Les ambitions folles de Zoom dans le monde post-Covid

GRAND ANGLE. De service de visioconférence réservé aux professionnels, Zoom est devenu un élément essentiel du quotidien à l’ère du Covid-19. L’entreprise veut désormais capitaliser sur son succès et transformer la manière dont nous communiquons au travail.
Confidentiel et réservé aux professionnels avant la crise du Covid-19, Zoom s'est démocratisé à grande vitesse à la faveur du confinement. L'entreprise américaine cherche désormais à capitaliser sur ce succès.
Confidentiel et réservé aux professionnels avant la crise du Covid-19, Zoom s'est démocratisé à grande vitesse à la faveur du confinement. L'entreprise américaine cherche désormais à capitaliser sur ce succès. (Crédits : CARLO ALLEGRI)

Lors du dernier jour de la Convention Nationale Démocrate, qui s'est tenue fin août, plusieurs candidats malheureux à l'investiture du parti, dont Bernie Sanders, Elizabeth Warren et Peter Buttigieg, ont participé à un appel Zoom collectif rediffusé sur écran géant, durant lequel ils ont évoqué le bon vieux temps de la campagne, échangé des plaisanteries et exprimé leur soutien unanime à Joe Biden, qui affrontera Donald Trump le 3 novembre prochain. Qui aurait cru qu'un outil de communication professionnelle relativement confidentiel au début de l'année, se retrouverait ainsi sous les projecteurs lors d'un événement politique majeur ?

De l'apéro virtuel du confinement aux procès et mariages à distance

Ainsi va la "zoomification" du monde. Les Démocrates sont loin d'être les seuls à ne plus pouvoir composer sans cet outil devenu omniprésent à l'ère du Coronavirus et de la distanciation sociale. Si l'on ne présente plus les célébrissimes apéros Zoom du vendredi soir qui ont fleuri durant le confinement, le service de visioconférence accomplit aujourd'hui les fonctions les plus diverses. En mai dernier, un tribunal texan a organisé le tout premier procès sur Zoom. Un couple d'amis de l'auteur, qui avait prévu de se marier cet été à Los Angeles, a fini par organiser une cérémonie en tout petit comité, les deux mariés et un témoin, le tout diffusé en direct sur Zoom pour ses amis et famille, donnant à la scène une atmosphère étrange et futuriste.

À San Francisco, l'église jésuite Saint Ignatius, située dans le quartier de Nopa, à deux pas du Golden Gate Park, diffuse quant à elle chaque dimanche la messe sur YouTube, avant d'organiser un appel collectif sur Zoom réunissant les fidèles après l'office. « Cela permet de retrouver en partie le côté social et communautaire, de voir des visages familiers et d'échanger des nouvelles », confie Shirley, une paroissienne. Soirées d'intégration, réunions des alcooliques anonymes, rendez-vous galants et même cérémonies funéraires ont également trouvé refuge sur la plateforme.

Zoom a logiquement envahi le langage courant : on parle de « zoomification » du monde pour désigner l'importance qu'a prise le service de visioconférence, et de « zoombombing » lorsqu'un individu indésirable fait effraction dans une réunion Zoom pour y semer la zizanie. Zoom est partout.

10 millions de participants par jour en janvier, 300 millions en avril

Mais si le commun des mortels a appris l'existence de Zoom peu après avoir découvert celle du Covid-19, le service de visioconférence n'est pas un perdreau de l'année. Fondé en 2011, Zoom est entré en bourse l'an dernier, et comptait déjà dix millions de participants quotidiens en janvier 2020, un chiffre qui a grimpé en flèche avec le confinement, pour atteindre 300 millions fin avril. Et s'il est aujourd'hui utilisé par tout le monde, Zoom a avant tout été conçu comme un service professionnel, à destination des entreprises. À l'origine de sa création : une insatisfaction croissante de son fondateur, Eric Yuan, un homme d'affaires sino-américain, face aux services de visioconférence existants.

« Avant de lancer Zoom, Eric Yuan travaillait comme ingénieur chez WebEx, racheté par Cisco en 2007. Il y avait déjà beaucoup d'acteurs sur ce créneau, Microsoft avec Skype, Arkadin ou encore PGi, mais personne n'avait vraiment révolutionné le marché. Yuan était de plus en plus frustré par les dysfonctionnements qu'il constatait sur WebEx, et que confirmaient les retours utilisateurs : manque de fluidité, problèmes de compatibilité avec les applications tierces... Il a proposé à Cisco une réforme complète de la plateforme, et quand sa hiérarchie a refusé, il est parti monter son propre produit, emmenant 45 ingénieurs avec lui », raconte Loïc Rousseau, en charge des opérations stratégiques pour l'Europe chez Zoom.

