon Musk était ce week-end au Qatar. Il a assisté, en compagnie du gendre de Donald Trump, Jared Kushner, à la finale de la Coupe de monde de football perdue par la France face à l'Argentine. Mais surtout, il aurait rencontré des investisseurs d'après certains médias américains.
D'après le média financier Semafor, plusieurs investisseurs ont été contactés par Jared Birchall, le gestionnaire de la fortune d'Elon Musk. L'objectif : lever, avant la fin de l'année, plusieurs milliards de dollars en émettant de nouvelles actions Twitter, qui seraient proposées aux investisseurs pour la somme de 54,20 dollars par titre -soit le prix largement survalorisé payé par Elon Musk.
Quant à la gestion de Twitter, Elon Musk n'a jamais affirmé que le poste était de long terme pour lui. Au contraire, mi-novembre, lors d'une audition avec un juge du Delaware lors d'un procès intenté par un investisseur de Tesla, Musk a affirmé son but de « réduire son temps chez Twitter et trouver quelqu'un d'autre pour le diriger durablement ». Mais il pourrait devoir renoncer à son siège plus vite qu'il l'avait prévu, et surtout, bien avant d'avoir redressé Twitter, ce qui était son objectif. A moins qu'il fasse fi à la fois de la volonté du "peuple" sur Twitter et de celle des actionnaires de Tesla, dans un ultime tour de force aux conséquences imprévisibles.
Sujets les + commentés