À l'époque où la vidéo est vue comme un gadget davantage que comme une fin en soi, la stratégie adoptée par Yuan est simple : concevoir le meilleur service de visioconférence professionnel possible, utilisable partout dans le monde. Il consacre l'intégralité de ses forces à cet objectif, évitant toute stratégie de diversification ou d'acquisition. Ce pari s'avère payant. Lancé à San Francisco, Zoom séduit rapidement de jeunes pousses de la Silicon Valley qui deviendront des géants internationaux (Uber, Slack), puis des entreprises des nouvelles technologies européennes.

« Comme Zoom avait des serveurs en Europe, deux Européens pouvaient se parler sur Zoom sans que les données doivent transiter par les États-Unis, c'était unique à l'époque et ça a permis des appels plus fluides », explique Loïc Rousseau.

Des ambitions qui ne se cantonnent pas à la vidéo

Si Zoom a construit son succès sur la spécialisation, ses ambitions ne se cantonnent pas à la vidéo. L'entreprise rêve en effet de devenir une plateforme de communication universelle pour l'entreprise. Pour cela, elle a commencé à développer de nouveaux produits et services pour compléter la visioconférence et faire en sorte que, quel que soit le mode de communication choisi, ses clients n'aient jamais besoin de quitter Zoom. Une application de messagerie y a été insérée et en 2019, l'entreprise a lancé le service cloud Zoom Phone, qui permet d'intégrer un numéro de téléphone fixe directement dans Zoom, de manière à remplacer le téléphone de bureau. Zoom possède également un logiciel destiné aux salles de réunions physiques, Zoom Rooms.

« L'idée est de couvrir tous les besoins en communication avec une technologie, une application », explique Derek Pando, en charge du marketing international chez Zoom. « Ainsi, si j'ai besoin d'appeler quelqu'un avec un téléphone traditionnel, ou s'il me faut une ligne fixe pour mon entreprise, je peux le faire directement dans Zoom. »

Pour adapter la vie de bureau à l'ère du Coronavirus, l'entreprise a lancé la licence Zoom For Home, qui permet, pour un prix réduit, d'utiliser Zoom Rooms à domicile, avec des équipements plus légers. Le système peut s'intégrer aux outils de visioconférence des parties tierces, permet le partage de contenus, l'affichage de tableaux blancs et d'autres fonctionnalités typiques d'une salle de réunion. « On reste sur un produit dédié aux entreprises, mais adapté à l'ère du télétravail », commente Loïc Rousseau. Car Zoom garde les yeux braqués vers l'avenir et entend proposer des outils adaptés au bureau du futur, qu'il soit physique ou virtuel.

À long terme, Eric Yuan rêve ainsi de faire de Zoom un outil de communication futuriste s'apparentant au conseil des jedi dans Star Wars. « Imaginez un monde où, n'importe où, via n'importe quel appareil, en un seul clic, vous ayez l'impression de vous trouver dans la même salle de conférence, que vous puissiez vous voir et vous serrer la main », fantasmait-il récemment.

Intégration d'applications tierces et possibilité de développer des API

En attendant, afin de se diversifier tout en maintenant le souci de qualité qui a fait son succès, Zoom mise sur une double stratégie. D'une part, une intégration croissante avec des applications tierces, comme Slack et Dropbox. « Comme c'est un produit simple et efficace, avec un nombre de fonctionnalités limitées, Zoom s'intègre très bien à d'autres applications, sans que l'on perde en fiabilité et qu'on voit les bugs se multiplier », commente Feng Li, un professeur de management à l'University of London qui dirige un groupe de recherches sur le futur du travail.

D'autre part, Zoom a mis en place une interface de programmation sur laquelle des développeurs tiers puissent construire des applications. La jeune pousse Macro a récemment levé 4,3 millions de dollars pour son outil qui vise à améliorer les réunions Zoom, mesurant le temps de parole pour que chaque participant ait voix au chapitre et permettant de prendre des notes directement dans l'application pour les partager avec tout le monde.

À l'heure où une partie de la sphère éducative a migré en ligne, la jeune pousse ClassEdu lance de son côté le produit Class for Zoom, qui propose un ensemble d'outils pour faire d'un appel Zoom une véritable salle de classe virtuelle : quiz posés directement sur la plateforme, tableau blanc, assignation de devoirs, etc.

En mai dernier, Zoom a même organisé un concours en ligne dans le cadre duquel des startups étaient invitées à mettre en place des applications sur Zoom. Parmi celles-ci : Pledgeling, qui mobilise la plateforme pour réunir des dons, iScribeHealth, qui permet des téléconsultations médicales, et Docket, qui rend les réunions professionnelles sur Zoom plus efficaces à l'aide d'un ordre du jour, d'un chronomètre pour chaque sujet de discussion prévu et d'un outil pour facilement partager des liens et de la documentation.

« Zoom va devenir la prochaine plateforme permettant aux startups de construire des modèles d'affaires à plusieurs milliards de dollars », avait alors affirmé Jim Scheinman, investisseur historique de Zoom qui a mis en place le concours en ligne.

Les défis de la gestion du trafic et de la cybersécurité

Si la spectaculaire hausse de popularité du logiciel a naturellement posé quelques difficultés, les serveurs de l'entreprise ont plutôt bien encaissé l'augmentation du trafic. Avant la crise du Covid, les centres de données de Zoom tournaient en dessous de leur capacité maximale afin de disposer d'une marge de manœuvre. Ils sont en outre répartis dans différentes régions et sur des fuseaux horaires différents afin de pouvoir rediriger le trafic en cas de pépin. Zoom a malgré tout dû renforcer son dispositif pour être à la hauteur de sa nouvelle popularité.

« Grâce à notre présence en Asie, nous avons pu anticiper un petit peu le confinement, et il a dès lors fallu monter rapidement en puissance au niveau du réseau pour faire face à la hausse de la demande que nous anticipions. Deux nouveaux centres de données ont été créés, à Santa Clara et à New York », se rappelle Loïc Rousseau. Travaillant avec Amazon Web Services et Oracle, Zoom a également pu rapidement ajouter des serveurs virtuels grâce à l'élasticité du cloud. Le tout alors que ses propres employés ont également dû s'habituer au travail à distance : la ville de San Jose, dans la région de la Baie de San Francisco, où se situe le siège social de l'entreprise, a été confinée début mars.

Pour autant, la gloire soudaine de Zoom n'est pas allée sans heurts. L'entreprise a notamment dû composer avec d'importants problèmes en matière de cybersécurité. Les phénomènes de « zoombombing » se sont multipliés, prenant souvent l'aspect de simples blagues potaches, mais revêtant parfois un côté beaucoup plus grave : des groupuscules néonazis ont ainsi ciblé des réunions auxquelles participaient des individus d'origine juive pour y proférer des insultes antisémites.

Une partie de ces problèmes en matière de cybersécurité est venue du fait que cet outil à l'origine conçu pour les professionnels s'est du jour au lendemain retrouvé entre les mains de dizaines de millions de particuliers n'ayant pas toujours en tête les bons réflexes pour sécuriser leurs appels. « On a vu des personnes donner le numéro de leur réunion sur Twitter, par exemple. Il a fallu rapidement nous adapter aux besoins de ces nouveaux utilisateurs en rendant les paramètres de sécurité plus facilement accessibles », confie Loïc Rousseau.

Mais Zoom a aussi pêché au niveau de sa communication, affirmant que son service offrait le chiffrement de bout en bout alors que ce n'était pas le cas, ce qui a suscité un tollé médiatique. « C'était un élément de langage marketing qui n'avait pas lieu d'être », admet Loïc Rousseau. L'entreprise a ensuite fait amende honorable en promettant d'offrir pour de bon le chiffrement de bout en bout, avec toutefois un nouveau cafouillage en matière de communication. Zoom a d'abord affirmé que celui-ci serait réservé aux comptes payants, avant de rétropédaler et de promettre le chiffrement de bout en bout pour tous face aux protestations du public.

Concurrence renforcée

Preuve que Zoom prend la chose au sérieux : l'entreprise a pour l'occasion fait une entorse à ses principes, rachetant la jeune pousse new-yorkaise Keybase, spécialisée dans les technologies de chiffrement, là où Eric Yuan s'était jusqu'à présent toujours refusé à faire des acquisitions. Le chiffrement AES 256 GCM, que l'entreprise décrit comme l'un des standards les plus solides actuellement en vigueur, doit être déployé prochainement. Selon Loïc Rousseau, Zoom sera la seule à offrir un tel niveau de sécurité, certains concurrents proposant le chiffrement 128, moins puissant.

Car si l'année a été bonne pour Zoom, l'entreprise doit désormais composer avec des concurrents qui, de Google Meet à Microsoft Teams en passant par WebEx, ont renforcé leurs propres produits pour séduire les hordes de télétravailleurs. En juin, Google Meet a ainsi introduit la possibilité de supprimer les bruits parasites à l'aide de l'intelligence artificielle, et Microsoft Teams vient d'annoncer une vague de nouvelles fonctionnalités. Zoom, qui compte des centres de données et une équipe de 700 ingénieurs en Chine, pourrait également se retrouver pris dans la guerre commerciale entre l'Empire du Milieu et les États-Unis. Sa route vers un succès pérenne demeure donc semée d'embûches.

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